ENTREPRISE

Interview exclusive de Khady KONE-DICOH – Associée d’AMETHIS

Titulaire d’un Master of Science in Management de l’EM Lyon Business School, d’un Master en droit des affaires de l’Université Lyon III et diplômée de la London Business School, Khady KONE-DICOH cumule plus d’une quinzaine d’années d’expérience dans le domaine du capital-investissement et de la banque d’investissement en Afrique et en Europe. Elle rejoint Amethis en 2013 , en tant que chargée de l’identification et de l’analyse d’opportunités d’investissements, de la supervision des due diligences et de la direction des équipes d’exécution des transactions. Mme KONE-DICOH assume aujourd’hui la fonction d’Associée en charge de l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Australe au sein d’Amethis. Une charge qui n’est pas de tout repos et qui la place en observatrice privilégiée de l’évolution de capital-investissement sur le continent. Dans cette interview, elle évoque l’actualité récente d’Amethis et nous livre son analyse sur les perspectives du Private Equity en Afrique.

Tout d’abord, pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’actualité d’Amethis ?

Merci au magazine BUSINESS AFRICA pour l’opportunité offerte de parler d’Amethis et d’apporter un éclairage sur son actualité. Nous venons de lever 85 millions d’euros pour le premier closing de notre fonds MENA II (Middle East & North Africa), portant ainsi le montant total de nos levés de fonds à 810 millions d’euros au travers de quatre véhicules dédiés à l’Afrique, et avec la particularité de les avoir levés auprès d’investisseurs majoritairement privés (pour 70% d’entre eux). Ceci est assez inédit dans le marché du capital investissement africain où la plupart des levées sont faites auprès de bailleurs de fonds. Il faut savoir qu’Amethis a aujourd’hui presque dix ans d’activités. Nous avons démarré avec un premier closing en décembre 2012 de 140 millions d’euros et avons aujourd’hui 810 millions d’euros sous gestion. Cela démontre la confiance que les investisseurs portent à notre stratégie d’investissement.
Il faut également savoir que depuis notre création, nous avons investi dans une trentaine de sociétés et réalisé 6 sorties dont 2 récemment : une dans le secteur bancaire avec Fidelity Bank au Ghana et l’autre dans le secteur de l’énergie avec Sodigaz au Burkina Faso.
Par ailleurs, nous venons de réaliser un investissement important en Afrique australe dans le secteur pharmaceutique, à travers Avacare, une société qui distribue et fabrique des produits pharmaceutiques innovants et à moindre coût, notamment contre le VIH/SIDA.
Enfin nous venons de lancer une nouvelle stratégie d’investissement, Europe Expansion, qui est tourné vers les PME européennes et françaises ayant l’ambition de se développer sur le continent africain ou de nouer des partenariats avec des entreprises africaines.

Pour revenir sur les 2 sorties récemment réalisées, à savoir Fidelity Bank et Sodigaz, comment cela s’est-il passé ?

Il est vrai que les sorties ne sont pas toujours simples. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut, dès l’investissement, avoir une stratégie de sortie claire ainsi qu’une présence locale permettant une bonne connaissance du marché.
S’agissant des 2 sorties dont vous parlez, elles se sont très bien passées avec d’excellentes performances pour chacune des 2 entreprises à savoir Fidelity Bank et Sodigaz.

Quelques mots sur l’impact de la crise du covid19, vos activités ont-elles été affectées ?

D’abord nous avons constaté que le continent africain a été beaucoup moins touché comparativement à ce que l’on a pu voir en Europe ou aux États-Unis. Les gouvernants africains ont été extrêmement réactifs et ont pris, dès le début de la pandémie, des mesures restrictives comme le couvre-feu, la quarantaine et la fermeture des frontières. Par ailleurs face à cette crise, l’Afrique a certainement bénéficié de la jeunesse de sa population.
Dans nos entreprises, la crise a bien sûr eu des impacts sur le plan économique ou sur certaines chaînes d’approvisionnement. Mais le fait d’avoir été très proches des entreprises de notre portefeuille et notamment de leurs managements, pour les accompagner dans leur gestion de la crise,  leur a permis de demeurer plutôt performantes.

Pour revenir sur l’activité de capital-investissement, après bientôt dix ans d’exercice dans ce secteur, quelles sont les contraintes majeures auxquelles Amethis a dû faire face ?

Je pense que la première contrainte pour un fonds dédié à l’Afrique est de participer au remodelage de la vision que l’on peut avoir du continent. Il y a une perception du risque qui est plus importante que le risque réel. Il faut donc montrer la qualité des PME africaines, qui sont de plus en plus innovantes, bien gérées et tout aussi performantes dans des marchés à forte croissance que des PME européennes. Il y a donc une capacité à faire de bons retours sur investissements et de l’impact qui doit conforter les investisseurs à flécher leurs fonds sur le continent.
Par ailleurs, concernant le secteur du capital investissement, il manque encore des acteurs, il faut qu’il y ait plus d’acteurs financiers sur tout le cycle de vie de l’entreprise, que ce soit du venture capital ou des fonds de capital croissance comme le nôtre.

On note effectivement l’existence de plus de fonds d’investissement sur le continent africain mais principalement dans sa partie anglophone. Comment l’Afrique francophone pourrait-elle combler son retard ?

D’un point de vue réglementaire, il y a certainement des réflexions à mener afin que l’on puisse créer plus de fonds localement en Afrique, des initiatives sont en cours.
Aujourd’hui il n’y a pas de statut juridique spécifique au fonds d’investissement comme il en existe en Europe et la plupart des fonds qui interviennent en Afrique francophone sont basées hors de l’Afrique continentale,  notamment à l’île Maurice, ou en Europe où il existe des mesures incitatives à l’exercice de leurs activités.
La création de fonds d’investissement localement est d’autant plus nécessaire qu’il existe en Afrique une importante épargne à mobiliser pour soutenir les PME locales. Il faudrait pour cela que le cadre réglementaire et fiscal évolue en faveur d’une meilleure promotion de ce type de véhicule.

Malgré toutes ces contraintes, quelle appréciation portez-vous sur les perspectives du capital-investissement en Afrique ?

Chez Amethis, nous restons bien sûr confiants sur les perspectives du capital investissement en Afrique. Malgré les contraintes et la crise actuelle, nous constatons que les investisseurs ont été globalement plutôt renforcés dans leurs stratégies d’investissement en Afrique. Nous venons de lever le fonds MENA II avec un premier closing à 85 millions d’euros, ce qui prouve bien que les investisseurs n’ont pas été refroidis par la crise sanitaire.
Par ailleurs, nous avons la conviction qu’avec cette crise mondiale, l’Europe et les États-Unis ont saisi la mesure des enjeux d’une dépendance à l’Asie et des risques associés au manque de diversification. Dans cette perspective, l’Afrique peut jouer un rôle significatif.
Enfin la question de l’impact charpente de plus en plus les stratégies d’investissement. Les investisseurs, estiment que la croissance durable et la performance financière à moyen-long terme vont de pair. La croissance durable doit ainsi être au cœur de la stratégie pour soutenir le développement des entreprises.

Dernière question, quelle est la spécificité de l’approche d’Amethis par rapport aux autres fonds de Private Equity ?

D’abord il est important de noter qu’Amethis a 5 bureaux dont 3 sur le continent : Abidjan, Nairobi et Casablanca. Cela permet d’être plus proche du terrain et donc des entreprises dans lesquelles nous investissons.
Une autre particularité tient au fait que nous faisons à la fois des investissements minoritaires et majoritaires. L’objectif étant pour nous d’accompagner les entreprises qui nous font confiance dans la seconde étape de leur développement. En termes de sphères d’intervention, nous privilégions les secteurs portés par la croissance de la classe moyenne et qui participent au développement du pays, je pense notamment aux secteurs de la santé, de l’éducation, de la production manufacturière ou des services.
Enfin, je rappelle que nous avons un partenariat historique avec le groupe Edmond de Rothschild, qui possède un vaste réseau d’entrepreneurs sur lequel nous pouvons nous appuyer pour accompagner les sociétés de notre portefeuille dans leurs partenariats commerciaux ou financiers.

Entretien réalisé par A.S. TOURE

© Magazine BUSINESS AFRICA

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