Le secteur hôtelier est en pleine transformation, y compris en Afrique où un accent particulier est mis sur l’innovation mais aussi des offres plus variées, pour se rapprocher d’une clientèle multigénérationnelle et exigeante. Les grands groupes internationaux se focalisent sur une clientèle d’affaires et sur le segment du luxe tandis que les enseignes locales privilégient une clientèle de proximité. Nous avons demandé à un des managers les plus en vue du secteur hôtelier africain francophone, son avis sur les mutations en cours et leurs effets. Sans ambages, Souana NODJITAN, Directeur Délégué de ONOMO Hôtel (Guinée Conakry, Gabon, Cameroun et Mali) nous livre son analyse et explique en quoi ONOMO Hôtel se démarque, sur un marché devenu fortement concurrentiel. INTERVIEW
Quelle appréciation portez-vous sur l’évolution du secteur hôtelier ouest africain francophone au cours de ces dix dernières années ?
Le secteur hôtelier en Afrique de l’Ouest francophone a bénéficié des conditions économiques et institutionnelles favorables au sein de la CEDEAO, notamment grâce aux récentes politiques d’intégration économique. Les évolutions législatives locales, la facilitation de la mobilité régionale, la croissance démographique et économique soutenue, ont créé un environnement propice à la croissance de l’offre hôtelière dans la zone francophone. De nombreux groupes hôteliers ont consolidé leur présence et développé de nouvelles marques dans ces pays. Par ailleurs, de jeunes groupes ont fait leur entrée dans ce marché compétitif avec de grandes ambitions et ont accéléré leur croissance pour se faire une place, remettant en cause la présence des groupes hôteliers historiques. En parallèle, de plus petits acteurs ont vu le jour avec des offres alternatives. Cette diversité d’offres contribue à l’augmentation de la capacité hôtelière, offrant désormais aux voyageurs une multitude de choix, allant des hôtels économiques aux établissements de luxe. Cependant, les récentes crises, qu’elles soient d’ordre politique, liées à la pandémie de COVID-19, ou liées au terrorisme, remettent en question les efforts déployés par les professionnels de l’industrie et représentent une menace pour les performances économiques et la qualité de l’offre hôtelière. Néanmoins, je reste profondément optimiste. Le dynamisme et la croissance économique robuste des pays francophones d’Afrique de l’Ouest, portés par des secteurs tels que l’industrie minière, le BTP, l’agriculture, ainsi que les services financiers, sont à l’origine de la capacité de cette région à maintenir une résilience constante. Malgré les défis qu’elle peut rencontrer, la région continue de connaître une croissance positive. Dans ce contexte, il existe un potentiel considérable pour la croissance, la diversification et le développement du secteur hôtelier dans cette région.
Et le métier de gestionnaire d’hôtels a-t-il également évolué ? Est-il devenu aujourd’hui plus simple ou plus complexe de diriger un hôtel, notamment en Afrique ?
Je pense que le rôle du gestionnaire d’hôtel s’est adapté à l’évolution du temps, en réponse aux voyageurs qui sont devenus au fil des années plus avisés et plus exigeants. Leurs besoins sont désormais plus variés, allant au-delà de l’hébergement. Ils cherchent à vivre une expérience complète au sein de nos hôtels, incluant par exemple la restauration et la découverte de la culture locale. Le rôle du directeur d’hôtel intègre désormais une diversité de compétences. Le gestionnaire d’hôtel d’aujourd’hui, tout en s’appuyant sur une équipe qualifiée, doit posséder une vision globale du métier. En plus de la maîtrise des langues étrangères, il doit avoir des compétences financières, marketing et commerciales, ainsi qu’une aptitude à gérer les ressources humaines. La maîtrise de nouveaux outils, en particulier les outils digitaux, est cruciale pour la gestion efficace de l’hôtel et pour répondre aux nouvelles attentes des voyageurs. Ces compétences variées et cette adaptabilité sont la clé du succès dans notre métier.
Le rôle n’est pas nécessairement plus simple ni plus complexe, il est différent. Avec des fonctions bien définies, des responsabilités claires, une équipe compétente et pluridisciplinaire, ainsi que des outils de travail performants, notre travail devient plus précis, dynamique et source de plaisir. Malgré la nécessité de poursuivre nos efforts, je constate que dans certaines régions et pays africains, d’importants progrès ont été réalisés, et la pratique de notre métier atteint désormais un niveau de performance comparable à celui des grandes nations de référence. Toutefois, nous devons veiller à créer de bons environnements de travail pour nos équipes. Ainsi, pour moi, l’un des défis les plus complexes réside dans l’intégration de l’aspect culturel dans le management, et dans notre capacité à adapter notre gestion hôtelière en conséquence. Chaque pays d’accueil a ses propres spécificités, et il est essentiel de les respecter et de les comprendre pour offrir une expérience authentique à nos clients.
En tant que Directeur d’établissements hôteliers, quel est l’impact de la transformation numérique sur vos activités ? Plutôt positif ou mitigé ?
Cette question est d’actualité et au centre des préoccupations de la plupart des propriétaires et des acteurs du secteur. La transformation numérique est devenue un enjeu stratégique crucial, elle garantit une sécurisation du chiffre d’affaires, une amélioration de la productivité et l’optimisation de la qualité de service. C’est pourquoi ONOMO a entamé une démarche de transformation digitale de ses structures afin de proposer à ses clients des expériences hôtelières personnalisées de qualité supérieure sur toutes nos destinations. Cette transition numérique englobe plusieurs aspects, allant d’outils permettant aux clients de prendre en charge leurs réservations et d’interagir directement avec nos équipes hôtelières avant, pendant et après leur séjour, jusqu’à l’intégration d’outils de gestion des espaces clients, tels que les chambres et les parties communes. Grâce à cette transformation numérique, nos clients apprécient de pouvoir réserver dans nos hôtels et être reconnus en fonction de leurs habitudes de voyage et de leurs choix récurrents. Pour nos équipes, cela se traduit par un gain de temps, une efficacité accrue lors de la prise en charge des clients de leur arrivée à leur départ, une productivité croissante et un plaisir de retrouver l’essence du métier d’hôtelier : « l’accueil et la prise en charge des clients ». Ainsi, vu les nombreux avantages qu’offre la transformation numérique, je dirais que son impact est plutôt très positif.
La disponibilité des ressources humaines qualifiées est souvent mise en avant pour justifier le retard pris par le secteur hôtelier en Afrique. Etes-vous de cet avis ?
J’ai été confronté à ce problème lors de missions d’ouverture d’hôtels dans divers pays. Il est indéniable que cette réalité a un impact significatif sur les opérations hôtelières. Heureusement, dans de nombreuses régions d’Afrique, en particulier en Afrique de l’Ouest, des progrès notables ont été réalisés. Certains pays, considérés comme des moteurs économiques de la sous-région, ont réussi à combler leur retard grâce à des initiatives visant à aligner la formation sur les besoins spécifiques de l’industrie hôtelière. Par ailleurs, les politiques d’intégration et de libre circulation dans la sous-région que j’ai mentionnées précédemment facilitent la recherche de ressources qualifiées. Néanmoins, cela est généralement vrai pour les postes de cadre, ce qui implique que le défi persiste pour les postes d’agent et employés. Chez ONOMO, nous avons lancé des programmes d’immersion pour nos chefs de service dans nos divers hôtels, et ces initiatives ont donné d’excellents résultats. Elles ont également permis de former un plus grand nombre de collaborateurs dans les pays où les besoins sont élevés, grâce à la mise en place de programmes d’accompagnement des équipes et de coaching individualisé. Il est également essentiel de noter qu’une part significative de notre chiffre d’affaires est allouée à la formation de nos équipes. L’objectif principal de cette initiative est d’élever le niveau de compétence de tous nos collaborateurs ; des ressources humaines bien formées sont la clé d’une réussite durable.
La région ouest africaine est en proie à de nombreuses crises politiques et sécuritaires, notamment dans le Sahel. Comment faites-vous face à cette situation ? Quelle est l’ampleur de son impact sur vos activités ?
Il est indéniable que la région de l’Afrique de l’Ouest fait souvent face à des contextes d’instabilité, et lors de périodes de crises politiques et sécuritaires, l’impact se ressent de manière significative sur tous les secteurs d’activités, et dans le secteur hôtelier. Les répercussions de ces crises peuvent être particulièrement marquées à moyen terme pour nos activités. En cas de crise, le nombre de voyageurs baisse drastiquement. La confiance des investisseurs peut être longue à regagner. ONOMO se distingue en tant que marque hôtelière avec une forte composante F&B (Food and Beverage). Cela nous confère un avantage dans la mesure où nous ciblons activement les clients locaux grâce à notre offre « Lifestyle » et permet d’atténuer les effets de la crise. Cette diversification nous offre une certaine stabilité, même en périodes difficiles, et renforce notre résilience face aux aléas du contexte régional. Enfin, à l’échelle d’ONOMO, la sécurité de nos clients et de nos collaborateurs est une priorité absolue, ce qui se traduit par la mise en place de mesures de sécurité rigoureuses et la mise en œuvre de protocoles de sécurité dans l’ensemble de nos hôtels.
Justement, pouvez-vous nous dire quelques mots sur le Groupe ONOMO, dans lequel vous officiez depuis plusieurs années maintenant. Quelle est la spécificité de son offre et comment se distingue-t-il de la concurrence.
Bien entendu. Nous sommes ONOMO, We are ONOMO, une marque lifestyle africaine qui célèbre le continent dans sa diversité, son art et ses cultures. Nos établissements à travers le continent offrent aux voyageurs confort et design dans une ambiance africaine alliant la joie et le sourire. Le groupe ONOMO est bien implanté aux quatre coins du continent africain et propose une hôtellerie lifestyle qui met en valeur l’identité et la culture locale. Grâce à notre label ONOMO Africa’s Finest, nous mettons en avant les talents artistiques locaux et continentaux dans divers domaines tels que la musique, le cinéma, la mode, la littérature, la photographie, la gastronomie et la peinture. De plus, il est essentiel de souligner que nous sommes présents dans plusieurs pays africains, notamment au Maroc, au Mali, au Sénégal, en Guinée, au Togo, au Gabon, au Cameroun, au Mozambique, en Tanzanie, au Rwanda, en Afrique du Sud, en Ouganda, et nous envisageons probablement de nous étendre vers d’autres destinations africaines dans un futur proche. Une autre spécificité de notre offre est notre cuisine, chaque établissement se distingue en proposant une cuisine afro-fusion locale, moderne et adaptée aux saisons.
Dernière question, vous êtes Directeur Délégué d’ONOMO en Guinée-Conakry, au Gabon, au Cameroun, au Mali, en plus d’être Directeur Général de ONOMO Hôtel Conakry. Comment faites-vous pour assumer autant de responsabilités en même temps ? Avez-vous un don ?
J’ai la chance de pouvoir m’appuyer sur des Directeurs et des équipes de haut niveau sur l’ensemble de nos hôtels. Personnellement, je suis heureux d’accomplir ma mission grâce à une grande confiance de notre top management, d’une totale autonomie et d’une marge de manœuvre me permettant d’accompagner les Directeurs d’hôtels et les équipes de ma zone pour atteindre les objectifs qui nous sont assignés. Des outils de pilotage et d’aide à la prise de décisions me permettent de suivre quotidiennement et en temps réel les niveaux de performances des hôtels, d’apporter des corrections et de prendre, quand il le faut, des décisions stratégiques dans les meilleurs délais. De plus, nous organisons régulièrement des réunions hebdomadaires et mensuelles qui favorisent les échanges d’expériences, renforcent la cohésion au sein de mon équipe de directeurs. Ces réunions sont essentielles pour mettre en place des plans d’action ou prendre des mesures correctives, comme je l’ai mentionné précédemment. Nos journées débutent tôt et se terminent tard. L’empathie envers nos clients et la passion sont des moteurs constants. En rentrant à la maison le soir, avec la satisfaction que nos clients sont heureux dans nos hôtels, nous ressentons une impatience sincère à l’idée de revenir le lendemain. Je n’ai pas de don particulier, je suis simplement un passionné qui souhaite offrir du bonheur à mes clients.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA