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“Nous visons la première place au Sénégal” Mouhamadou Madana KANE, Directeur général de la Banque Islamique du Sénégal

Nommé directeur général de la Banque Islamique du Sénégal (B.I.S) il y a deux ans, Mouhamadou Madana KANE a fait son baptême de feu dans un contexte marqué par la mutation des usages bancaires, accentuée par la crise du Covid-19. Seule institution bancaire de la place de Dakar, habilitée à réaliser des opérations de finance islamique, la B.I.S est aujourd’hui dans une dynamique de forte croissance. Sur quels leviers la banque compte t-elle s’appuyer pour poursuivre et amplifier cette dynamique ? Les réponses de son directeur général dans cette interview.

Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter en quelques mots, la Banque
Islamique du Sénégal et notamment ce qui fait sa spécificité ?

La Banque Islamique du Sénégal est une institution financière créée en 1982.
Elle va bientôt fêter ses 40 ans.
Elle se positionne aujourd’hui sur l’échiquier bancaire sénégalais comme une banque de référence.
Son actionnariat est composé de diverses entités, parmi lesquelles le groupe de la Banque Islamique de Développement qui est l’actionnaire majoritaire à hauteur de 77%.
A ce propos, je tiens à signaler que la BIS est la seule institution financière sénégalaise dotée d’un actionnariat composé d’une institution financière multilatérale cotée triple A.
L’Etat du Sénégal est également actionnaire à hauteur de 6%, enfin le secteur privé est représenté à hauteur d’environ 17%.
En ce qui concerne notre spécificité, il convient de rappeler que depuis 2018, les autorités de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest ont adopté une nouvelle réglementation régissant les conditions d’exercice des activités de Finance Islamique par les banques Islamiques ou par les fenêtres islamiques ouvertes au sein des banques conventionnelles.
A ce jour, la BIS est la seule banque habilitée à réaliser exclusivement des opérations de finance islamique au Sénégal.
Un dispositif de gouvernance existe au sein de la Banque pour garantir la conformité islamique de nos opérations, avec la mise en place d’un Conseil de Conformité Interne (Shariah Board) composé d’experts nationaux et internationaux en finance Islamique.

En dehors de cette spécificité, sur quels avantages comparatifs la BIS fait-elle la différence dans un environnement bancaire sénégalais de plus en plus concurrentiel ?

Avec 27 banques et établissements financiers, le secteur bancaire sénégalais est, en effet, très concurrentiel.
Ce qui fait la différence entre les banques, c’est d’abord la qualité du service.
A ce niveau, la BIS a mis en place un certain nombre de dispositifs pour améliorer et enrichir le parcours client, qu’il soit un particulier, une entreprise ou un institutionnel.
L’objectif ultime est de permettre à ce client d’accéder au crédit et aux services bancaires de qualité, dans un délai le plus court possible. Au-delà de la qualité du service, ce qui est déterminant, c’est la proximité avec la clientèle et l’innovation dans les produits.
A ce sujet, notre souci permanent d’innover nous permet de répondre aux besoins évolutifs de nos clients avec une gamme de produits innovants destinés aux clients particuliers, notamment fonctionnaires, ainsi qu’aux grandes, petites et moyennes entreprises.
Nous sommes conscients par ailleurs que notre rôle premier en tant que Banque c’est de financer l’économie. De ce fait, notre approche consiste à développer des produits à destination de tous les segments de l’économie sénégalaise.
Pour résumer, je pense que les deux grands enjeux portent sur la qualité de service et l’innovation.
A cet égard, la BIS s’investit pleinement pour jouer sa partition, ce qui lui vaut aujourd’hui de détenir 9% de part de marché, et de se placer à la 3ème place du classement des banques sénégalaises.

On sait que la digitalisation est un critère important de la performance d’une banque, quelle place occupe-t-elle dans la stratégique de la BIS ?

La digitalisation occupe une place prépondérante dans notre activité, aussi bien sur le plan interne qu’externe.
Au niveau interne, nous sommes soucieux d’automatiser l’ensemble de nos process, afin d’assurer une bonne qualité de service au client.
Au niveau externe, les clients veulent pouvoir consulter leur compte ou effectuer des opérations bancaires sans se déplacer aux guichets de le banque.
Aussi, au-delà des outils classiques de mobile banking ou d’internet banking, nous avons récemment développé un outil WhatsApp banking, qui permet au client d’accéder à une partie de son information bancaire via whatsApp.
Nous travaillons également à la mise en place de crédits digitaux qui permettront d’accentuer la stratégie de digitalisation externe de nos produits. Nous voulons arriver à un niveau où le client pourra faire ses demandes de financement par internet et mobile Banking, le tout en toute sécurité et confidentialité.

Le monde a été secoué par la crise du Covid-19 dont les effets perdurent encore et maintenant par les conséquences de la guerre russo-ukrainienne. Comment la BIS fait-elle face à ces chocs ?

Les banques sont habituées aux crises. L’enjeu principal face aux crises c’est la résilience.
A ce sujet, nous avons eu la chance en période de COVID 19 d’avoir un régulateur prévoyant et agile, ce qui a globalement favorisé la résilience des banques sénégalaises.
Par ailleurs l’Etat a également joué sa partition avec la mise place de certains mécanismes pour soutenir les entreprises notamment les PME.
Aujourd’hui, nous faisons face aux effets du conflit russo-ukrainien, qui impactent forcément une partie de notre clientèle.
Nous adoptons une politique de prudence tout en accompagnant nos clients impactés.
Dans ces périodes difficiles, nous veillons à jouer notre double rôle de banquier-conseiller et de financier, afin de permettre à nos clients de surmonter ces chocs exogènes.

Le Sénégal sera bientôt membre du club des pays africains producteurs de pétrole. Comment la BIS a-t-elle intégré cette nouvelle donne dans sa stratégie ?

Selon les prévisions du FMI, le secteur pétrolier et gazier devrait produire 6 à 7 points de PIB au Sénégal, sur une période de vingt ans.
Ce qui veut dire que l’économie sénégalaise va fortement croitre sous la nouvelle ère pétrolière et gazière. Cette croissance de l’économie va nécessairement interpeller les banques, dont le rôle principal est, comme je le disais tantôt, de financer l’économie.
Pour ce qui nous concerne, nous nous préparons à cette nouvelle ère en mettant en place des stratégies sectorielles visant à positionner la BIS sur la chaîne de valeur des industries pétrolières et gazières, avec un focus particulier sur les entreprises locales intervenant dans cette chaine.
Le Sénégal a adopté une loi sur le contenu local pour permettre aux entreprises sénégalaises de jouer pleinement leur rôle dans ce boom pétrolier et gazier.
Nos stratégies sont destinées à accompagner ces entreprises aussi bien en amont dans le cadre de leurs besoins d’investissement, qu’en aval dans le cadre de leurs besoins en lignes d’exploitation.

Le financement des PME demeure une problématique cruciale en Afrique et plus particulièrement au Sénégal. Quelle est l’approche de la BIS en la matière ?

Le tissu économique sénégalais est en effet fortement dominé par les PME. Or ce secteur est celui où les banques rechignent à financer, estimant à tort certainement, qu’il est trop risqué.
De surcroit, l’incapacité des PME à fournir des garanties éligibles est trop souvent un frein à leur accompagnement par les banques.
A la BIS, la part des PME dans la structure du portefeuille a considérablement évolué au cours des deux dernières années, passant d’environ 11% en 2020 à 20% en 2021.
Cette évolution témoigne de l’appétit de la banque à accompagner ce segment important de l’économie qui, pour nous, a le double avantage d’être non seulement rentable mais en plus d’être très réceptif aux mécanismes de fonctionnement de la finance Islamique.

La BIS a-t-elle mis en place une politique RSE ? Si Oui, quelles sont les actions phares qu’elle a pu mener ?

La Banque intervient principalement dans le social.
Elle est souvent sollicitée pour le financement des projets dans le domaine de l’éducation ou de la santé. Nous soutenons des initiatives portant sur la construction ou l’aménagement de mosquées et accompagnons également les daaras dans leur structuration financière et dans le financement de leur besoin en fonds de roulement. Il nous arrive aussi d’apporter notre concours à des associations chrétiennes qui défendent des causes sociales que nous partageons.

Sur quels axes prioritaires comptez-vous orienter votre stratégie pour les 5 prochaines années ?

Notre stratégie pour les 5 prochaines années portent principalement sur deux piliers.
Le premier pilier c’est la consolidation de notre développement interne, avec l’ambition claire de devenir la première banque au Sénégal.
Pour y arriver, nous poursuivrons la modernisation de notre outil de travail, avec comme pierre angulaire la digitalisation de l’ensemble de nos process clés.
Notre croissance devra être accompagnée d’une efficacité opérationnelle et d’une meilleure compréhension des besoins de nos clients.
Le second pilier tient à notre stratégie de croissance externe, avec l’ambition que nous avons de créer un écosystème de services financiers islamiques autour de la BIS.
D’ici les 5 prochaines années, nous souhaitons ouvrir des filiales ou succursales bancaires dans d’autres pays de l’UEMOA et mettre sur pied d’autres filiales dans le domaine notamment de l’assurance Takaful et de la microfinance Islamique.

Dernière question, considérant tous ces chantiers à mener qui sont autant de défis à relever, vous considérez-vous comme un banquier qui fait de l’entreprise ou un entrepreneur qui fait de la banque ?

En tant que banquier, ma seule ambition est de faire jouer à ma banque son principal rôle qui est celui de financer l’économie.
En tant que banque islamique, nous aspirons à contribuer à un meilleur épanouissement des populations à travers le financement de l’économie et des entités qui la portent.
Il ne faut pas oublier que la finance Islamique est avant tout une finance de développement.

Entretien réalisé par A. Touré

© Magazine BUSINESS AFRICA – 2022

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Un commentaire

  1. Intéressant interview . Je profite de cette fenêtre pour apporter quelques contributions .
    Sur le financement à l’économie , ma contribution est d’inciter à l’étude de la réalité du secteur informel en vue de trouver les perspectives de l’intégrer dans la gamme de financement de la Banque islamique . Le secteur informel représentant plus de 80% de la population active dans la plupart des pays en voie de développement comme le Sénégal . Les produits de la Banque islamiques me semblent plus appropriés pour trouver de solutions innovantes aux réalités du secteur de l’informel .
    L’autre volet porte sur les choix stratégiques dans le financement des projets et chantiers . L’expérience montre que les bailleurs de fonds ont constamment revus et mis à jour leur procédures et niveau d’implications dans l’implémentation des cibles financés .
    A la levée des fonds jusqu’à l’atteinte des résultats attendus . Le bilan ne devrait pas se traduire seulement en terme de volume de financement mais surtout en performance de financements par rapport à l’atteinte des résultats attendus C’est avec plaisir que je partage avec vous mon contact mail : aboubakrine2002@gmail.com . Cordialement.

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