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« L’appréciation du risque en Afrique ne tient pas compte des indicateurs réels » Thierry CABOU, Président de CABOU Group

Après un parcours en droit et en économie, Thierry CABOU s’intéresse très tôt aux questions de financement des économies et de leur développement, souhaitant apporter des solutions innovantes et moins contraignantes pour les Etats. C’est une des raisons de la création de CABOU Group, qui intervient dans le conseil, la structuration de financement, avec une approche transversale des activités pour couvrir les secteurs des infrastructures, de l’énergie, des nouvelles technologies et des télécommunications. A travers son Groupe, Thierry CABOU pensait initialement se consacrer uniquement au continent africain, mais cette belle aventure l’a amené à être présent et actif également sur des projets en Inde, en Chine, au Cambodge, au Brésil et dans la zone MENA.

Existe-t-il, selon vous, des spécificités dans le financement des projets d’infrastructures en Afrique ?

Oui. Le continent africain est celui de toutes les potentialités, minières, agricoles, énergétiques démographiques et intellectuelles.
Cependant il demeure le continent le moins bien financé.
Certainement pour partie, parce que l’appréciation du risque Afrique, ne tient pas compte des indicateurs réels qui permettraient de fluidifier le processus du financement. Ce phénomène est d’autant plus sensible quand il s’agit des infrastructures, axe essentiel du développement et de la croissance de nos pays.
Il faut pouvoir financer des programmes complets parfois transversaux ou créateurs de hub régionaux ou sous régionaux, indispensables au bien être des populations et à l’amélioration de la compétitivité de nos économies, sans pour autant peser trop durablement sur les ressources de nos états.
Le financement des infrastructures en Afrique est majoritairement assuré par des acteurs publics jusqu’à aujourd’hui, mais nous constatons et soutenons les initiatives du secteur privé pour prendre toujours plus de place dans cette nécessaire conquête de notre souveraineté économique. Je salue également les initiatives de plus en plus fortes de banques régionales de développement, comme la BOAD ou la BIDC, ainsi que le dynamisme des Fonds de garantie tels que le FSA ou le Fagace, qui jouent un rôle majeur dans le soutien au secteur privé dans ces schémas de financement.
Pour résumer, il y a trois caractéristiques majeures dans le financement des projets en Afrique. Tout d’abord, le rôle prédominant assurer par les acteurs publics
Ensuite, la montée progressive du secteur privé qui malgré les difficultés d’accès aux financements pour le continent s’impose peu à peu.
Et enfin, le fait que les différentes contraintes budgétaires de nos Etats nous oblige à être innovants et inventifs pour « Construire sans alourdir de la charge de nos pays »

Quelles sont, selon vous, les problématiques les plus fréquemment rencontrées dans le cadre du financement des projets d’infrastructures en Afrique ?

Elles sont selon moi de trois types.
Celles liées à la difficulté d’accès à des financement adaptés.
Celles liées à l’ajustement de la sécurisation juridique des investisseurs.
Celles liées aux schémas de partenariat
Mais pour être plus précis ces problématiques ne sont que les formes d’expression différentes d’une même réalité: une méconnaissance du potentiel réel de l’Afrique. Or le déficit en infrastructure sur le continent Africain est un frein majeur au développement.
Ce déficit est essentiellement lié à la difficulté d’accès aux ressources financières adaptées.
Les avantages économiques que pourrait tirer l’Afrique d’infrastructures de meilleure qualité sont plus élevés que pour d’autres régions du globe.
Le financement des infrastructures, en Afrique ne devrait pas se heurter à des problématiques de mobilisation de ressources financières. C’est pour cette raison que des schémas nouveaux ou hybrides voient le jour (Financement par titrisation, PPP, EPC+F…)

A ce propos, quels sont les critères déterminants pour un fonds étrangers désireux de s’engager dans un PPP Par exemple ?

Je me limiterai à en citer trois:
D’abord l’identification des bons partenaires locaux privés comme publics.
Ensuite la sécurité juridique et économique du pays sélectionné.
Enfin, un bon accompagnement des autorités publiques.

En Afrique, la tendance des projets d’infrastructures est aujourd’hui à quel type de montage juridique : PPP, concession, marché public, régie directe… ? Pourquoi ?

Il est souhaitable que nos pays continuent d’accélérer leurs investissements pour les infrastructures en mettant l’accent sur des solutions hybrides et astucieuses pour contourner le piège de l’endettement non productif.
C’est pourquoi le recours au PPP est de plus en plus visible sous nos cieux.
Il permet à l’Etat de se désengager. Mais cela doit se faire sans que cela ne pèse sur le budget du pays.
Aux formules habituelles, succèdent de plus en plus une approche de leasing des infrastructures aux Etats.
Ce qui donne la possibilité de ne plus être une charge de même nature pour les finances publiques et permet une très grande flexibilité.
Par ailleurs, les différents secteurs privés nationaux ont un appétit marqué pour ces opérations à rentabilité longue et certaine, assurant tout autant une rente pour les investisseurs mais aussi et surtout ouvrent la voie à un rôle déterminant dans la construction permanente du pays.
Comme vous le savez, les PPP sont propices à la création de joint-venture entre les opérateurs nationaux et les sponsors internationaux qu’ils soient techniques et / ou financiers, apportant ainsi une réponse intéressante et équilibrée aux besoins nationaux.
Le temps d’un partenariat de façade qui consacrait un déséquilibre fort entre un partenaire local volontaire mais trop souvent mal accompagné et le puissant partenaire international, est fort heureusement désormais en voie d’extinction.
Nos champions africains des infrastructures nous font honneur, nous nous devons de les soutenir et de favoriser leur multiplication.

Quelles sont, selon vous, les conditions pour que les PPP soient en Afrique, une option économiquement viable pour la fourniture d’infrastructures publiques ?

Il faut je crois distinguer deux types d’infrastructures publiques.
Celles génératrices de revenus et celles nécessaires à la vie de la nation mais dont la nature n’est pas d’être génératrice de profit.
Dans le premier cas, une analyse objective de la rentabilité du projet continue de s’imposer et sous cet angle le PPP prend tout son sens dès lors qu’il s’inscrit dans un projet qui se justifie financièrement par les ressources qu’il va générer au vu des investissements qui seront consentis.
Dans le second cas, la question est plus délicate. Ces infrastructures tels que les hôpitaux, les centres d’éducation sont indispensables bien qu’ils ne soient pas par essence des sources de revenus.
Or grâce à une approche hybride des financements, il est possible de réaliser ainsi ces ouvrages en mettant en place, soit des éléments de compensation, ou alors en s’appuyant sur une combinaison de financement long et de concours des sponsors.
Par ailleurs l’arrivée et l’expansion des fonds d’infrastructure tel qu’Africa50, Africa Finance Corporation, et la plateforme d’investissement de la Banque Mondiale pour les infrastructures, notamment, et la plus grande implication des banques de développement sont des facteurs clés pour renforcer la viabilité de l’option des PPP pour la fourniture d’infrastructures publiques.

Pour revenir à CABOU GROUP que vous présidez, quels sont vos projets pour les prochaines années ?

Nous souhaitons investir davantage dans le secteur des énergies vertes et des infrastructures de communication.
A cet égard nous prenons une part active dans le programme ICX ACX de câble sous-marin porté par nos partenaires de Singapour, et pensé par Bill Moeung et Tesh Kapedia.
Cette initiative desservira plus de 3 milliards de personnes et permettra aux régions mal desservies de participer à l’économie numérique mondiale qui couvre aussi les secteurs de l’éducation à distance de la télémédecine, de la sécurité des personnes.
Cette initiative s’inscrit dans un programme global de télécommunication qui s’appuie sur une meilleure couverture du continent avec des satellites à orbite basse et un réseau d’interconnexion intelligent.
Notre volonté est de créer des smart cities, centres de développement urbain et agricole tel que pensé par notre partenaire Amédée Santalo et son fameux concept de Green Belt, et enfin remettre l’humain au centre du développement.
L’Afrique est synonyme de richesses, d’intelligence, d’énergie, et mère des premières infrastructures.
Nous avons une chance incroyable, notre continent est plein de tous les avenirs et la terre de tous les possibles.
Nous souhaitons contribuer autant que possible à l’éclosion de ses talents.

Propos recueillis par A.C. DIALLO

© Magazine BUSINESS AFRICA

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