ANALYSE

« Dans le contexte africain, la place qu’occupent les énergies fossiles est très cruciale » Daby TOURE, Managing Director ACTORIS 21 Mauritanie

Après une quinzaine d’années d’expérience dans l’industrie bancaire, Daby TOURE s’investit dans divers secteurs d’activités, ce qui lui permit d’acquérir une compréhension approfondie du tissu économique de son pays, la Mauritanie. Depuis maintenant trois ans, il dirige Actoris-21, une entreprise familiale spécialisée dans les Ressources Humaines et au fil du temps dans l’Ingénierie, la Maintenance Industrielle et l’Assistance Technique. Actoris -21 est également active dans la sous-traitance auprès d’entreprises opérant sur le projet gazier et pétrolier GTA exploité conjointement par le Sénégal et la Mauritanie.

On nous prédit depuis quelques années la fin des énergies fossiles, faut-il y croire ? et quelle place ces énergies occupent-elles aujourd’hui dans le développement du continent africain ?

La question de la fin des énergies fossiles est complexe et dépend de nombreux facteurs, notamment la politique internationale, les évolutions technologiques, les besoins en énergie (offre et demande), et les préoccupations environnementales. Les conflits internationaux et les tensions géopolitiques annoncés, auront sans nul doute un impact sur le calendrier de nombreux pays qui ont fixé des objectifs de neutralité carbone d’ici 2050 ou 2060 lors de la COP21. Les énergies fossiles continuent d’être une source majeure d’énergie dans de nombreuses parties du monde, et il est peu probable qu’elles disparaissent à l’horizon 2050-60. Cependant, il existe des efforts considérables pour réduire la dépendance à l’égard des énergies fossiles en faveur de sources d’énergie plus propres et renouvelables pour des raisons environnementales, de sécurité énergétique et de durabilité. Le contexte géopolitique peut certainement influencer les décisions énergétiques des pays, mais il est difficile de prévoir avec certitude comment ces facteurs affecteront l’avenir des énergies fossiles. Dans le contexte africain, la place qu’occupent les énergies fossiles est très cruciale.

D’abord dans l’industrie pétrolière à travers les campagnes d’exploration, les champs de production, les réseaux de distribution, etc.). Ensuite dans les infrastructures pétrolières, les investissements sont massifs : les pipelines, les terminaux maritimes, les services de logistiques générés. A titre d’exemple, 12 milliards de dollars seront investis durant le projet GTA (Mauritanie et Sénégal). L’élément le plus déterminant pour moi demeure la production d’énergie. Beaucoup de pays africains utilisent le pétrole pour la production d’électricité. L’énergie joue un rôle crucial dans les industries d’un pays à travers l’alimentation des processus industriels (les machines et les équipements). En Afrique, la question du transport et pas que, est un réel défi. Comment résoudre cette problématique en se passant des énergies fossiles ?

Enfin en matière de compétitivité économique. La disponibilité et le coût de l’énergie peuvent avoir un impact significatif sur la compétitivité d’une économie. Pour clore ce chapitre, l’énergie est essentielle pour le développement économique et industriel d’une nation ce n’est plus un secret pour les plus avertis. N’oublions pas que la révolution industrielle qui a transformé les économies et les sociétés occidentales au cours du XIXe et du début du XXe siècle a été en grande partie alimentée par l’utilisation croissante des énergies fossiles, notamment le charbon et plus tard le pétrole… Comprendra qui voudra !

Le projet offshore « Grande Tortue Ahmeyim » (GTA) devrait commencer à exploiter principalement du gaz naturel liquéfié et du pétrole à la fin 2023 ou début 2024. Quelles peuvent en être les retombées pour le Sénégal et la Mauritanie ?

On parle du 1er trimestre 2024 officiellement et de 2nd trimestre en coulisse. La bonne nouvelle c’est que la production devrait enfin démarrer en 2024. L’exploitation du projet GTA peut avoir plusieurs retombées, à la fois positives et négatives, sur ces pays et sur la région environnante.

D’abord les retombées positives.

En termes de revenus économiques, l’exploitation gazière peut générer d’importants revenus pour les deux pays, sous forme de recettes fiscales, de redevances et de bénéfices pour les actionnaires (BP, Kosmos, SMH et Petrosen). Ces revenus peuvent contribuer au développement économique, à la réduction de la pauvreté et au financement de projets d’infrastructure.

En termes de création d’emplois, l’industrie gazière nécessite de la main-d’œuvre, ce qui peut créer des emplois locaux dans les deux régions où se trouve le gisement.

Le gaz naturel peut être utilisé pour produire de l’électricité et fournir de l’énergie aux ménages, aux entreprises et à l’industrie, contribuant ainsi à la sécurité énergétique de la Mauritanie et du Sénégal.

S’agissant du local content, l’exploitation gazière peut stimuler le développement de l’industrie locale, y compris la fourniture de biens et de services aux opérations gazières.

Du point de vue de la coopération bilatérale, l’exploitation du champ gazier peut renforcer les relations entre les deux pays et favoriser une diplomatie régionale.

Ensuite les retombées négatives.

L’exploitation d’un champ situé entre deux pays peut susciter des conflits territoriaux ou des différends sur la propriété des ressources. Heureusement que le Sénégal et la Mauritanie entretiennent des ententes cordiales qui ont contribué à une décision rapide d’investissement de l’opérateur BP en 2018.

L’exploitation gazière peut avoir des impacts environnementaux négatifs, notamment la pollution de l’eau, de l’air et du sol, ainsi que des risques de déversements d’hydrocarbures. Or il y a toute une communauté qui dépend, depuis des lustres, de l’exploitation des ressources halieutiques non loin de la zone où se situe le gisement. Je pense notamment aux communautés de pêcheurs de Ndiago en Mauritanie et de Saint Louis au Sénégal.

Enfin, une forte dépendance à l’égard des revenus pétroliers et gaziers peut rendre les économies des deux pays vulnérables aux fluctuations des prix mondiaux du gaz, ce qui peut affecter leur stabilité économique. D’où la nécessité de diversification des sources de croissance. La gestion d’un champ gazier situé entre deux pays peut être complexe en termes de réglementation, d’accords et de coordination entre les gouvernements. Particulièrement en termes de retombées socio-économiques. Nous notons positivement l’adoption, le 21 décembre 2018, de l’acte additionnel portant accord inter-état pour le développement et l’exploitation des réservoirs du gisement Grand Tortue/Ahmeyim.

En conclusion, l’exploitation gazière d’un champ situé entre deux pays peut avoir un impact significatif sur les deux nations, et il est important de gérer ces activités de manière responsable, en tenant compte des retombées économiques, environnementales, sociales et géopolitiques. Le respect des accords bilatéraux, des réglementations et des mécanismes de coopération est obligatoire pour garantir les retombées.

Propos recueillis par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA

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