INTERVIEWLA UNE

Dénonciation par le Niger et le Mali des conventions fiscales de non double imposition signées avec la France. Analyse de Badara NIANG, Expert Fiscal, Membre de l’ONES, Managing Partner de Deloitte Sénégal.

Le 5 décembre 2023 à travers le Communiqué Conjoint N°001 de la République du Mali et de la République du Niger, les Gouvernements de Transition du Mali et du Niger ont conjointement annoncé à l’opinion publique la dénonciation des conventions fiscales tendant à éliminer les doubles impositions signées avec le Gouvernement de la République Française respectivement à Paris le 22 septembre 1972 et à Niamey le 1er juin 1965. Selon le communiqué, cette décision de mettre fin à ces accords fiscaux bilatéraux découle principalement de la volonté des deux États de mettre fin à ces engagements considérés comme déséquilibrés et préjudiciables à leurs intérêts économiques. Les gouvernements soulignent ainsi que les éléments fondateurs de ces conventions en l’occurrence la coopération internationale et d’amitié ne sont plus d’actualité comme tenu des tensions géopolitiques entre les différents pays.

Sur la question de savoir si le Niger et le Mali ont le droit de mettre un terme unilatéralement à leurs engagements internationaux 

Il faut dire déjà qu’une convention fiscale reste un accord de volontés de 2 ou plusieurs états de s’accorder sur les modalités pour éviter la double imposition et lutter contre l’évasion fiscale. On dit en droit que ce que la volonté a fait, et bien, la volonté peut le défaire. A ce propos, la Convention sur le Droit des Traités de 1969 établie à Vienne le 23 mai 1969 et entrée en vigueur le 27 janvier 1980 permet à un traité d’organiser les conditions de sa propre remise en cause.

Par conséquent, pour autant que les conditions de rupture prévues par les conventions, en particulier les délais de préavis et de notification, aient été respectées, cette dénonciation, ou plutôt, ces dénonciations, n’auront de ce point de vue rien d’inédit ou de révolutionnaire dans le fond. Bien sûr, le contexte géopolitique que nous connaissons, l’absence de précédents dans l’espace francophone subsaharien et surtout le caractère conjoint, simultané et la médiatisation de ces décisions peuvent leur donner une certaine charge émotionnelle. Mais c’est en quelque sorte un peu l’entrée en lice, assez fréquente, de la diplomatie économique dans la géostratégie.

Une fois les dénonciations effectives, quelles en seraient les conséquences ?

La 1ère conséquence directe c’est que les opérateurs économiques ou individus résidents d’un de ces pays (France, Niger, Mali) et générant des revenus dans l’un ou les autres pays, ne pourraient plus se prévaloir des conventions fiscales pour éviter la double imposition. Ces sujets fiscaux pourraient par conséquent être amenés à payer 2 fois le même impôt : une première fois dans le pays ou le revenu à été généré (le pays de la source du revenu) et une deuxième fois dans le pays de leur résidence quand le revenu généré sera rapatrié.

La 2ème conséquence, c’est que les mécanismes de coopération, notamment d’échanges d’informations, entre les administrations fiscales de pays pour lutter contre l’évasion fiscale, ne pourront plus être activés.

Au-delà des conséquences fiscales strictement, on peut aussi s’attendre à un ralentissement des implantations réciproques d’entreprises entre ces pays en raison du risque de surcharge fiscale. Bien évidemment, cette conséquence sera appréciée en fonction du volume actuel d’échanges commerciaux entre les pays concernés.

Plus concrètement, comment cette surcharge fiscale se manifestera ?

Seules les règles de taxation propre à chaque juridiction s’appliqueront. Or, ces règles s’appuient souvent à la fois sur la résidence et sur la source du revenu comme critère de taxation. Par conséquent, tout revenu généré sera taxé à la fois sur territoire où il a été gagné et sur le territoire de résidence de son bénéficiaire. Si le même revenu a été taxé dans le pays où il a été généré, la double taxation ne sera pas évitée. Par exemple, l’article 44 du CGI du Mali prévoit qu’en l’absence de conventions fiscales internationales dûment ratifiées par le Mali, l’impôt est dû à raison des bénéfices réalisés au Mali par les personnes physiques ou morales y exerçant une activité, quel que soit leur statut juridique (…).  Cette disposition permet de taxer au Mali tous les bénéfices qui y sont réalisés, peu importe que ces mêmes revenus soient taxés une 2ème fois en France si c’est la résidence du bénéficiaire du revenu.

D’autres exemples peuvent être tirés des flux financiers transfrontaliers comme les dividendes payés en France à des résident Maliens ou Nigériens ou des redevances (ou autres rémunérations de services) payées au Mali/Niger à des résidents en France. De tels paiements seront taxés dans les pays d’où ils sont versés et pourraient en outre être intégralement taxés dans le pays de résidence de leurs bénéficiaires.

Le même mécanisme serait appliqué à des entreprises ou banques françaises qui prêtent à des résidents Maliens/Nigériens et vice versa. Les intérêts générés par ces prêts seront taxés au Mali/Niger selon le système de la retenue à la source et pourraient être intégralement taxés une 2ème fois en France entre les mains des Banques ou Entreprises prêteuses.

Enfin, les plus-values, c’est-à-dire les gains réalisés par la vente d’actifs dans un pays, seront soumis à une taxation dans les 2 pays (source du revenu et résidence du bénéficiaire) sans possibilité de crédit d’impôt.

Quid des clauses de protection des investissements contenues dans les conventions particulières ?

Dans la plupart des conventions d’investissement (dans les mines, le pétrole, les énergies ou les infrastructures), il est prévu des clauses de stabilisation garantissent la stabilité des avantages fiscaux et douaniers accordés en dérogation des régimes normaux en vigueur au moment de la signature desdites conventions. En d’autres termes, ces clauses protègent les investisseurs contre les changements des règles applicables.  Selon la spécificité des termes de la clause de stabilisation et la portée fiscale que les autorités étatiques ont voulu lui conférer, la question pourrait se poser de savoir si de telles clauses pourraient être invoquées pour se prémunir contre les effets de la dénonciation de la convention.  Il convient donc de suivre attentivement les développements futurs de l’actualité fiscale concernant cette problématique, étant donné que des clarifications pourraient éventuellement être apportées par les autorités sur les conséquences fiscales du Communiqué N°001 datant du 05 Décembre 2023 le Mali et le Niger.

©Magazine BUSINESS AFRICA

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