INTERVIEWLA UNE

“ Il n’ y a pas de miracle du développement ” Papa Oumar Syr DIAGNE, Managing Partner de MACAPI

Le monde est en proie à des crises qui ont un impact direct sur les économies africaines. Au regard de ce contexte, dans quelles conditions le secteur financier africain peut-il pleinement jouer son rôle ?

Nous avons vécu à l’échelle mondiale une crise sans pareille en 2020 : la pandémie COVID-19. Une crise à laquelle aucun pays n’était préparé, pas même les pays développés. Cette crise a entraîné une récession économique mondiale avec l’ensemble des pays développés ayant enregistré une croissance économique négative sur la période concernée.
Encore aujourd’hui, la reprise demeure timide surtout avec les effets de la 2e crise, subséquente à la pandémie, notamment la guerre en Ukraine dont les conséquences ont profondément affecté les flux commerciaux et l’équilibre économique mondial par une hausse vertigineuse de l’inflation provoquant machinalement le renchérissement de la vie et la diminution du pouvoir d’achat.
Pourtant, ce contexte difficile a permis encore une fois de prouver la résilience africaine.
En effet, les pays africains ont en général mieux résisté à la Covid-19 que les pays développés. Par exemple, le Sénégal, avec un taux de croissance du PIB à 1.3% en 2020 (contre 4.6% enregistré en 2019) a, à l’instar d’autres pays africains, évité une croissance négative. Ceci est davantage illustré par la croissance économique africaine établie à 3.4% en 2020.
Le Programme de Résilience Economique et Sociale (PRES), le plan spécifique de l’Etat du Sénégal de lutte contre la pandémie, comprenait quatre composantes majeures dont la stabilité économique et financière pour le soutien du secteur privé et le maintien des emplois dans laquelle il était prévu en partenariat avec la BCEAO et les banques commerciales, la mise en place d’un mécanisme de financement des sociétés affectées par la crise.
Ce mécanisme prévoyait l’injection d’une enveloppe de financement d’environ 50 milliards FCFA dans le secteur privé local sous forme de crédits de trésorerie ou d’investissement avec des conditions de taux d’intérêt et de maturité adaptés.
Les partenaires au développement, précisément les institutions de finance de développement, ont largement contribué à la réussite de ce programme, notamment en fournissant une garantie à ces prêts. C’est ainsi que certaines initiatives de financement développées initialement comme réponse à la crise, continuent d’émerger afin de faire face à un besoin pressant de financement. J’en veux pour exemple le FIR (Fonds Islamique de Relance) – un fonds de 20 milliards FCFA lancé conjointement par l’Etat du Sénégal et la Banque Islamique de Développement, dédié aux PMEs sénégalaises.

Quelles peuvent être, selon vous, les mesures financières de soutien en période de crise et le rôle de la Banque centrale dans la régulation de l’économie ?

Le rôle essentiel de la Banque Centrale, à travers le mécanisme de taux de change fixe, est de garantir la stabilité monétaire et de maintenir l’inflation à un niveau bas. Au vu d’un taux d’inflation moyen de 2% au cours des 5-7 années pré-COVID, le résultat de la BCEAO à ce niveau est remarquable.
Toutefois, ce même taux fixe limite la capacité de la Banque Centrale à ajuster la politique monétaire en réponse aux chocs économiques.
Par exemple, il lui est impossible de dévaluer la monnaie pour faciliter ou stimuler les exportations.
Il est en de même pour les produits importés dont les prix peuvent fluctuer à la hausse comme à la baisse sans que la Banque Centrale ne dispose du moindre levier pour réagir activement à la situation. Ainsi, le taux de change fixe offre la stabilité, mais ne permet pas la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux conditions économiques changeantes.
En attendant l’inéluctable évolution du rôle de la Banque Centrale en rapport avec les discussions actuelles sur le FCFA, je pense que les mesures financières de soutien les mieux indiquées considérant le contexte de crise et les limites discutées ci-haut se résument au type de mécanisme de financement dont ont pu bénéficier les entreprises sénégalaises affectées par la Covid-19, structuré en partenariat avec les banques commerciales locales.

Le développement des fintech et notamment du mobile banking est une étape nécessaire pour assurer l’inclusion financière. Ne pensez-vous pas qu’il pourrait également pousser les banques à redéfinir leur rôle voire à se réinventer ?

S’il y a un secteur ayant bénéficié d’un impact positif significatif de la pandémie, il s’agit bien du secteur de l’innovation technologique et du numérique.
En raison du confinement, nombre d’outils numériques (comme les réunions virtuelles) se sont développés provoquant parfois une totale remise en question des habitudes des consommateurs.
Les fintechs en font partie, notamment par la création de nombre de produits et services financiers innovants, intuitifs, rapides et intelligents.
Malgré des forces comme leur marque, le contact avec le client (qui, à mon avis, devient de plus en plus une faiblesse du fait de la faible qualité de service) et l’étendue de l’offre de services, il semble que la banque traditionnelle, étant donné la règlementation rigide et incomprise (car importée et non adaptée au contexte africain) particulièrement pour les jeunes générations, perd de plus en plus de parts de marché au profit des fintechs.
Clairement, les banques n’ont pas d’autre choix que d’innover et s’adapter afin de demeurer compétitives dans un paysage financier en constante évolution, notamment face à la force perturbatrice des fintechs dont les produits conçus sont en parfaite harmonie avec les habitudes de consommation des jeunes générations, population majoritaire en Afrique.

Le contexte d’évolution technologique dans le secteur financier a fait naître de nouvelles formes de fraude et de nombreux défis en termes de sécurité des données. Pensez-vous que le système financier des pays africains est prompt à faire face à ses défis ?

Oui totalement. De la même manière que la fraude se perfectionne, les systèmes de défense aussi.
Le système financier africain, afin de garantir la confiance des utilisateurs, doit continuer à évoluer pour faire face aux nouveaux défis à relever à savoir la cybercriminalité, la protection des données personnelles et la réglementation adéquate. Au vu du volume conséquent d’investissements réalisés par les secteurs public et privé dans ce secteur, dans la formation et sensibilisation en cybersécurité et dans les infrastructures technologiques, notamment pour prendre l’exemple du Sénégal, l’érection du Parc Technologique Numérique (PTN) et le rapide déploiement de datacenters, je demeure convaincu que oui.

Quelques mots sur le marché boursier, comment faire pour le redynamiser ? Appelez-vous aussi, comme d’autres, à aller vers un marché boursier continental unifié ?

Je ne crois pas à l’uniformisation. Je suis profondément libéral et par conséquent, je pense que comme chaque potentiel est différent, il est plus indiqué de tirer le meilleur de chaque potentiel au profit d’un grand ensemble et/ou d’une cause qui dépasse l’unique individu.
L’Afrique n’est pas un ensemble uniforme. Elle est constituée du Maghreb, des Afriques de l’Ouest et Centrale Francophone et Anglophone, de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique Australe, les sous-ensembles se distinguant par leurs économies, géographies, peuples, langues, cultures et mode de gouvernance respectifs. Ainsi, je crois plutôt à l’intégration en harmonie avec les différentes zones / régions et pays d’Afrique. S’unifier dans la différence est mieux indiquée.
Maintenant, s’agit-il vraiment de redynamiser le marché boursier ? Et de quel marché boursier parle-t-on ?
Je me rappelle qu’à mon arrivée comme stagiaire à AFIG Funds en 2010, la capitalisation boursière de la BRVM s’élevait autour de 7 500 milliards FCFA.
Selon le bulletin officiel de la cote en date du 5 avril 2024, la capitalisation boursière est de 8 009 milliards FCFA, soit une hausse insignifiante de 6% en presque 15 ans. Toutefois, la BRVM fait encore figure de nain comparativement aux autres places boursières africaines comme la Bourse de Casablanca, le Nairobi Stock Exchange (NSE), le Nigeria Stock Exchange (NGE) ou le Johannesburg Stock Exchange (JSE). Cela révèle la différence entre l’Afrique Francophone et Anglophone en termes d’économie, mais aussi dans les mentalités, la Bourse étant un instrument beaucoup plus connu et utilisé des populations en Afrique Anglophone. Je vous suggère deux (2) moyens de le dynamiser :
• En vulgarisant l’offre de financement qu’elle représente pour les sociétés qui y qualifient, notamment en développant l’offre de Private Equity dans la région et en retenant la Bourse comme option principale de sortie d’investissement ;
• En vulgarisant l’outil d’épargne qu’elle représente pour tout un chacun, notamment avec les exemples réussis d’augmentation / ouverture de capital de majors comme SONATEL et TOTAL Sénégal à la Bourse.
Cela nécessitera une masse critique de sociétés dans ces cas d’espèce afin de faire bouger les lignes.
Enfin, je suis plutôt d’avis que l’offre multiple demeure.
Toutefois, il devrait être permis à chaque Africain d’investir à travers la place boursière qu’il souhaite selon ses affinités avec la géographie concernée ou tout simplement selon la rentabilité attendue de l’opportunité d’investissement.

Votre pays le Sénégal vient d’élire un nouveau Chef d’Etat, quelles sont, selon, vous, les mesures financières urgentes à prendre pour une relance économique ?

Dans l’attente de le rencontrer très prochainement, permettez-moi tout d’abord de lui adresser à travers votre magazine mes plus vives félicitations ! Son élection au 1er tour a été brillante et historique !
Elle traduit un fort désir de changement, pas seulement de paradigme politico-économique, mais également et surtout des mentalités !
C’est aussi l’avènement de la jeunesse et une forte belle manière de montrer à l’Afrique et au Monde que le changement par les jeunes Africains et pour les jeunes Africains, qu’on pensait chimérique il y a encore très peu de temps, s’avère bien possible !
Le Sénégal a hérité de la gouvernance du Président Macky Sall d’une palette d’instruments financiers, qui, toutefois, gagnerait à être proprement capacités autant en ressources financières qu’en ressources humaines. Il n’y a pas de miracle du développement. La performance est atteinte dès lors qu’on s’en donne les moyens à travers la constance dans l’effort et les ressources financières appropriées.
Je pense bien sûr au Fonds Souverain de l’Etat (« FONSIS »), notamment sa fonction de fonds de fonds lui permettant de mettre en place tout type de véhicule d’investissement dédié.
Je pense aussi au Fonds de Garantie (« FONGIP »), aux banques BNDE et Banque Agricole.
Mais également à la Caisse de Dépôt et Placement, à la Caisse de Sécurité Sociale (CSS) et à l’Institut de Prévoyance Retraite (IPRES) dont une potentielle fusion pourrait donner naissance à un instrument financier disposant de ressources conséquentes (allocations, pensions et retraites) et d’une mission de gestion optimale de ces ressources bien définie comme l’a remarquablement réussi la Côte d’Ivoire avec la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) ou le Rwanda avec le Rwanda Social Security Board (RSSB). Il est d’ailleurs proposé dans le programme du Président Bassirou Diomaye Faye, l’option de regrouper une partie de ses instruments au sein d’une grande Banque Publique d’Investissement, à l’instar du processus ayant abouti à la création de la BPI en France.
En prenant en compte le niveau très élevé de la Dette Publique, il est nécessaire d’envisager d’autres leviers de financement comme les PPP. Ainsi, tout projet répondant à un besoin urgent des populations et présentant une rentabilité financière serait à structurer en financement de projet en partenariat avec le secteur privé afin d’éviter le recours à l’endettement public.
Celui-ci ne serait utilisé que dans le cadre de projets à très faible rentabilité financière, voire inexistante, mais à très fort impact social, notamment les offres de santé et d’éducation avec la réalisation respective de centres de santé et hôpitaux et d’écoles et d’instituts de formation professionnelle. Il sera aussi opportun de recourir à d’autres types de bailleurs exigeant une rentabilité financière bien moindre que les bailleurs institutionnels et/ou privés traditionnels. Je pense naturellement à la philanthropie d’investissement avec plus de 2 400 milliards de dollars d’actifs sous gestion.

Propos recueillis par A.C. DIALLO – © Magazine BUSINESS AFRICA

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