ANALYSE

Le marché africain des assurances, un des plus dynamiques au monde selon Sory DIOMANDE, Directeur pour l’Afrique du Nord, de l’Est et de l’Ouest à Swiss Re

Détenteur d’un Master d’Actuariat des Hautes Etudes en Assurance (HEA) de l’INP-HB de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire et d’un Global Executive MBA de IE Business School Madrid, Sory DIOMANDE a d’abord exercé en tant qu’Actuaire à Allianz Vie Côte d’Ivoire, avant de rejoindre Swiss Re en 2002 comme Souscripteur Traités en Afrique du Sud, en France et à Singapour. Il a également été Senior Manager chez Allianz Re Asie Pacifique à Singapour, notamment en charge du Japon, Directeur régional Afrique de l’Ouest Anglophone chez Africa Re au Nigeria, et Directeur General Adjoint d’Africa Re en Afrique du Sud. Depuis juin 2021, Sory DIOMANDE occupe le poste de Directeur pour l’Afrique du Nord, de l’Est et de l’Ouest chez Swiss Re, basé à Zurich en Suisse.

Quel jugement global portez-vous sur l’évolution du secteur de l’Assurance en Afrique et plus particulièrement dans la zone que vous couvrez ?

Le secteur des assurances en Afrique connaît une croissance soutenue depuis des décennies. Cette croissance est à relativiser cependant car elle est plus la résultante d’une forte croissance économique, qu’une augmentation réelle du taux de pénétration qui reste généralement inférieur à 1%, exception faite de l’Afrique australe et principalement l’Afrique du Sud à 13.7%, du Maroc à 4.6%, de la Tunisie à 2.3% et du Kenya à 2.2%.
La croissance réelle des primes d’assurance demeure en deçà de la croissance à deux chiffres qu’il nous est généralement donné de constater, compte tenu de l’inflation galopante sur le continent, notamment au Nigeria, en RDC, en Ethiopie et en Égypte.
Le marché africain est généralement fragmenté et est en phase de maturité comparé aux marchés des pays développés et émergents d’Asie et d’Amérique latine.
Il est très hétéroclite du nord au sud et reste dominé par l’Afrique du Sud avec 71% de part de marché dont 80% proviennent essentiellement de l’Assurance Vie, suivie de l’Afrique du Nord avec 13% dont 63% d’assurance Non-Vie, l’Afrique de l’Est avec 5% dont 63% d’assurance Non-Vie et la zone CIMA avec 4% de part de marché dont 70% d’assurance Non-Vie.
Le problème des talents se pose avec acuité, non pas par manque de formations qualifiées sur le continent, mais plutôt comme la conséquence du déficit de formations pratiques et continues.
L’instabilité politique est de retour par endroits, une situation qui impacte négativement le climat des affaires tant elle en rajoute aux nombreuses incertitudes déjà existantes.
Les réalités décrites ci-dessus ne devraient en aucun cas occulter le fait que le marché africain des assurances, l’un des plus dynamiques au monde, présente d’exceptionnelles opportunités d’affaire et de croissance, compte tenu notamment des faibles taux de pénétration et de l’actuel degré de maturité.
La règlementation encore fragmentée connaît des développements majeurs dans certains pays avec l’introduction de IFRS17 et le risk-based capital ou exigences réglementaires de fonds propres fondées sur les risques.

Cela dit, quelles sont selon vous, les raisons du sous-développement de l’Assurance en Afrique et comment y pallier ?

Les raisons fondamentales du sous-développement de l’assurance en Afrique hors Afrique du Sud, sont le manque de culture généralisée de l’assurance, une situation qui peine à s’améliorer du fait du manque de confiance des assurés. L’assurance reste encore fondamentalement méconnue du grand public et perçue de manière erronée comme un coût additionnel pour les familles et même les entreprises, plutôt qu’un service conférant une tranquillité d’esprit du fait de la protection des personnes et des actifs.
Pour pallier ces insuffisances qui minent nos marchés africains, il faut que l’industrie de l’assurance se réinvente en collaboration avec les régulateurs et toutes les parties prenantes, en commençant par repenser son écosystème pour combler le déficit de couverture d’assurance et renforcer la résilience des marchés. Les régulateurs devraient engager davantage de réformes structurelles pour stimuler la croissance et arriver à une consolidation des marchés déjà trop fragmentés.
Tous les acteurs du marché devraient apporter leur soutien aux régulateurs pour une meilleure sensibilisation de la population.
Les régulateurs doivent en outre encourager l’innovation en créant les conditions d’une concurrence saine et sereine entre les compagnies d’assurance, et en intégrant les Insurtechs qui proposent des solutions digitalisées et servent de courroie de transmission entre les assureurs et les assurés.
Swiss Re propose des solutions innovantes allant des solutions paramétriques qui offrent aux agriculteurs une protection efficace contre les pertes liées à la sécheresse, à la télématique en automobile, et P&C Analytics qui permet une analyse pertinente et chiffrée du portefeuille de la compagnie d’assurance.
Des assurances obligatoires répondant véritablement aux besoins des assurés et ayant donc une vraie valeur ajoutée, contribueront au développement du secteur.
L’accès à l’assurance de personnes devrait être facilitée par une digitalisation soutenue par le taux de pénétration très élevé de la téléphonie mobile en Afrique, ses applications et moyens de paiement, et par une modernisation de l’approche marketing des compagnies d’assurance, notamment en ce qui concerne la segmentation et le ciblage, la stratégie de communication et de commercialisation.
Les canaux de distribution que sont le courtage, les agents généraux, la vente directe doivent être adaptés aux nouvelles exigences des consommateurs, particulièrement la classe moyenne émergente qui répond favorablement à l’innovation et au digital.
La bancassurance peine à produire les résultats escomptés dans certains pays tels que le Nigeria, mais connaît un développement impressionnant dans d’autres pays comme le Ghana.
Une accélération de l’inclusion financière soutenue par la microassurance, des produits simplifiés et d’un coût abordable s’avère indispensable pour rendre l’assurance accessible à une plus grande partie de la population et ce faisant, réduire le déficit de couverture. Une harmonisation de la réglementation au niveau sous-régional s’inspirant du modèle de la CIMA devrait apporter davantage d’amélioration au climat des affaires et aux standards, stimulant ainsi le développement des marchés et l’investissement.
Le partenariat public-privé est un excellent catalyseur du développement de l’assurance, notamment dans le domaine de l’agriculture et le continent pourrait bien s’imprégner des expériences de l’Inde, la Chine et la Turquie par exemple.
Swiss Re en a fait une priorité au point d’y dédier un département entier sous l’appellation de Public Sector Solutions (PSS).
Le marché africain doit se projeter dans le futur en embrassant d’ores et déjà le développement durable.
La zone de libre-échange continentale africaine offrira des opportunités sur le continent qui a une population de plus d’1 milliard de personnes.
Le développement des talents demeure un enjeu de taille et en appelle à notre conscience collective afin de transformer l’immense potentiel du continent, de la notion de statistique à de vraies opportunités d’affaire, pour une croissance accélérée et soutenue des marchés de l’assurance en Afrique.

Le monde entier a été impacté par une crise sanitaire sans précédent, aviez-vous chez Swiss Re modélisé ce type de risque ?

Swiss Re dispose de manière générale d’une vaste et longue expérience en matière de gestion des risques et de modélisation, et le risque de pandémie, bien que très complexe et extrêmement volatile, est bien connu de ce leader mondial de la réassurance.
Swiss Re a été créée pour faire face à ce type d’événements à haut risque, pour fournir une couverture adéquate et partager ses connaissances, contribuant ainsi à un monde plus résilient.
Nous contribuons à couvrir les pertes engendrées par la pandémie et en 2021, nous avons indemnisé des sinistres liés à la COVID-19 à hauteur de USD 2,0 milliards à l’échelle mondiale.
Nous devons tirer des leçons de cette pandémie de COVID-19 et alors qu’elle est encore très présente dans nos esprits, nous avons une occasion unique, voire l’obligation, de renforcer la résilience face aux pandémies futures et autres risques systémiques.
Le secteur de l’assurance et de la réassurance ne peut à lui seul couvrir un risque qui frappe simultanément de nombreux pays et aspects de la vie.
Les partenariats public-privé représentent une excellente solution pour se préparer aux pandémies à venir.
Swiss Re travaille avec de nombreux pays pour lancer des programmes allant dans ce sens et les progrès rapides rencontrés à cet égard sont encourageants.

Les mesures de restriction et quelques fois de confinement, prises par les Etats suite à la pandémie de la Covid 19 ont entraîné des pertes d’exploitation considérables pour les entreprises africaines. Comment avez-vous chez Swiss Re, fait face à la réassurance de dommages et de responsabilité ?

L’impact de la pandémie sur l’assurance non-vie a été très important sur les marchés européen, asiatique et américain notamment en ce qui concerne les sinistres liés à la perte d’exploitation consécutive à l’annulation d’évènements.
Le continent africain, exception faite de l’Afrique du Sud, a été assez largement épargné par cet évènement et cela est dû principalement au fait que les assureurs limitent généralement les couvertures à la perte d’exploitation consécutive à des dommages matériels. Cela dit, la pandémie a impacté indirectement les marchés africains de l’assurance et de la réassurance par l’effet d’une hausse importante de l’inflation et une importante détérioration des taux de change.
Ces deux phénomènes ont pour conséquence la hausse des montants de sinistres puisque le continent importe toutes les pièces détachées des usines, des véhicules et bien d’autres.
Swiss Re qui a toujours joué son rôle d’amortisseur des gros chocs auxquels les assureurs font face a géré cette situation inédite avec un très haut niveau de professionnalisme.
Il était important de comprendre les polices d’assurance, la cause du sinistre – la COVID-19 ou le confinement, les franchises, s’agissait-il de la perte d’exploitation uniquement ou la carence des fournisseurs était-elle comprise dans la couverture, les états ont-ils apporté un soutien financier.
Les paiements ont été effectués dans les plus brefs délais et les réserves techniques solidement constituées.

On prévoit dans les années à venir une forte augmentation de la sinistralité dans le monde et le continent africain ne sera pas épargné. Pour y faire face, les réassureurs vont-ils augmenter leurs tarifs ? Faut-il solliciter le concours des Etats ? Quelle est votre avis là-dessus ?

Les sinistres majeurs constatés ces dernières années proviennent essentiellement des catastrophes naturelles et de la pandémie COVID-19.
L’Afrique du Sud est le pays Africain qui a été le plus fortement impacté par ces deux phénomènes et naturellement les termes et conditions des contrats de réassurance ont été réajustés en conséquence.
Le changement climatique pose l’un des plus grands défis pour notre planète et l’impact est déjà perceptible en Afrique : températures moyennes plus élevées, élévation du niveau de la mer, vagues de chaleur plus longues et plus fréquentes, tempêtes et précipitations violentes, des inondations d’une fréquence et d’une sévérité plus élevées, incendies de forêt et conditions météorologiques extrêmes.
En même temps, une grande partie des pertes liées aux catastrophes naturelles n’est pas couverte par les assurances. Cela signifie que des millions de ménages et d’entreprises sont confrontés à un déficit de protection important et croissant.
L’objectif de Swiss Re est d’inverser cette tendance en couvrant ces risques et en soutenant les assureurs pour proposer des solutions d’assurance abordables et facilement accessibles à un plus grand nombre de personnes sur le continent.
En collaboration avec nos clients, partenaires, et les gouvernements, nous nous efforçons d’offrir des solutions traditionnelles et innovantes de transfert des risques afin de combler le déficit identifié en matière de protection, et d’accroître la résilience des personnes et des entreprises.

Existe t-il des relais de croissance pour la réassurance en Afrique ? Si Oui, quels sont-ils ?

Le marché de la réassurance en Afrique est fortement disparate et concurrentiel. Il est composé d’acteurs régionaux dont certains bénéficient de cessions légales en bonne et due forme, et de réassureurs internationaux d’Europe, d’Amérique et d’Asie.
Malgré les difficultés auxquelles les acteurs sont régulièrement confrontés, le marché de la réassurance en Afrique a généralement connu une croissance à deux chiffres dans la dernière décennie, exception faite de 2020 en raison de la crise COVID-19.
Cette croissance du marché de la réassurance en Afrique est essentiellement due à la croissance des marchés d’assurance, elle-même due principalement à la croissance économique des pays Africains, et aussi à des taux de cession de plus en plus élevés compte tenu de la faible capitalisation des compagnies sur des marchés fragmentés.
La croissance du marché de la réassurance n’a de sens que si la profitabilité s’inscrit dans la durée, même s’il est légitime que certaines années ne soient pas fastes de par la nature même de l’activité.
Les réassureurs doivent segmenter leur marché et cibler les segments porteurs sur lesquels ils doivent concentrer leurs efforts.
Ils doivent en outre aider au développement des assureurs, de leurs marchés et des régulateurs en engageant une concurrence saine sur la base de la proposition de valeur, apportant ainsi des solutions et produits innovants inspirés d’autres marchés émergents plus avancés d’Afrique du Sud, d’Asie et Amérique Latine, avec une forte composante digitale, quantitative et technologique.
Les réassureurs doivent également déployer leurs connaissances en matière de gestion des risques pour faire face aux menaces de catastrophes naturelles et pandémies dans un monde interconnecté, et contribuer davantage à la formation des talents et cadres sur le continent.
Le partenariat public-privé dans le domaine de l’agriculture par exemple, et celui avec les Insurtechs, sont des relais de croissance très importants pour le marché de la réassurance.

Propos recueillis par A.C DIALLO

© Magazine BUSINESS AFRICA

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