INTERVIEWLA UNE

Me Fatoumata Sidibé-Diarra : « Le Mali doit s’orienter vers une nécessaire transition économique »

Avocate inscrite aux barreaux de Paris et du Mali, Fatoumata Sidibé-Diarra apporte son expertise dans le domaine du droit et se positionne particulièrement en droit des affaires, droit minier, partenariats, public-privé, financement de projets, et private equity.
Outre ses activités professionnelles, Maître Fatoumata Sidibé-Diarra est particulièrement concernée par la situation politique et socio-économique de son pays, le Mali.
Elle nous livre ici ses pistes de réflexions pour un Mali économiquement émergent.

Tout d’abord, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?

J’ai suivi mes études supérieures à l’Université Jean Moulin Lyon III (France) et à l’Institut d’Etudes Judiciaires de Paris V, avant d’obtenir mon Certificat d’aptitude à l’exercice de la profession d’avocat ( CAPA) auprès de l’Ecole de formation des Barreaux de Paris.
Je suis inscrite aux Barreaux de Paris et du Mali et ai fondé le Cabinet FSD Conseils en 2010 à Bamako.
Le cabinet compte aujourd’hui un bureau à Paris et une correspondance à Dakar.

Quels sont les domaines d’expertise de votre cabinet ?

Nous nous positionnons en droit minier et conseillons de nombreuses « majors» du secteur qui investissent au Mali au stade de la recherche ou de l’exploitation.
Nous les assistons tout le long du projet minier.
Nous intervenons également dans le cadre de projets de partenariats public-privé, en particulier dans le domaine de l’énergie (aux côtés des prêteurs ou du sponsor, en fonction du dossier).
Le Cabinet conseille également de nombreux investisseurs maliens et étrangers en matière de droit de sociétés, restructurations et prises de participations, ainsi que des institutions internationales pour ce qui a trait au financement de projets.

Vous vous êtes exprimée sur la nécessité de poser les bases d’une émergence économique de votre pays, le Mali.
Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les populations africains sont très résilientes et travailleuses mais cela ne se reflète pas dans la situation économique de nos pays respectifs et contraste avec les énormes potentialités de notre continent.
Nous devons impérativement opérer une transition économique.
Avec d’une part, une économie autocentrée visant à répondre aux besoins internes, ce qui permettra de limiter les importations et l’inflation et d’autre part, une transformation in situe de nos matières premières.
Car faute d’industrie de transformation, nos matières premières exportées brutes ne rapportent pas à l’économie nationale tous les bénéfices que nous pourrions en tirer.
Or, tous les indicateurs démontrent la faiblesse de notre tissu industriel. Il nous faut donc une politique industrielle volontariste, la transformation de nos matières premières et une exportation de produits à forte valeur ajoutée.

Vous avez une expertise reconnue dans le domaine du droit minier. Quelle doit être la place de ce secteur dans cette transition économique ?

Le secteur minier doit effectivement constituer un levier de développement.
Il est vrai que si le secteur minier représente une part non négligeable du PIB (au Mali la production annuelle d’or se situe autour de 60 tonnes), tout ceci n’a pas entrainé l’amélioration attendue des performances économiques.
Pour pallier à cela, il faut d’abord instaurer un cadre juridique stable et attractif en ayant une vision à moyen et long terme du secteur.
L’accent doit également être mis, entre autres, sur l’éclosion d’un secteur privé local de prestataires connexes, en capacité de répondre efficacement aux besoins des sociétés minières et dans le respect des standards internationaux.
Ensuite il faut un transfert effectif du savoir-faire, notamment par la création d’une Ecole Africaine des Mines nationale et pourquoi pas sous-régionale.
De même, il faut procéder au raffinage de l’or sur place, toujours dans un souci de meilleure maitrise de la production et d’une exportation de produits à valeur ajoutée.
Enfin, un accent doit être mis sur une plus grande efficacité des plans de développement communautaire autour des mines avec un développement des infrastructures.

Quels sont, selon vous, les autres secteurs économiques à prioriser ?

Au Mali, les deux autres secteurs qui pourraient servir à booster l’économie sont l’agriculture et l’élevage.
En effet, en ce qui concerne l’élevage, le Mali dispose du cheptel le plus important de la zone UEMOA.
Or nous exportons le bétail sur pied alors que l’élevage pourrait être le levier d’une industrie de transformation, notamment les tanneries, embouches bovines, laiteries…
En ce qui concerne l’agriculture, le coton occupe une place intéressante, car le Mali a retrouvé sa première place de producteur en Afrique.
Ce coton doit être transformé au Mali via une industrie textile performante située dans des zones économiques spéciales dédiées répondant à toutes les normes et exigences.
Pour ce qui est de la transformation du coton graine, des huileries pourraient également voir le jour.

Tout ceci exige, bien évidemment, des ressources humaines de qualité. Que suggérez-vous par rapport à cela ?

Il faut une véritable adéquation formation – emploi et une politique orientée vers la professionnalisation ainsi que les besoins de notre économie.
Un accent doit être mis sur l’enseignement professionnel et technique ouvert sur l’emploi et les métiers offrants des perspectives réelles d’emploi : métiers agricoles et agroalimentaires, industries, bâtiment et travaux publics, mines, etc.
Car l’investisseur va être regardant sur plusieurs points, notamment le risque politique, le climat des affaires, la situation économique (l’accès au crédit et le coût du financement par exemple), la croissance économique, la qualité du capital humain ou encore les infrastructures.

Justement, que pensez-vous du climat des affaires au Mali ?

S’il est indéniable que des progrès ont été réalisés dans le sens de l’amélioration du climat des affaires (création de l’Agence pour la Promotion de l’Investissement, absence de restriction particulière en ce qui concerne l’accès aux domaines d’investissement, réaffirmation dans le Code des investissements des garanties, droits et libertés de l’entreprise et égalité de traitement entre nationaux et investisseurs étrangers), des réformes restent à mener.
Et pour cela la volonté politique est essentielle.
Il faut ainsi maintenir les efforts en terme de facilitation de la création d’entreprise et d’accès au financement où encore la simplification des procédures d’obtention des autorisations administratives.
Ceci aura pour effet également d’inciter de nombreuses structures évoluant dans le secteur informel à se formaliser et réduire le manque à gagner pour l’Etat, sur le plan fiscal.

Vous avez également mentionné les infrastructures. Or la situation économique de la plupart des Etats africains ne leur permet pas un développement optimum des infrastructures. Que préconisez-vous face à cela ?

C’est vrai que nous avons d’une part un déficit patent en termes d’équipements et d’infrastructures devant accompagner cette transition économique et d’autre part, des moyens financiers limités de nos Etats.
Or ces infrastructures sont nécessaires au développement économique, en ce qu’elles conduisent à des effets de diffusion de la croissance grâce aux échanges en réduisant les coûts de transport entre territoires et les coûts de transaction. Des projets d’envergure pour améliorer l’accès à l’électricité doivent également être réalisés.
Il faut donc envisager un mécanisme qui permette le financement de ces infrastructures et projets.
A cet égard, le partenariat public-privé est un outil extrêmement intéressant, permettant de répondre aux défis du développement économique : en permettant un partage efficient des risques entre les autorités publiques et le partenaire privé.
Cependant, il s’agit d’un mode contractuel non dénué de risques, d’où l’importance pour les parties de se faire assister par des Conseils juridiques compétents.

Vous semblez bien optimiste concernant le développement économique du continent. Quels en sont les motifs ?

J’estime effectivement qu’en se donnant les moyens de nos ambitions, nous pouvons avoir des Etats africains émergents à l’horizon d’une décennie.
Pour cela il faut une véritable vision qui doit se traduire par une programmation/planification avec une gestion axée sur les résultats et tout cela soutenu par une réelle volonté politique.

Propos recueillis par A.C. DIALLO

©Magazine BUSINESS AFRICA

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page