Défis fiscaux du Sénégal. Interview de Dr Mohamed DIEYE, Président de la section fiscale de l’ONES
En marge de la deuxième édition des Tax Brunches, couplée à l’Assemblée Générale Ordinaire de l’ONES qui se sont tenues du 21 au 23 juin 2024 à l’Hôtel Palm Beach de Saly, le Magazine BUSINESS AFRICA a interviewé Dr Mohamed DIEYE, Président de la section fiscale de l’ONES. L’occasion d’en savoir plus sur l’organisation qu’il dirige et recueillir son analyse sur les grands défis fiscaux du Sénégal.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’initiative «Tax brunch» lancée par la section fiscale de l’ONES ?
Les «Tax brunches» sont une vielle idée de la section fiscale de l’ONES.
Au départ, on parlait de petits déjeuners fiscaux. L’objectif était de rassembler les membres de l’ONES et les autres acteurs de la fiscalité que sont la direction générale des impôts et domaines, la direction générale des douanes etc…pour échanger, sur une base périodique, de questions portant sur la fiscalité.
Car on s’était rendu compte qu’il n’y avait plus dans le pays, d’espaces de débat sur ces sujets.
La deuxième édition des Tax Brunches, couplée à l’Assemblée Générale Ordinaire de l’ONES vient de se tenir du 21 au 23 juin 2024 à l’Hôtel Palm Beach de Saly. Quel bilan en tirez-vous ?
A travers les échos qui nous parviennent, on peut dire que cette deuxième édition des Tax Brunches a été une belle réussite.
Nous avons pu réunir sur un même espace d’échanges, l’administration fiscale, l’administration douanière, l’Apix, le secteur privé et un parterre d’experts fiscaux.
Nous avons également été honorés par la présence de notre ministre de tutelle, le Ministre de la Justice .
Il faut noter que le choix du sujet est très actuel, puisqu’il s’agissait de réfléchir et de faire l’évaluation de notre dispositif d’incitation fiscale, après la réforme de 2012.
Il nous paraissait donc utile, après 12 années de pratique de cette réforme, de voir comment tous les acteurs perçoivent ce nouveau dispositif.
Quelles sont les missions de l’expert fiscal aujourd’hui et quel rôle joue la section fiscale de l’ONES pour la profession ?
Il existe au sein de l’ONES, huit (8) sections. Sur 215 experts inscrits, la section fiscale, à elle seule, compte presque 100 membres. C’est donc la section la plus importante en nombre au sein de notre organisation.
Quant à l’expert fiscal, comme son nom l’indique, c’est celui qui donne son avis, sur tout ce qui touche la fiscalité, vis à vis de l’autorité, qu’elle soit politique ou judiciaire.
En outre, l’expert fiscal accompagne et donne des conseils aux entreprises locales ou étrangères en matière fiscale et juridique, car pour l’essentiel nous sommes des conseils juridiques et fiscaux avec la qualité d’expert fiscal.
Et pour être expert fiscal agrée au Sénégal, il semble que le cursus est très long…
Oui, il faut tout d’abord être titulaire d’un master 2 en fiscalité. Ensuite, il faut faire au minimum deux ans de pré-stage, suivis de trois ans de stage auprès d’un expert fiscal agréé, inscrit au tableau de l’ONES.
A l’issue de ces périodes de pré-stage et de stage, il faut choisir un mémoire, dont le sujet est porté à l’appréciation du président de la section fiscale.
Si ce dernier accepte le sujet, le mémoire est présenté devant un jury, composé d’au moins trois experts fiscaux. Lorsque le mémoire présenté est accepté, l’intéressé obtient le titre d’expert fiscal.
A noter que des inspecteurs des impôts peuvent, de par la loi, à leur retraite, ou après une dizaine d’années de pratique, démissionner pour devenir experts fiscaux, la limite d’âge pour qu’ils intègrent l’ONES étant de soixante ans.
Quelques mots sur la fiscalité au Sénégal. Quelle appréciation d’ordre général y portez-vous ?
Je dirai que c’est la même appréciation que l’on pourrait avoir à l’égard de la plupart des pays africains.
C’est à dire un système hérité de la colonisation, qui a subi plusieurs réformes mais qui souffre encore d’un gros problème d’adaptation.
Ce qui explique par exemple, s’agissant du Sénégal, la grande réforme intervenue en 2012 et qui a consacré des changements approfondis dans notre système fiscal. Mais des adaptations mériteraient encore d’être apportées sur beaucoup d’aspects.
L’exemple le plus frappant au Sénégal est le foncier qui, malgré son développement ces dernières années, n’est pas imposé à sa juste mesure.
Simplement parce que le contribuable ne déclare pas ses revenus fonciers, le système parait trop complexe. Il y a donc véritablement un besoin de simplification.
J’avais personnellement proposé, et cela depuis des années, une solution de simplification qui consiste à faire du 12eme mois de loyer, un forfait représentant l’impôt sur le revenu foncier des bailleurs particuliers.
Il est vrai que l’Etat sénégalais a créé la « contribution globale foncière » dans un but de simplification mais elle ne concerne qu’une catégorie de contribuable, ceux qui gagnent au plus trente millions de loyer par an. En plus, le système demeure toujours un système déclaratif.
De nouvelles autorités sont à la tête du Sénégal. Il se trouve d’ailleurs que le Président et le Premier ministre sont d’anciens inspecteurs des impôts. Si vous devriez les conseiller sur l’orientation à prendre en matière de politique fiscale, que leur diriez-vous ?
Je leur dirais simplement deux choses.
La première idée, c’est d’adapter notre fiscalité en fonction de notre contexte et simplifier davantage, tant qu’on peut le faire, le dispositif, en élargissant par exemple le système de retenue forfaitaire de sorte à amener le contribuable à mieux consentir au paiement de l’impôt .
La deuxième, qui va de pair avec la première, c’est d’élargir l’assiette fiscale.
La masse de contribuables qui paie l’impôt est très restreinte. Ce sont les grandes entreprises, les moyennes entreprises et les salariés.
Il est vrai que le Sénégal a réalisé d’énormes efforts ces dernières années, si l’on considère la zone UEMOA où le taux la pression fiscale qui est préconisée est de 20% . Plus ce taux est élevé, on considère l’assiette fiscale relativement plus large et donc plus de contributeurs aux recettes fiscales.
Or, le Sénégal est actuellement à un peu plus de 18%. Ce qui veut dire que le Sénégal, qui a le taux de pression fiscale le plus élevé dans la zone, a de ce point de vue, réalisé des performances appréciables dans la mobilisations des recettes fiscales. Toutefois, si l’on considère que le taux de pression fiscale se situe en moyenne entre 35 et 40% en Europe, on constate qu’il reste encore beaucoup à faire.
Par conséquent, l’élargissement de l’assiette fiscale devrait être l’un des plus grands défis de nos nouvelles autorités qui misent sur la souveraineté économique pour développer notre pays.
Or, la souveraineté économique rime avec la mobilisation de plus de ressources internes et parmi ces ressources, la fiscalité doit avoir une place prépondérante.
Propos recueillis par Mariam SANGARE – © Magazine BUSINESS AFRICA