ANALYSE

Gérardo Daniel ZANNOUBO, P.D.G de SOACO Assurances SA : “Avec le covid-19, les paradigmes qui ont sous-tendu la gouvernance des Compagnies d’assurances ont montré leur limite”

Gérardo Zannoubo est Expert consultant en Assurances et Gestion des Risques avec une vingtaine d’années d’expérience dans le secteur des assurances dont dix ans en tant que Directeur Général de Compagnies d’assurances et de sociétés de courtage en assurances. Titulaire d’un MBA en Assurances et d’un diplôme de RISK Management obtenus à l’Ecole Supérieure des Assurances de Paris, M. Zannoubo est depuis le 1er mai 2019, le Président Directeur Général de la Société Ouest Africaine d’Assurances et Conseils (SOACO Assurances SA), une société de courtage en assurance de droit ivoirien créée en 2018 et dont la vision est : « devenir l’Assureur-Conseil panafricain de référence en Côte d’Ivoire et partout ailleurs en Afrique. »Une vision que ce dirigeant rompu aux techniques assurantielles, a accepté de partager avec nous dans cette interview, sans toutefois se départir de son regard critique mais optimiste sur les perspectives du secteur des Assurances en Côte d’Ivoire.

Quelles sont selon vous, les caractéris- tiques du métier d’assureur en Afrique? Pensez-vous qu’il existe une spécificité africaine dans l’exercice de ce métier ?

L’Assureur est une personne morale dotée d’une surface financière assez solide dont le rôle est de garantir, moyennant le paiement d’une prime, les risques auxquels les agents économiques sont soumis et dont la survenance impacte négativement leurs objectifs. Le caractère immatériel du métier d’assureur masque son rôle dans le développement économique, alors que l’assurance contribue à stimuler la croissance, à accroître la résilience des économies locales et des ménages face aux évènements extrêmes, et à favoriser la redistribution et la solidarité entre les individus.
En Afrique, la pénétration de l’assurance reste très marginale. Hormis l’Afrique du Sud et les pays du Maghreb, le total des primes émises avoisine 1 % du PIB, loin des 5 % observés en Asie.

En effet, les assureurs africains ont tardé à adapter leurs produits et services aux réalités du continent africain, ces produits étant, pour la plupart, identiques à ceux proposés dans les pays industrialisés.

Ils se caractérisent par des contrats longs et complexes, distribués par l’intermédiaire de réseaux coûteux d’agents et de courtiers qui ne touchent que l’élite urbaine. Malgré la vulnérabilité des couches sociales et leurs besoins en matière de couverture, 90 % de la population africaine n’a qu’un accès limité à l’assurance ou n’y est pas sensibilisée. Les compagnies d’assurance ont longtemps cru que cette frange de la population n’était tout simplement pas assurable. En lieu et place, cette population a développé son propre mécanisme de gestion des risques grâce notamment : aux ton- tines et au mécanisme des « greniers » ou d’épargne de biens (généralement les terrains ou les bijoux de valeur qui sont revendus en cas de besoins).

Cependant, ces mécanismes ont démontré leur limite.
En effet, une étude a révélé qu’en Afrique, près de 100 millions de personnes retombent chaque année dans la pauvreté à cause des problèmes de santé.

Au cours des dernières décennies la situation s’est améliorée et nous observons de plus en plus un effort d’adaptation des produits aux besoins réels des populations. Des micro assureurs apparaissent et essaiment un peu partout sur le continent. Selon le Code des assurances CIMA (Conférence Interafricaine des Marché d’Assurances) en son article 700, la micro assurance se définit comme « un mécanisme d’assurance caractérisé principale- ment par la faiblesse des primes et/ou des capitaux assurés, par la simplicité des couvertures de souscription, de gestion des contrats, de déclaration des sinistres et d’indemnisation des victimes.

La micro assurance vise à protéger les personnes à faible revenu contre des risques spécifiques en contrepartie du paiement de primes ou cotisations .
Une étude menée par la Micro-Insurance Center révèle qu’à fin 2014, les primes brutes émises par le secteur africain de l’assurance pesaient 69 milliards USD, af- fichant une légère hausse de +1,6 % comparée au niveau enregistré en 2013. Cependant, malgré ces performances, l’Afrique détient toujours la plus petite part du marché mondial de l’assurance, avec seulement 1,4 % de la valeur totale des primes brutes émises globalement en 2014.

Il y a donc lieu d’améliorer ces performances constatées par la mise en œuvre d’actions spécifiques telles que le renforcement du contrôle des sociétés d’assurances par les Régulateurs dans le but de décourager les mauvais acteurs et redorer l’image du secteur écornée par les mauvaises pratiques ; l’extension du champ des assurances obligatoires vers d’autres types d’assurances que sont les assurances de la construction (Tous Risques Chantiers, les Dommages à l’Ouvrage décennale, la RC Décennale).
Les risques relatifs à ces assurances doivent être couverts entièrement par les acteurs locaux. Les coassurances entre acteurs locaux doivent être privilégiées au détriment de la Réassurance internationale ; les assurances des risques agricoles ; les complémentaires retraites obligatoires ; la création de pools à l’échelle du continent pour la couverture par des acteurs africains des risques complexes tels que les risques pétroliers, aviation, ….

On parle de l’avant et l’après COVID-19, serait-ce également le cas pour les assureurs ? Quels sont les défis auxquels seront confrontés les professionnels de l’assurance en Afrique et en Côte d’Ivoire en particulier ?

A l’avènement de la maladie à COVID 19, les paradigmes qui ont sous tendu, jusque- là, la gouvernance des Compagnies d’assurances ont montré leur limite.
Pour survivre, les Compagnies d’assurance, doivent revoir leur mode de fonctionnement et s’adapter au contexte. Le challenge actuel est la dématérialisation de tous les process.

En effet avant la COVID- 19, la majorité des Compagnies d’assurances africaines ont opté pour une stratégie de distribution multi-canal intégrant le réseau direct composé de bureaux directs, les courtiers, les agents généraux, les banques, les IMF et les commerciaux. Ce mode de distribution impliquait les contacts entre l’Assureur et son client que ce soit pour la souscription, le paiement de la prime, la déclaration du sinistre et son règlement.

Avec l’avènement de la maladie à COVID19, les contacts avec les clients
sont devenus rares sinon quasi inexistants. Il s’en est suivi alors pour les entre- prises qui n’ont pas su anticiper ou s’adapter, une baisse de chiffre d’affaires.

Comment en Côte d’Ivoire les assureurs ont-ils fait face ?
En Côte d’Ivoire, suivant les chiffres provisoires, nous avons noté une baisse des collectes de primes de l’ordre de 8 à 10% sur les six premiers mois de l’année 2020 en comparaison aux collectes de l’année 2019.

En réponse à cette situation, nous avons observé des réactions différentes d’un acteur à un autre telles que les réductions d’effectifs et licenciements. Certaines sociétés ont mis leurs effectifs en chômage technique ou partiel. D’autres ont conservé les emplois mais ont été contraintes à faire travailler les effectifs à domicile ; à accélérer la digitalisation de leur process ou à tout simplement fermer.
Avec l’avènement de cette crise les Assureurs doivent faire face à plusieurs défis au nombre desquels le risque de non-paiement des primes par les Assurés, l’accroissement du nombre de contaminations qui pourrait accroître à terme le taux de mortalité ; les contre-performances des fonds sous gestion des Compagnies investis sur les marchés d’actions voire des désaccords entre Assurés et Assureurs sur l’interprétation des contrats pour la prise en charge ou non des conséquences liées à la pandémie.

En effet, beaucoup d’assurés ont évoqué les difficultés financières pour ne pas payer les primes d’assurances. Les polices sont résiliées, rachetées ou leurs souscriptions tout simplement abandonnées. Les contrats d’assurances concernés sont les contrats d’assurance non obligatoires tels que les produits d’assurance vie, les assurances voyage et transport (à cause de la fermeture des frontières), les assurances multi- risques incendie, les assu- rances relatives aux risques divers etc.

Et plus largement dans la zone CIMA ?
Dans la zone CIMA, des désaccords entre les Assureurs et les Assurés sur l’interprétation des contrats et la prise en charge ou non des conséquences relatives à la pandémie sont apparus. Ainsi les malades de la COVID-19 ayant souscrit des contrats d’assurance santé se sont vu refuser la prise en charge des frais de soins liés à cette pandémie par certains Assureurs.

En assurance vie, certaines compagnies d’assurance ont refusé de verser les capitaux décès relatifs aux contrats d’assurance couvrant les crédits bancaires au motif que «la garantie décès, contenue aussi bien dans les contrats collectifs des crédits que dans les contrats individuels des titulaires des comptes, n’est pas acquise pour les sinistres dus au Covid19 ». Heureusement, le Régulateur de la zone est intervenu et a expressément prescrit dans une correspondance adressée aux Assureurs du marché que « les sinistres consécutifs à la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) ne devront faire l’objet d’aucune exclusion non prévue dans les contrats ». Mieux, il recommande aux Assureurs un «traitement équitable et une protection des assurés » en vue de « préserver les intérêts des assurés et bénéficiaires de contrats ».

Il en résulte donc pour les Assureurs une obligation de prise en charge des conséquences directes de la pandémie avec comme impact un alourdissement des résultats techniques.

Pour revenir à la Côte d’Ivoire, quelles sont les mesures et réponses apportées par les assureurs pour la couverture des pertes d’exploitation liées au Covid-19 ?

Officiellement il n’y a pas de réponses apportées par les assureurs du marché ivoirien en ce qui concerne les risques de pertes d’exploitation liées à la COVID-19. Dans les conditions générales des polices multirisques professionnelles, les risques pandémiques sont exclus. Les risques de pertes d’exploitations couverts sont ceux résultant d’un incendie, d’un bris de ma- chines ou d’un bris informatique. Les risques pandémiques en sont expressément exclus.

Certains assureurs, notamment en Europe, ont plaidé pour la mise en place d’un mécanisme de mutualisation (Etat- Assurances) afin de créer un « régime d’assurance pandémie » capable de répondre à une crise comme celle du Covid-19. Que pensez-vous de la mise en place d’un tel mécanisme dans le contexte africain ?

En effet après l’avènement de la crise à coronavirus covid-19, plusieurs Assureurs notamment en Europe ont plaidé pour la mise en place d’un régime d’assurance capable de répondre efficacement aux conséquences d’une crise à l’échelle du covid19. Dans le contexte africain, il n’existe pas encore de régimes d’assurances spécifiques à la couverture de tels risques.
Du côté des assureurs aucune mesure n’est ni proposée, ni en cours d’élaboration, sauf erreur de ma part. On observe plutôt çà et là des gestes de solidarité sous forme de dons de la part des acteurs.
En effet, à l’avènement de la covid-19, plusieurs Etats africains ont mis en place des fonds d’urgence covid-19 pour juguler les conséquences de la crise.
Les Assureurs africains ont participé de façon extra-contractuelle à l’alimentation desdits fonds par des dons financiers et matériels offerts aux Etats. En République de Côte d’Ivoire par exemple, au-delà des gestes individuels de solidarité opérés par certains acteurs, le marché dans son en- semble à travers l’ASA CI (l’Association des Sociétés d’Assurances de Côte d’Ivoire) a fait un don d’un montant de XOF 100 Millions pour participer à la constitution du fonds d’aide covid-19.
Au-delà de ces mesures extra contractuelles, nous estimons que des réflexions doivent être menées au sein des foras tels que la FANAF (Fédération des Sociétés d’Assurances de droit National Africain), l’OAA (Organisation Africaine d’Assurance) ou même la CIMA dans le but de proposer des mécanismes africains à même de permettre la couverture de tels risques.

A la suite de cette épidémie, quel type de nouveaux produits adaptés à ces risques, les assureurs devront-ils demain proposer à leur clientèle ?

La population africaine est estimée à plus d’un milliard deux millions d’habitants. Le continent compte au 9 août 2020, 1 022 084 personnes contaminées pour 22 491 décès, soit un taux de morbidité de 0.8%0 et un taux de mortalité de 2.20%. Au regard de ces statistiques nous estimons, sous réserve d’étude sérieuse qui pourrait être conduite, que la situation n’est pas si alarmante au point de ne pas couvrir les risques directs liés à cette pandémie. De ce fait, nous estimons qu’à l’exemple du VIH SIDA qui est désormais pris en charge par les contrats d’assurance santé, les Assureurs africains devraient avoir le courage d’étendre leur couverture à la prise en charge des frais de soins liés à cette pandémie ; ce qui devrait être un argumentaire supplémentaire pour redorer leur image écornée auprès du public. Ils pourraient également négocier, dans le cadre du recours subrogatoire, la possibilité de se faire rembourser par l’Etat, tout ou partie des fonds décaissés pour le compte de leurs assurés.

Au-delà des contaminations, il y a aussi les risques de décès du fait de la covid-19. Là aussi, il y a lieu d’intégrer dans les contrats décès invalidités toutes causes confondues souscrit par les Assurés dans le cadre de la couverture des prêts, les risques de décès liés à la covid-19. De ce fait, la covid-19 doit être considérée comme toute autre pathologie et ne doit en aucun cas faire l’objet d’une exclusion spécifique.

En ce qui concerne les risques indirects nous n’avons pas d’informations qui nous permettent d’apprécier la situation. Néanmoins, les études statistiques doivent être menées pour voir la possibilité d’intégrer dans les contrats multirisques des entreprises la couverture des risques de pertes d’exploitation liés à la pandémie covid-19.

Mais aussi de proposer aux travailleurs du secteur privé, un contrat d’assurance chômage qui prévoit le versement à l’assuré d’une indemnité chômage correspondant à tout ou partie de son salaire mensuel sur une période d’indemnisation à définir d’accords-parties. La garantie est acquise à l’Assuré lorsque ce dernier a fait l’objet d’un licenciement de son employeur pour des raisons d’ordre économique liées à la pandémie à covid-19. Il faudra également songer à intégrer dans les contrats d’assurance voyage, si l’assuré contracte la maladie à covid-19 pendant son séjour, la possibilité d’activer les garanties assistance aux personnes associées à ces contrats.

En fonction de la situation du malade, sur avis du médecin de l’assistance, le rapatriement peut être organisé et pris en charge (comme pour toute autre maladie ou accident grave).

Enfin, il conviendrait de proposer dans les contrats invalidité-décès, surtout à l’endroit des acteurs du secteur informel, des capitaux « indemnités journalières » à verser aux victimes pendant les périodes d’incapacité temporaire de travail dues à la pandémie. Ces innovations ne sont toutefois pas exhaustives.


Propos recueillis par A.C. Diallo

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