ANALYSEINTERVIEW

“Les PPP sont un mode de financement efficace et nécessaire pour le déploiement rapide des infrastructures en Afrique” Justin C. FAYE – Avocat chez Linklaters Paris

Justin C. Faye a effectué des études de droit à l’Université de Nice-Sophia Antipolis d’abord, puis à l’Université de Paris II Panthéon-Assas où il a obtenu un Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité et un Master 2 Droit Bancaire et Financier. Il intègre ensuite l’Ecole de Formation du Barreau de Paris. Une fois le certificat d’aptitude à la profession d’avocat obtenu, Me Faye exerce pendant deux ans dans l’équipe Banque & Finance de Dentons (à l’époque, Salans) avant de rejoindre l’équipe Energie & Infrastructure de Linklaters à Paris. En 2015, il est détaché pendant quelques mois dans l’équipe Energie & Infrastructure du bureau de Londres. Depuis mai 2020, Me Faye est « Counsel » au sein de cette même équipe. INTERVIEW

En quoi consiste votre métier d’avocat en charge de l’Energie et des Infrastructures au sein du cabinet Linklaters Paris ?

Avec mes collègues du département Energie & Infrastructure, nous intervenons sur tous les aspects juridiques de la mise en place de tous types de projets dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures et des ressources naturelles. Au quotidien, nous accompagnons différents acteurs (investisseurs industriels et financiers, institutions financières de développement, banques commerciales, acteurs publics, gouvernements, etc.) dans la structuration, l’acquisition ou le financement de projets de centrales électriques solaires, éoliennes, biomasse, etc. et d’infrastructures (autoroutes, ports, aéroports, ponts, etc.).
En phase de développement d’un projet de centrale électrique, par exemple, nous assisterons le client dans la structuration et la négociation du contrat de concession et/ou du contrat d’achat d’électricité requis pour la mise en œuvre du projet.
Nous interviendrons également sur la structuration et la négociation des contrats de construction, les contrats de fourniture et les contrats d’opération et de maintenance.
En phase de financement, nous procéderons d’abord à un audit juridique des différents contrats et autorisations administratives du projet pour notamment s’assurer que le projet a été attribué dans le respect des exigences légales et réglementaires applicables, identifier les différents risques et analyser l’allocation des risques entre les différents acteurs du projet pour s’assurer que chaque risque identifié a été bien traité et/ou alloué à l’intervenant dans le projet qui est le plus à même d’assumer ce risque (en considération de la nature du risque, de sa compétence, de sa rémunération, etc.).
Ensuite, nous rédigerons et négocierons, pour le compte du client, les conventions de financement, les divers documents de garantie et de sûretés et les accords directs avec les contreparties publiques et les prestataires industriels intervenant dans le projet.
Lorsque nous intervenons dans le cadre d’une acquisition ou prise de participation dans un projet existant, nous procédons également à un audit juridique des contrats et autorisations administratives du projet et assistons le client dans la rédaction et la négociation des contrats d’acquisition.
Naturellement, nous travaillons sur des projets en France mais aussi dans beaucoup d’autres pays, notamment en Afrique Francophone où nous avons développé, au fil des années, une expertise reconnue.

Les partenariats public/privé tendent à se développer de plus en plus dans le domaine des infrastructures en Afrique. Constituent-ils le mode de financement le plus approprié ?

La mise en place, l’exploitation et l’entretien des infrastructures nécessitent presque toujours des investissements très lourds et une expertise pointue.
La plupart des Etats africains ne sont pas en mesure de mobiliser seuls ces financements et de rémunérer cette expertise à des conditions compétitives quand, dans le même temps, ils doivent faire face à de nombreuses dépenses et contraintes dans tous les domaines. Cela explique l’essor des partenariats public-privé dans le domaine des infrastructures en Afrique.
Si l’on peut encore débattre sur le fait de savoir s’ils sont le mode financement le plus approprié, il me semble que les partenariats public-privé restent un mode de financement à la fois efficace et nécessaire pour le déploiement rapide des infrastructures dont beaucoup de pays en Afrique ont grand besoin.

Quels sont les principaux risques juridiques des grands projets d’infrastructures ?

Les risques juridiques des projets d’infrastructures sont principalement liés au respect des procédures d’attribution du projet, à la sécurisation en temps utiles du foncier nécessaire au développement du projet, à l’obtention des permis et autorisations et au respect des normes environnementales et sociales, la responsabilité sociale d’entreprise et la soutenabilité environnementale des projets étant maintenant des critères très importants pour les investisseurs et les bailleurs de fonds de tous horizons.
Il s’agit là de risques qui peuvent affecter la bancabilité d’un projet, en d’autres termes, sa capacité à attirer un financement de la part de bailleurs de fonds et d’investisseurs crédibles.
Comme indiqué plus haut, une partie de notre travail d’avocats sur ce type de projets consiste justement à identifier et analyser ces risques durant la phase d’audit juridique et à les traiter convenablement dans la documentation juridique du projet.

Quelles sont les modalités de règlement des différends dans les projets d’infrastructures ? le recours à l’arbitrage (institutionnel ou ad hoc) ou à un mode alternatif de règlement des litiges est-il souvent privilégié ? Pourquoi ?

Le recours à l’arbitrage est en effet très usuel en financement de projets qu’il s’agisse de projets d’infrastructures ou de projets d’énergie.
Le recours à l’arbitrage institutionnel et parfois l’arbitrage ad hoc est souvent précédé d’une phase de conciliation ou, dans les contrats de type industriel (par exemple, les contrats de construction), d’une phase d’expertise.
Ce mode de règlement des différends est privilégié car l’arbitrage est souvent perçu comme gage de neutralité et d’indépendance mais également comme le moyen de faire juger les affaires par des personnes (les arbitres) choisies en raison de leur expertise dans un domaine donné.
Il est vrai que pour des investisseurs et des bailleurs de fonds étrangers, il y a un certain inconfort (du reste, compréhensible) à être attrait devant des juridictions étatiques surtout lorsqu’il s’agit d’un litige avec un Etat souverain ou l’une de ses émanations.

Vous étiez membre de l’équipe de Linklaters qui est récemment intervenu, en tant que conseil des bailleurs de fonds, Proparco et Emerging Africa Infrastructure Fund (EAIF), dans le cadre de la structuration et du financement du Projet Biovéa en Côte d’Ivoire. De quoi s’agissait-il ? Et en quoi consistait votre mission ?

Il s’agit d’un projet de centrale électrique biomasse de 46 MW alimenté à partir de déchets agricoles dans la commune d’Aboisso, à 100 km à l’Est d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Biovéa sera la plus grande centrale biomasse d’Afrique de l’Ouest, et répondra aux besoins en électricité renouvelable de l’équivalent de 1,7 million de personnes par an.
Notre mission sur ce projet est une illustration parfaite d’une des facettes de notre métier d’avocats spécialisés en Energie & Infrastructure que j’expliquais plus haut.
Au début de notre mission, nous avons, pour le compte des bailleurs de fonds, fait une revue de bancabilité du contrat de concession signé entre l’Etat de Côte d’Ivoire et la société de projet ainsi que des contrats de construction de la centrale électrique et des installations de raccordement au réseau électrique ainsi que de fourniture et de transport de biomasse.
Sur cette base, nous avons rédigé et négocié des accords directs entre les bailleurs de fonds et l’Etat de Côte d’Ivoire ainsi qu’avec le constructeur et le fournisseur.
L’objet de ces accords directs est de créer un rapport contractuel direct entre les bailleurs de fonds et ces divers intervenants pour organiser une certaine reconnaissance des droits des bailleurs de fonds et donner aux bailleurs de fonds l’opportunité, dans certaines circonstances, de se substituer à la société de projet pour assurer la continuité du projet lorsque la société de projet est défaillante.
Ensuite, nous avons rédigé et négocié les contrats de prêts, les conventions de subventions ainsi que les divers contrats de sûretés garantissant le remboursement des prêts mis à disposition de la société de projet par les bailleurs de fonds.

Dernière question, quel regard portez-vous sur les dispositions prévues dans le cadre de l’OHADA en matière de financement des infrastructures ? Les textes sont-ils adaptés ou est-il nécessaire de les réformer ?

D’une manière générale, je porte un regard très positif sur les textes de l’OHADA. Il s’agit de textes de qualité qui sont le fruit d’une étroite collaboration entre de grands professeurs d’universités africaines et européennes et des praticiens aguerris.
En matière de financement d’infrastructures, les contrats sont souvent gouvernés par le droit français ou le droit anglais.
Cela s’explique plus par le fait que ces projets sont souvent portés par des promoteurs étrangers qui mobilisent des financements auprès de bailleurs de fonds internationaux.
Ce n’est donc pas pour cause de manque d’attractivité ou de qualité des textes de l’OHADA.
Les textes de l’OHADA restent quand même applicables dans ce type de projets d’infrastructures notamment en matière de sûretés (pour les garanties prises sur les actifs de la société de projet situés dans le pays d’accueil du projet), de droit des sociétés (pour la constitution et le fonctionnement de la société de projet) et de procédures de faillite.
Cela étant noté, les textes de l’OHADA peuvent encore faire l’objet d’amélioration ou de réforme.
Je pense par exemple à l’acte uniforme des sûretés et à l’absence d’harmonisation du coût d’enregistrement des sûretés d’un pays membre à l’autre.
Alors que les sûretés portant sur des biens meubles doivent faire l’objet d’un enregistrement au registre du commerce et du crédit mobilier, ce coût est plus élevé dans certains pays membres, ce qui est de nature à surenchérir le coût total du projet et sa rentabilité pour les parties prenantes.
Entretien réalisé par A.C. DIALLO

© Magazine BUSINESS AFRICA – 2021

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