ANALYSE

« En Afrique, les banques ne sont pas outillées pour financer le secteur agricole » Ghislain HOLOGAN, CEO d’AGRITEK Africa

Le continent africain est connu pour être celui dont la population connaît la plus forte croissance. En 2050, il comptera plus de 2 milliards d’individus, qu’il faudra nourrir.  La capacité à assurer la sécurité alimentaire sur cet espace, constitue sans nul doute, l’un des défis majeurs des prochaines années. Pour y parvenir, les experts rivalisent de solutions plus ou moins réalistes. Tous préconisent l’accroissement des rendements, sans véritablement expliquer comment y parvenir. Quel rôle système financier peut-il y jouer ? Quelles sont les perspectives pour l’investisseur privé ? En quoi la technologie est-elle un levier important à utiliser ? Quelles actions faut-il attendre des pouvoirs publics ? Autant d’interrogations auxquelles Ghislain HOLOGAN, Fondateur et Directeur Général de AGRITEK Africa, nous a fait l’honneur de répondre.

Les pays africains se sont engagés à consacrer 10% de leur budget au secteur agricole. Pour le moment le compte n’y est pas. Pensez-vous que nos Etats sont conscients de l’enjeu ?

L’agriculture est un secteur clé pour le développement de l’Afrique et les engagements pris pour consacrer 10% du budget national au secteur agricole, est un signe de l’importance de ce secteur en Afrique. Malheureusement comme vous l’indiquez, le résultat n’y est pas encore et je pense que les États sont bien conscients de l’enjeu. L’Afrique fait face à d’énormes difficultés pour la réalisation des projets agricoles ou des plans stratégiques dans le secteur. On peut regretter le manque de financement institutionnel privé et une carence dans la formation, la recherche ou l’innovation. Cela dit, nos États doivent aussi faire face à d’autres priorités comme les infrastructures, la santé, l’éducation, l’énergie. Ces autres priorités sont en compétition directe avec l’agriculture pour l’utilisation des ressources financières disponibles.  

Selon vous, le système bancaire tel qu’il est conçu en Afrique, notamment francophone, est-il favorable au financement du secteur agricole ?

Le système bancaire en Afrique francophone n’est absolument pas favorable au financement de l’agriculture. Les banques traditionnelles en Afrique, ont du mal à mettre en place des systèmes appropriés de gestion du risque lié à l’agriculture. Ce qui fait que très peu s’aventurent dans le secteur. Elles ne sont pas outillées pour le faire. De plus l’agriculture en Afrique est dominée par les petits producteurs qui ne peuvent, évidemment, pas satisfaire les conditions des banques en termes de garanties, et de niveau du taux d’intérêts ou autres. Les produits proposés par les banques de la place ne sont pas appropriés aux acteurs du secteur agricole. Les organismes de microfinance sont très actifs dans le secteur, cependant leur apport reste limité à des projets d’envergure moyenne voire à de très petites entreprises.

Selon vous, la rentabilité de l’agriculture offre-t-elle de réelles perspectives à l’investissement privé ? Si oui, à quelles conditions ?

Absolument ! la rentabilité de l’agriculture est très intéressante pour l’investissement privé mais il faut une bonne structuration des projets. La rentabilité d’un projet agricole passe obligatoirement par l’innovation, l’utilisation de « nouvelles » technologies, la maitrise de la logistique et du marché local, régional ou international. Il va sans dire que le cadre socio-économique et politique des États peuvent être un frein ou un accélérateur pour l’investissement privé en général et encore plus dans le secteur agricole.

Comment peut-on mieux articuler la demande paysanne avec l’offre financière ? On parle beaucoup de la microfinance comme un des meilleurs outils. Etes-vous de cet avis ?

L’offre financière doit prendre en compte les éléments du cycle agricole et être une réelle solution aux besoins des petits producteurs ou paysans. Vous constaterez par exemple qu’il est très difficile, voire impossible pour un paysan de trouver une assurance qui lui permettrait de protéger son investissement en intrants en cas de dégât naturel tout en lui permettant de continuer ses activités. Comme je l’ai évoqué, les organismes de microfinance sont très actifs dans le secteur et propose des produits beaucoup plus appropriés à la demande paysanne. Mais cela reste très limité en termes de portée et d’échelle. La demande du financement agricole et paysanne est largement supérieure à la capacité des ressources financières et humaines dont disposent les organismes de microfinance.

Et la finance digitale, est-elle également une piste possible ?

La finance digitale a considérablement évolué sur le continent et est une importante alternative dans les zones rurales ou l’accès aux service bancaire traditionnel est quasiment inexistant. Nombreux sont les intervenants dans le milieu agricole rural qui utilisent par exemple le « mobile money » comme moyen courant de paiement ou d’épargne. Avec l’évolution de l’intelligence artificielle et des données collectées digitalement, il est facile d’imaginer dans un futur très proche, des produits de crédit personnalisés, des solutions de financement de projets agricoles, des assurances etc.

Quelles mesures de soutien peut-on attendre des pouvoirs publics africains pour un meilleur accès du monde agricole au financement ?

 Les pouvoir publics ont un rôle clé à jouer pour dynamiser le financement agricole. Le point positif sur le continent et que plusieurs actions sont déjà menées par les gouvernements dans ce sens et doivent être encouragées. En effet, on assiste à une simplification du cadre règlementaire pour attirer l’investissement dans l’agriculture. Les gouvernements multiplient les investissements en infrastructures routières et énergétiques, nécessaires pour supporter l’écosystème agricole. Il y a un accroissement des partenariats public-privé permettant de financer des projets agricoles de grande envergure. On note l’établissement de zones économiques spéciales, axées sur la transformation des produits agricoles ou les investisseurs bénéficient d’avantages fiscaux et autres. Il y a également la création de fonds de garantie pour atténuer les risques liés aux prêts agricoles. On observe beaucoup d’autres actions, notamment dans la formation agricole et la publication des données agricoles.

Parlant de fonds de garantie, il en existe quelques-uns, à vocation nationale ou régionale, mais leur portée sur le secteur agricole reste dérisoire. Comment inverser la tendance ?

Oui, il y a lieu de faire un point complet sur les fonds de garantie qui sont disponibles et clairement communiquer sur leur existence ainsi que leurs modalités d’intervention dans le milieu agricole et chez les paysans. Je pense que les fonds de garantie auraient un effet beaucoup plus marqué sur le secteur agricole s’ils sont utilisés plus largement comme effet de levier pour attirer l’investissement institutionnel privé. La consolidation et l’harmonisation des fonds de garantie dans la sous-région pourraient aussi être un élément clé pour inverser la tendance.

Vous avez fondé et dirigez l’entreprise Agritek Africa, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Agritek Africa est une société qui a pour but de canaliser l’investissement dans le secteur agricole au Bénin et dans la sous-région, afin de développer une agriculture plus saine, durable et innovante. Cela passe par exemple, par l’utilisation des nouvelles technologies comme les drones agricoles ou la production agricole verticale, pour accroitre l’efficacité agricole tout en réduisant l’utilisation ou en conservant les ressources naturelles. A long terme nous ambitionnons d’intervenir en amont et en aval de la filière agricole. Ce qui comprend la recherche, la production, la transformation, la logistique, l’éducation, l’assurance et la finance. Nous sommes motivés par de désir de réduire la pauvreté dans le milieu rural et de contribuer à la sécurité alimentaire des pays africains.

Propos recueillis par A.C. DIALLO – © Magazine BUSINESS AFRICA

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