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Daouda COULIBALY, PDG de SAMA MONEY : « Nous revendiquons notre ancrage africain »

Daouda COULIBALY était destiné à reprendre le commerce familial de pièces détachées, mais après l’obtention d’une bourse d’excellence, il se retrouve en France où il parvient à obtenir un master en aménagement du territoire. De retour au Mali, il s’essaie dans la vente d’ordinateurs, puis dans la formation des clients à l’utilisation de logiciels de bureautique. Cette expérience lui permet de mettre le doigt sur un réel besoin, celui de la formation. Il crée alors, en 2008 l’entreprise TRAINIS spécialisée dans la formation en informatique. Quelques années plus tard, soucieux de servir les personnes exclues du système financier classique dans les zones rurales, semi-urbaines et urbaines, le voilà qui co-fonde, en juillet 2018 SAMA Money. Cette Fintech propose une offre intégrée à travers sa plateforme innovante de paiement et de transfert d’argent. Depuis 4 ans, SAMA Money révolutionne le marché des paiements mobiles en proposant un service financier digital unique, accessible et adapté aux réalités des populations.

Quelques mots sur SAMA MONEY que vous avez créé et dont vous assurez la présidence. Quelles sont ses activités et quelle est la spécificité de son offre ?

SAMA Money est une Fintech qui propose une plateforme innovante de paiement et de transfert d’argent simple, conviviale, fiable, accessible et abordable. Nous considérons que notre première particularité par rapport à la concurrence est notre ancrage africain. Il s’agit d’une initiative 100% africaine menée par des jeunes engagés dans la promotion de l’inclusion financière et dans le développement du continent grâce à un outil de paiement mobile au plus près des besoins des populations. Ainsi, dès le départ nous avons supprimé les frais de transfert d’argent. Le client ne paie qu’une modique somme qui représente entre 0,5% et 1% du montant lors du retrait de cash. Nous avons également tenu à maintenir des niveaux de commissions élevées à nos distributeurs, faisant de SAMA Money à ce jour, la solution la moins chère du marché et qui rémunère le mieux. D’autre part, l’offre multi-opérateur et la multiplicité des canaux via lesquels le client peut accéder à nos services représentent un grand point différenciant qui permet aux abonnés de tous les opérateurs de bénéficier équitablement, à tout moment et en tout lieu de nos services de mobile money. Cette indépendance vis-à-vis des opérateurs téléphoniques est un atout majeur lorsque l’on sait que dans beaucoup de pays africains, les solutions de mobile money des opérateurs téléphoniques sont limitées à leurs abonnés téléphoniques alors même qu’aucun opérateur ne dispose d’une couverture totale du territoire. De ce fait, se retrouvent exclues les populations qui sont situées dans des localités où le signal GSM de l’opérateur en question n’est pas disponible. Avec SAMA Money, il suffit d’un seul signal GSM pour que le client puisse accéder à notre solution de mobile money. Ainsi, au Mali comme au Burundi et bientôt en Côte d’Ivoire, nous sommes les seuls à offrir aux populations une plateforme accessible via 4 canaux distincts : le Web, l’application mobile Android ou iOS, WhatsApp et l’USSD avec le #600# pour le Mali et le #300# pour le Burundi. Grâce à l’USSD notre solution est accessible même sans connexion internet et sans distinction d’opérateur téléphonique avec un code unique. A ces points s’ajoutent enfin la box multiservice à travers laquelle le client a accès à une panoplie de services dématérialisés qu’il peut payer directement en ligne sans coût de service : à savoir les recharges téléphoniques de tous les opérateurs du marché, le paiement des factures d’eau et d’électricité, le paiement des crédits de compteurs prépayés d’électricité, le paiement des abonnements Canal+, Startimes et Malivision, le paiement de polices d’assurances, etc.

Aujourd’hui, nous assistons à un développement fulgurant des Fintech en Afrique. A quoi peut-on attribuer, selon vous, ce fort engouement ?

Avec la croissance la plus rapide au monde, c’est tout l’écosystème tech africain qui est en pleine effervescence. En une année, de 2020 à 2021, les activités du secteur ont doublé et les montants investis ont triplé.  Un état de fait qui s’explique principalement par le bouleversement des comportements économiques des populations grâce à la réduction de la fracture numérique et au fort taux de pénétration du mobile qui s’élevait à 25% en 2020, selon la Banque Mondiale. D’autre part, les fintechs ont été perçues comme une excellente alternative aux systèmes financiers classiques lors de l’avènement de la pandémie de la Covid-19. A cela s’ajoute le faible taux de bancarisation s’élevant à 20% en 2020 selon l’UEMOA. Des tendances qui constituent autant d’opportunités à saisir par les fintechs. Par ailleurs, contrairement aux services financiers classiques existants, les fintechs répondent mieux aux besoins réels des populations africaines. SAMA Money par exemple arrive à véritablement démocratiser l’accès à ses services financiers en offrant divers modes d’utilisation : via un code USSD, via WhatsApp ou encore via une application mobile SAMA pour iOS ou Android.

Malgré son développement fulgurant, les Fintech font encore face à certains obstacles et contraintes, au niveau de SAMA MONEY, quels sont-ils ?

Un des premiers obstacles est la difficulté à se faire accompagner par les banques dans le financement du réseau de distribution, par exemple, ou encore la difficulté à nouer des partenariats avec les banques. En effet, Le financement est un élément crucial dans le développement d’une entreprise. Malheureusement dans notre environnement, nous avons très peu de leviers de financement sur lesquels peuvent s’appuyer les porteurs de projets ou les entrepreneurs. Cependant, nous constatons que l’effervescence actuelle de l’écosystème entrepreneurial africain a entraîné des niveaux record d’investissements sur le continent atteignant les 5,2 milliards de dollars en 2021 (soit une progression de près de 92% selon le rapport 2021 de Partech Africa). Si cette tendance devrait se renforcer, l’accès à ces fonds n’en restent pas moins difficile, surtout avec la hausse des taux d’interêt. Un constat qui prend toute la mesure de la nécessité d’une implication des pouvoirs publics pour pérenniser cette dynamique par la mise en place et la démocratisation de mécanismes permettant un meilleur accès aux financements locaux. Il est impératif que nos décideurs mettent un accent particulier sur les mécanismes de financement et de garanties pour supporter les entrepreneurs locaux afin de doter nos pays d’un tissu d’entreprises dynamiques et pérennes. Des entreprises qui puissent pleinement jouir de l’immense opportunité qu’offrent nos marchés et libérer pleinement leur potentiel.

La sécurité des données est un élément important des Fintech. D’une manière générale, pensez-vous qu’en Afrique cette exigence est respectée ou que faudrait-il pour le faire ?

La question de la protection et de la sécurité des données dépasse de loin le seul domaine de la Fintech. Avec le développement du secteur numérique, la protection des données est devenue un enjeu majeur Africain et touche l’ensemble des domaines ayant recours à la data. Ainsi, les gouvernements et l’ensemble des acteurs travaillent à assurer un cadre sûr et protégé et la majorité des pays africains disposent de loi dédiée à la protection des données et d’un organe de contrôle établie. SAMA Money est une plateforme sécurisée qui respecte les normes standards en matière de sécurité bancaire ainsi qu’en termes de recommandations ISO  27001. Nous faisons tout pour nous aligner aux réglementations en vigueur afin d’assurer une protection maximale des données sensibles que nous manipulons au quotidien.

Pensez-vous que les banques et les Fintech sont plutôt concurrents ou complémentaires ? Pourquoi ? 

D’une façon générale nous sommes complémentaires car partout où les banques ne sont pas présentes, les Fintechs prennent le relais en fournissant des services simples, adaptés et accessibles à la clientèle à travers leur réseau de distribution basé sur la proximité ou avec le Bank to wallet.  Par ailleurs, partout où nous répondons au même besoin, les Fintechs offrent pratiquement les mêmes services que les banques c’est-à-dire dépôt et retrait d’argent, ouverture de compte, épargne, transfert d’argent, paiement de services, paiement en masse etc.  Les fintechs et les banques gagneraient donc positivement en impact en collaborant. 

Les Fintech sont porteuses d’innovation et parfois de rupture. Doivent-ils, selon vous, être régulés comme de véritables institutions financières ?

Les Fintechs sont porteuses d’innovation dans la mesure où leur processus de développement tend toujours vers la disparition du support papier, la réduction des étapes du parcours client pour un service donné en proposant des services financiers à travers les nouveaux outils de technologie et de la communication.  A l’image des banques et autres institutions financières, les Fintechs ont également besoin des autorités de régulation telles que les banques centrales, l’Autorité de Protection des Données à caractères Personnel (APDP), la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) etc. Dans un tel écosystème, les régulateurs des secteurs financier et télécom devront pour l’avenir jouer un rôle accru d’encadrement et d’accompagnement : assouplissement du cadre réglementaire, développement d’offres de formation orientées vers les métiers du numérique, etc. Les organes centraux de régulation à la croisière de la finance digitale devront rapidement trouver les moyens de décloisonner les acteurs et les services de l’environnement financier numérique en s’appuyant sur une démarche bien rodée et des outils adaptés aux défis du secteur en pleine croissance.

Pour revenir à SAMA Money, quelles sont vos perspectives pour les 10 prochaines années, prévoyez-vous l’ouverture d’autres filiales ?

Nous avons pour ambition de couvrir l’ensemble des pays de l’UEMOA dans les cinq prochaines années ainsi que ceux de la zone CEMAC (en Afrique Centrale). Pour l’instant, nous travaillons d’arrache pieds pour lancer le wallet SAMA Money en Côte d’Ivoire où nous sommes en phase pilote depuis quelques mois. La Guinée et le Sénégal suivront en 2023. Dans cette perspective, nous avons entamé la démarche de lever 60 millions d’euros de financement pour soutenir notre expansion et améliorer l’inclusion financière en Afrique de l’Ouest et du Centre. La collecte de fonds est menée par la banque d’investissement SouthBridge et une tournée de présentation est sur le point de commencer.


 Propos recueillis par A.C. DIALLO – © Magazine BUSINESS AFRICA

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