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“Le taux de rendement des investissements en Afrique est le plus élevé au Monde” Latyr DIOP, CEO Arthemis Capital

C’est à Dakar, au Sénégal que Latyr DIOP effectue ses premières années d’études, jusqu’à l’obtention de son baccalauréat, série C. Il entame ensuite, en France, des études supérieures en Mathématiques et Informatique appliquées aux Sciences (MIAS). Latyr DIOP débute une carrière militaire de trois ans dans les forces spéciales françaises. Il reprendra ses études en intégrant une école de commerce parisienne avant de poursuivre une carrière de 20 ans dans la banque d’affaires. Latyr DIOP est basé à Londres et il est actionnaire-dirigeant depuis 5 ans d’entreprises actives dans la banque d’investissement, l’agro-alimentaire et l’immobilier.

Selon vous, l’Afrique demeure-t-elle encore un terrain propice à l’investissement ?

L’Afrique a 1,4 milliards d’habitants et la population la plus jeune au monde dont les trois quarts a moins de 30 ans et un âge médian de 19 ans.
Le taux de croissance de la classe moyenne en Afrique est le plus élevé au monde avec un nombre estimé entre 350 et 425 millions et une population urbaine de 42%.
La qualité du système éducatif va crescendo et le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur africain devrait doubler d’ici 2030 augurant d’une main d’œuvre abondante et qualifiée. Les jeunes subsahariens sont des étudiants très convoités par les meilleures universités au monde avec un taux de mobilité de 4,5% contre 2% en moyenne dans le monde.
L’Afrique dispose de ressources naturelles abondantes qui attirent la quasi-totalité de ses Investissements Direct Étrangers (IDE).
Les États africains se démocratisent et investissent beaucoup dans les infrastructures, l’éducation et l’amélioration du climat des affaires.
Tous ces facteurs m’amènent à conclure que l’Afrique demeure un terrain propice à l’investissement.

Dix des économies à la croissance la plus rapide au monde sont en Afrique, cette tendance va-t-elle se poursuivre ou s’inverser ?

Cette tendance va se poursuivre pour plusieurs raisons.
D’abord,les pays développés subissent une forte inflation et les banques centrales mettent en place une politique monétaire restrictive qui laisse planer un risque de récession ou de stagflation.
La hausse des taux aux USA entraine une forte appréciation du US$ et fragilise la capacité des pays émergents et pauvres à assurer le service de leur dette en US$. Le Sri Lanka est l’une des premières victimes tandis que l’Égypte, l’Angola, la Tunisie et le Ghana montrent des signes de vulnérabilité.
Les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), qui étaient des pays émergents à forte croissance sont confrontés à de multiples difficultés en ce moment.
La politique zéro COVID, les tensions géopolitiques et la purge de l’industrie tech en Chine impactera sa croissance.
Enfin, le continent africain a été le moins touché par le COVID et dispose de toutes les ressources pour être autosuffisant en énergie et devenir le grenier du monde.
Une croissance rapide et agressive devrait se poursuivre sur le moyen et long terme pour rattraper le retard qui nous sépare des pays asiatiques.
En 2021, l’Afrique a enregistré un PIB de 2.700 milliards de US$ et le PIB par habitant en Afrique sub-saharienne était de 1.645 US$.
Ces chiffres sont à comparer avec l’Asie qui a généré un PIB de 41.780 milliards de US$ et un PIB par habitant de 8.922 US$.
J’utilise l’Asie comme benchmark car nous étions au même stade de développement au lendemain des indépendances au début des années 1960.

Vu ce contexte, quelles devront être les actions prioritaires à engager par les Etats africains pour redynamiser le secteur de l’investissement, qu’il soit d’ailleurs national ou étranger ?

L’Afrique attire seulement 2% des IDE qui vont majoritairement dans les ressources naturelles.
Le taux de rendement des IDE en Afrique est le plus élevé au monde à 12% contre une moyenne mondiale de 7%.
Ces 2% sont largement insuffisants et ne vont pas dans les secteurs qui développent l’Afrique.
Les différentes pistes d’actions prioritaires qui me viennent à l’esprit sont les suivantes : (i) enraciner des démocraties stables et pérennes ; (ii) avoir un système judiciaire efficace ; (iii) améliorer le climat des affaires ; (iv) mettre en place une fiscalité attractive ; (v) promouvoir des infrastructures physiques et sociales de qualité ; (vi) mitiger les risques auxquels sont confrontés les investisseurs ; (vi) supprimer les barrières à la libre circulation des biens et des personnes.
La Zone de libre-échange continentale Africaine (ZLECAf) étant un pas dans la bonne direction, il convient de développer des marchés boursiers liquides en facilitant notamment le listing des entreprises.

Comment, selon vous, l’Afrique peut-elle attirer les fonds de pension des pays développés à investir plus massivement sur ses projets ?

L’Afrique pourrait, en effet, attirer une partie des 380.000 milliards gérés par les fonds de pension, compagnies d’assurance et fonds de dotation (endowment funds).
Il faut savoir que les fonds de pension représentent 56.000 milliards de US$ dont moins de 1% est investi en Afrique.
Les fonds de pension des pays développés sont confrontés à des retraités de plus en plus nombreux, une population qui contribue en baisse et des rendements faibles alors qu’ils pourraient gagner 5% de plus sur leurs investissements en Afrique.
Cependant les gérants de fonds de pension ont une aversion au risque, le paiement des retraites étant un sujet sensible dans les pays développés, et ils rapatrient leurs fonds au moindre soubresaut dont l’Afrique n’est pas avare.
On pourrait les attirer et mettre des barrières à la sortie des capitaux comme plusieurs pays émergents le font mais cela n’est pas la panacée.
Il faut donc mettre l’accent sur les fonds de pension africains qui gèrent plus de 350 milliards de US$ alors que le déficit annuel pour l’accès de toutes les populations africaines à des routes de qualité, l’eau, l’électricité et l’internet est estimé entre 130 et 170 milliards de US$ par la Banque Africaine de Développement.
A l’instar des pays Asiatiques, l’Afrique doit s’appuyer en priorité sur ses propres fonds de pension et sa propre épargne pour se développer.
A titre d’exemple l’épargne asiatique a financé les pays développés en particulier les États Unis pendant la dernière décade y entrainant des taux d’intérêt proches de zéro.

Dernière question, on évoque souvent, comme principal frein aux investissements étrangers, une perception du risque qui serait trop élevée en Afrique ? Etes-vous d’accord avec cette thèse ?

Oui, la perception du risque est un frein aux IDE.
Au nombre des différents facteurs subjectifs et objectifs qui sous-tendent cette perception, on peut citer la mauvaise appréhension et le manque d’expérience africaine, l’instabilité politique, la non fiabilité du système juridique, une bureaucratie excessive (red tape en anglais) et enfin un score moyen, voire faible, de l’indice de perception de la corruption.

Interview réalisée par A.C. DIALLO

© Magazine BUSINESS AFRICA – 2022

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