ANALYSE

Capital Humain et Croissance Inclusive : Pourquoi l’Afrique doit être au rendez-vous de l’évaluation mondiale de l’éducation (PISA) en 2021

Par Simplice G. ZouhonBi

Directeur Exécutif de IDCNx, cabinet de conseil en stratégie et gestion des politiques publiques. Il a été Conseiller Economique Principal aux Nations Unies et Expert Economiste à la Banque Mondiale et à la BAD. Il est l’auteur d’une récente étude (2019) “Economic Growth and Convergence: How Far is China from Africa? ”

Une multitude d’études ont confirmé que les pays investissant davantage dans le capital humain (éducation, expérience et formation professionnelle, et santé) ont tendance à atteindre une croissance à long terme plus élevée (notamment grâce à l’amélioration de la productivité et à une meilleure capacité d’innovation), à renforcer les bases de la création d’emplois et de la réduction de la pauvreté, et à réaliser des progrès plus rapides vers la prospérité.

Avec des externalités positives comme une participation citoyenne accrue à la vie politique, économique, sociale et culturelle ainsi qu’une baisse des conflits et une consolidation de la paix.

Dans ce contexte, l’éducation reçoit une plus grande attention en tant qu’un des piliers clés de la formation du capital humain et de la compétitivité de chaque pays. Notamment depuis le début des années 2000 dans le cadre des initiatives en faveur des objectifs du millenium pour le développement et avec l’accélération de la globalisation, tirée par l’économie du savoir, l’innovation et le commerce.

Ainsi, plusieurs pays ont décrété l’école gratuite et/ou obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans. Encore voudraient ils s’assurer de l’accès de ces jeunes à une éduction de qualité.

Le Programme international de l’OCDE pour l’évaluation des compétences des élèves (PISA)

Dans cette perspective, l’OCDE a lancé au cours de l’année 2000 un programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA en anglais). Ce test est organisé tous les trois ans en vue d’évaluer les connaissances des élèves de 15-16 ans et de déterminer ce qu’ils peuvent faire grâce à leurs connaissances dans les pays membres et non-membres de l’OCDE. Il évalue spécifiquement

le niveau de compétence des élèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences. Le plus récent test du PISA a été organisé en 2018.

Malgré les limites de l’approche méthodologique du PISA (Yong Zhao, 2019), notamment l’absence d’évaluation d’autres connaissances essentielles acquises à travers le système éducatif dans des contextes socio-culturels différents de ceux de l’OCDE, ce test fournit des informations importantes sur la qualité de l’éducation aux responsables de politiques publiques, en complément des résultats d’autres tests internationauxii .

Les résultats du PISA ne sont pas directement comparables à l’Indice de Développent Humain (Nations Unies), lequel combine trois indicateurs : l’espérance de vie, le PIB par habitant, et le niveau d’instruction de la population mesuré par la durée moyenne de scolarisation et le taux d’alphabétisation. L’on peut par contre approfondir l’analyse des relations entre les résultats du système éducatif (tel que mesuré partiellement par le PISA), l’accumulation de capital humain et les performances des pays en termes de croissance économique (Coulombe et al, 2004) et d’innovation.

Les résultats du PISA 2018iii

A ce jour, 90 pays -dont les USA, le Chili, la Chine, le Canada, la Suède, l’Allemagne, Costa-Rica, la République Dominicaine, le Maroc, la Serbie, Singapour, le Vietnam et plusieurs autres pays d’Asie, d’Europe, d’Amérique Latine et de l’Océan Indien- ont participé aux tests du PISA. 80 pays en 2018 contre 43 au lancement du programme en 2000.

Selon l’OCDE, « les résultats de 2018 montrent que les élèves de 15 ans de la Chine et de Singapour ont obtenu des scores en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences nettement supérieurs à ceux de tous les autres pays et économies qui ont participé aux tests. L’Estonie, le Canada, la Finlande, l’Irlande et la Corée du Sud ont été les pays de l’OCDE les plus performants ».

L’Afrique Sub-Saharienne, grande absente des évaluations internationales des connaissances des élèves dans le cadre du PISA

Aucun des (48) pays de l’Afrique Sub-Saharienne n’a participé à ce test international PISA d’évaluation du niveau de connaissance des élèves, depuis son lancement en 2000. Alors que les cadres stratégiques de « réduction de la pauvreté », préparés au début des années 2000 par les pays africains et des institutions internationales, et les plans d’action pour les OMD ont permis de consacrer des dépenses plus importantes aux secteurs de l’éducation et de la santé. Principalement avec les économies réalisées sur le remboursement de la dette dans le cadre de l’initiative en faveur des pays à faible revenu et très endettés, mais aussi des fonds provenant du budget national des Etats et des partenaires au développement.

Ces efforts ont contribué à l’amélioration du taux net de scolarisation des élèves dans le primaire et le secondaire en Afrique, lequel a respectivement atteint 78 % et 35 % en 2017, contre 60 % et 21% en 2000 (UNESCO, 2019). Ceci, dans un contexte d’accroissement rapide de la population jeune de moins de 24 ans, lequel représente aujourd’hui 60% de la population du continent. Une question récurrente reste la qualité de cette éducation, notamment par rapport aux normes internationales et son adéquation aux besoins de l’économie.

Certes, des exercices d’évaluation des résultats de l’éducation existent au niveau de chaque pays ou de groupes de pays africains. Mais, ils sont moins fréquents et n’offrent pas une base factuelle de comparaison internationale de la qualité de l’éducation, notamment avec les pays les plus performants (Chine, Japon, Corée du Sud, Canada, Finlande, etc.) et d’autres pays de même niveau de développement.

Nous notons qu’une étude récente de la BAD (Morsy et Mukasa, 2020), sur la base de données d’enquêtes du BIT, a confirmé une forte inadéquation entre la formation des jeunes et l’emploi dans une dizaine de pays africainsiv. Le test du PISA permettrait déjà une évaluation des

fondamentaux de l’éducation primaire et secondaire, avec des comparaisons de performance entre les pays africains et les autres pays, de même niveau de développement ou développés.

En outre, le coût par pays de cet investissement pour l’évaluation de la qualité de l’éducation, est faible, à moins de 700 000 Euros sur 3 ans par nouveau pays participant.

La prochaine évaluation mondiale de l’éducation (PISA) en 2021: une opportunité pour l’Afrique, et un test du leadership des institutions régionales en faveur du développement du capital humain

La prochaine évaluation internationale des compétences des élèves initialement prévue en 2021 dans le cadre du PISA, sera finalement organisée en 2022 pour tenir compte des difficultés du monde de l’après COVID-19. Elle offre une nouvelle opportunité pour une participation des pays de l’Afrique Subsaharienne et une évaluation de la compétitivité de leur système éducatif (primaire et secondaire), avec une analyse de l’impact du Covid-19 sur les performances des élèves, toutes choses étant égales par ailleurs. En bénéficiant des enseignements de la participation de la Tunisie (2000-2015), de l’Algérie (2015), du Maroc (2018) et d’autres pays en développement (Thaïlande, Vietnam, etc.) à cet exercice.

Compte tenu du rôle catalyseur de l’éducation pour la réalisation de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, la transformation socio-économique du continent et le développement durable (dont l’objectif #4 est une éducation de qualité), la Banque Africaine de Développement et la Commission Economique pour l’Afrique devraient joindre leurs efforts pour soutenir la préparation et une participation des pays d’Afrique Sub-Saharienne à cette évaluation et à d’autres évaluations internationales pertinentes de l’éducation. Et contribuer à l’analyse technique des résultats ainsi qu’à la formulation d’un plan d’action dans le cadre de stratégies nationales de développement du capital humain (éducation, formation professionnelle et santé), sous le leadership de chaque Gouvernement et de l’Union Africaine, en partenariat avec les autres agences spécialisées des Nations Unies (UNICEF, UNESCO, BIT etc.).

Ce serait un pas important dans la bonne direction pour soutenir, avec plus d’efficacité, les Gouvernements face aux défis de l’éducation et de l’emploi des jeunes, améliorer la compétitivité du capital humain, et renforcer les bases d’une transformation structurelle de l’économie et de la prospérité en Afrique.

*PISA: Programme for International Student Assessment

i https://ssrn.com/abstract=3635867

ii Notamment le TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) qui évalue les connaissances en math et en sciences des élèves dans plusieurs pays (57 pays en 2015) depuis 1995.

iii https://www.oecd.org/pisa/PISA-results_ENGLISH.png

iv Benin, Congo, Egypte, Liberia, Madagascar, Malawi, Ouganda, Tanzanie, Togo et Zambie

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