« La vraie valeur ajoutée du secteur minier africain se trouve dans la transformation » Aimé Emmanuel YOKA, Directeur Général de Congo Iron (Filiale du Groupe Sundance Ltd)
Comment se porte, d’une manière générale, l’activité des industries extractives au Congo-Brazzaville ?
Si on se limite aux mines solides, l’activité reste bien en dessous du potentiel de ce pays. Rappelons que le Congo-Brazzaville c’est potentiellement 100Mtpa de minerai de fer, 3.2Mtpa de potasse, 4.1Mtpa de phosphate et 20Kta de cuivre. Or, à ce jour, seul le projet de cathode de cuivre de Soremi est entré en production en 2017. Cela s’explique en partie par le cout de développement relativement faible de ce projet comparé aux autres projets puisqu’il nécessitait environ 300 Million de dollars US quand les autres projets ont un besoin en capex d’environ 1.6 Milliards de dollars. Le fait que ce projet n’ait pas eu besoin d’infrastructures lourdes a également aidé à l’entrée en production. Pour ce qui est des autres projets, ils continuent de faire face à d’énormes défis – Un manque d’infrastructures ferroviaires, portuaires ou énergétiques tout d’abord mais aussi par une lenteur administrative et un climat des affaires qui n’aident pas à la levée des financements. Je pense ici aux différentes procédures arbitrages qui minent l’activité. Ceci est fort regrettable car pour certains de ces projets, ils auraient représenté entre 10-15% du PIB national une fois rentrés en production. L’activité se porte donc comme un condamné à mort que l’on amène à la potence un lundi et qui déclare : « voila une semaine qui commence mal ».
On parle d’une hégémonie des entreprises chinoises dans le secteur minier congolais. Est-ce également votre avis ? Faut-il s’en inquiéter ?
Je crois que le terme hégémonie est surfait et prématuré à ce stade. Cela en prend le chemin mais nous n’y sommes pas encore. Les plus gros projets jusqu’à très récemment étaient entre les mains des Australiens, Anglais, Américains, Sud-Africains et autres. Il est vrai que des permis importants ont récemment été délivrés à des entités Chinoises non sans controverse. Faut-‘il s’en inquiéter ? Non, car personnellement je crois qu’il est déjà trop tard pour être pessimiste même si l’investissement chinois a permis l’entrée en production du projet Soremi auquel je faisais référence tout à l’heure. Nous remarquons néanmoins que les Chinois ont tendance à importer leur main d’œuvre au détriment des locaux. Cela contribue à laisser sans emplois des jeunes qui aimeraient prendre une part aux efforts de développement de leur pays. La réalité c’est que les Chinois iront aussi loin que les autorités locales le permettront. Malheureusement le niveau de pénétration par les Chinois dans l’économie est déjà si significatif qu’il est difficile de ne pas anticiper la même chose sur un secteur aussi stratégique que les mines.
Qu’en est-il du dossier de retrait du permis de CONGO IRON, l’entreprise que vous dirigez, et qui a été octroyé à l’entreprise chinoise SANGHA MINING DEVELOPMENT ? Ce dossier est-il définitivement clos ?
Voila une transition qui illustre parfaitement mon propos. CONGO IRON SA et sa maison mère Sundance poursuivent la procédure d’arbitrage lancé le 25 Mars 2021 au niveau international. Nous avons tout d’abord exposé le contexte factuel du projet et du différend. Détaillé la base juridique de chaque réclamation intentée contre le Congo et recueilli un certain nombre de déclarations de témoins et enfin nous avons partagé les rapports de plusieurs experts indépendants couvrant la valeur du projet et démontrant des dommages allant de 1,5 milliard de dollars à 5,7 milliards de dollars, selon le prix du minerai de fer utilisé. Le Congo a répondu à cela et les deux parties examinent actuellement les documents de découverte qui ont été demandés. À la suite de cet examen et d’autres exigences procédurales, la première audience de la CPI devrait avoir lieu au premier trimestre de 2024. Ce dossier suit son cours comme la rivière peut suivre son cours sans sortir de son lit.
Pensez-vous que le code minier congolais est suffisamment attractif pour d’éventuels investisseurs ou faut-il encore en améliorer certains dispositifs ?
En théorie, ce code est l’un des meilleurs au monde puisqu’il a été voté 2e code le plus attractif en 2006 à Londres. Il offre un certain nombre d’exonérations de taxes pendant la phase d’exploration y compris l’impôt sur les bénéfices des sociétés, de la taxe spéciale sur les sociétés, la taxe sur la valeur ajoutée, la taxe forfaitaire sur les salaires, du droit d’enregistrement de tout acte et d’autres encore. La réalité de terrain est toute autre et plusieurs miniers peinent a faire enregistrer les actes par l’administration locale. Il y a un souci de superposition de permis par lequel plusieurs exploitants peuvent explorer une même surface. Enfin, les avantages fiscaux et douaniers ne sont pas spécifiques dans le code minier qui revoie à la charte des investissements sans prendre en considération les spécificités propres au secteur des mines. Plusieurs projets de nouveau code ont depuis été initié dont un financé par la banque Mondiale mais rien de finalisé à ce jour.
Le régime fiscal applicable aux industries extractives vous semble-t-il équilibré ?
Cette notion relève à la fois des données empiriques que de la théorie académique ou de nombreux travaux ont été fait dans ce sens car il est très difficile de définir un équilibre entre l’investisseur qui risque ses capitaux et les pays hôtes qui sont détenteurs des ressources naturelles. La réponse dépend de la personne à qui vous posez la question. Les investisseurs pensent que oui mais les autorités locales trouvent qu’elles ne bénéficient pas assez des retombées d’une fiscalité qu’elles jugent insuffisantes. La vérité est sans doute au milieu mais il est primordial de communiquer en toute transparence sur les couts engagés. A Congo Iron nous avions organisé des ateliers présentant à une commission gouvernementale les modèles financiers pur qu’ils puissent mieux apprécier l’impact de la fiscalité actuelle. Je pense que la solution serait pour les Etats riches en ressources naturelles de prendre en main leur destin en investissant eux-mêmes dans les projets extractifs et la question ne se posera plus.
L’explosion de la demande mondiale en métaux et pierres précieuses entraînera, à terme, un épuisement des gisements. Ne pensez-vous pas qu’il est temps pour les pays africains d’aller vers la création de véritables industries de transformation minière, à l’image de l’Afrique du Sud ou du Canada ?
Oui, car il ne fait aucun doute que la vraie valeur ajoutée se trouve dans la transformation tant elle est un facteur puissant de création d’emplois, d’élargissement du contenu local et de revenus additionnels pour les pays hôtes. Si l’on regarde le minerai de fer par exemple, on constate qu’il ne représente qu’environ 5% du cout de la valeur du produit final pour ce qui de l’acier. Cependant, tous les pays n’ont pas nécessairement les moyens de cette ambition de transformation car Il faut déjà tenir compte du manque d’infrastructures mentionnées plus haut. Nous avions au sein de la Fédération des mines calculé que si les projets majeurs entraient tous en production, ils consommeraient à eux seuls près de 80% de la puissance installée au Congo. Peut-être plus délicat encore est le manque de formation à tous les niveaux de la chaine en ressources humaines d’un projet minier. Vous pouvez lever tous les financements que vous voulez, si vous n’avez pas le personnel capable d’apprécier les contours de la sophistication du processus industriel vous n’y arriverez pas. L’accent doit donc être mis sur la formation technique et managériale et cela passe par un transfert de compétences venant des investisseurs privés au travers d’un alignement parfait avec les instituts de formations techniques et universités locales.
Quels sont les projets et perspectives, à court et moyen terme, de CONGO IRON ?
A ce stade, CONGO IRON et sa maison mère Sundance sont devenues des sociétés de dites de « litigation » suite au retrait de notre permis minier au Congo. Nos perspectives se limitent donc à l’arbitrage et selon l’issue de cet arbitrage nous pourrons envisager la suite mais à ce stade aucun autre projet est prévu au Congo ou ailleurs.
Propos recueillis par A.S. TOURE – © Magazine BUSINESS AFRICA