ANALYSE

« La gestion des risques est un vecteur de croissance durable et de performance» Aristide Ouattara, Associé Risk Advisory – Deloitte Afrique

Avec la crise du Covid-19, les entreprises ont pris conscience qu’une multitude de risques pouvaient intervenir en même temps, paralysant leurs activités et les contraignant à faire preuve de réactivité et d’agilité pour s’en sortir.
L’heure n’est certes pas encore au bilan mais cette pandémie aura démontré que les entreprises qui disposaient d’une stratégie de gestion des risques s’en sont sorties mieux que les autres.
C’est du moins la conviction de Aristide OUATTARA, Associé responsable de l’activité Risk Advisory de Deloitte Afrique Francophone.

Tout d’abord, pouvez-vous nous dire en quoi consiste exactement le métier de risk manager ?

Je commencerais par dire que la prise de risque est inhérente à toute activité professionnelle et se situe à tous les niveaux des organisation, des choix stratégiques des dirigeants aux actions quotidiennes des collaborateurs.
Il y a des bien entendu des risques volontairement pris et assumés par ces organisations mais également des risques subis du fait d’évènements extérieurs. Le rôle du risk manager est d’aider son organisation à identifier, mesurer et maîtriser ces risques.
Ainsi, au-delà de la perception habituelle de fonction de contrôle, la gestion du risque est aujourd’hui un véritable vecteur de performance et un précieux outil de pilotage de l’entreprise.

A vous attendre, le métier de risk manager est très proche de celui d’un assureur, qu’est ce qui différencie ces deux activités ?

Les deux métiers sont en effet liés.
En réalité les solutions proposées par un assureur font partie des outils à la disposition des risk managers pour le transfert des risques vers un tiers.
En effet, une fois un risque identifié et mesuré, le risk manager a plusieurs possibilités de gestion : assumer le risque, renoncer à la prise de risque (par exemple arrêter le projet ou l’activité générant le risque) ou transférer le risque (par exemple en prenant une garantie ou en souscrivant à une police d’assurance). Les produits d’assurance constituent donc des leviers le risk manager peut activer dans le cadre de la gestion du risque.

Quelle est votre appréciation de l’évolution de ce métier en Afrique ? les entreprises africaines sont-elles plus enclines à mettre en place des départements risk management ?

L’analyse doit se faire à deux niveaux. Il faut distinguer le secteur financier et le secteur non financier.
S’agissant du secteur financier, pour lequel la prise de risque est intrinsèque à son activité de financement de l’économie, la mise en place des dispositifs solides de gestion de risques est vital.
Par ailleurs, les institutions financières doivent respecter un certain nombre d’exigences en matière de gestion des risques imposées par leurs superviseurs. Une banque, quand elle accorde un prêt, prend systématiquement un risque de crédit car elle pari sur la capacité de remboursement de l’emprunteur. Elle doit donc minutieusement évaluer le risque de défaut de l’emprunteur et suivre l’évolution de ce risque.
Ces dernières années, il faut reconnaître que les régulateurs et les institutions financières africaines ont progressé dans l’application de standards et bonnes pratiques en termes de gestion des risques.
Malheureusement, ce progrès n’est pas aussi rapide que l’évolution de l’exposition aux risques (en termes de volume et de complexité).
Dans le premier baromètre de l’industrie financière africaine que nous venons de réaliser en partenariat avec votre confrère Jeune Afrique, nous constatons par exemple que les institutions financières sont en train de prendre du retard sur certains risques émergents tels que les risques de cyber sécurité et les risques liés à la criminalité financière (blanchiment, fraude, corruption).
Il y a clairement de ce point de vue des motifs d’inquiétude mais les institutions financières africaines sont pleinement conscientes de ces enjeux et prêtes à s’outiller pour y faire face, comme l’atteste le résultat ci-dessous extrait de notre baromètre sur la qualité du cadre d’appétence aux risques.

Et concernant le secteur non financier ?

S’agissant du secteur non financier, on note un retard dans la diffusion de la culture risque au sein de ces organisations dans la mesure où la perception du risque comme vecteur de performance est faible.
Les structures non financières que nous accompagnons sont principalement des filiales de grandes de multinationales ou des entreprises africaines qui souhaitent se conformer aux standards internationaux, notamment en matière de contrôle interne afin de mieux interagir avec leurs partenaires
Nous notons positivement la croissance de la sensibilisation des champions africains du secteur non financier dans l’importance des dispositifs de gestion des risques et répondons de plus en plus à des sollicitations pour le aider à identifier leurs risques (cartographie des risques) et à les maîtriser (renforcement du contrôle interne, optimisation des solutions de transfert de ces risques).

Le métier du risk management est-il bien règlementé, compte tenu de l’enjeu qu’il représente ?

Comme évoqué précédemment, dans le secteur financier, il existe un cadre règlementaire encadrant les dispositifs de gestion des risques.
D’une part, il y a des exigences quantitatives ou prudentielles qui exigent des banques et des assurances de disposer suffisamment de fonds propres et de liquidité pour faire face à leurs risques. C’est le cas des normes internationales de solvabilité bâloises qui sont progressivement transposées par les banques centrales africaines avec bien entendu les adaptations nécessaires au secteur financier africain.
D’ailleurs, dans le baromètre dont j’ai parlé, les banques ont reconnu les efforts d’adaptation par les régulateurs des normes internationales aux spécificités africaines.
D’autre part, il existe des exigences qualitatives sur les dispositifs de gestion des risques. Quand on prend l’exemple de la zone UEMOA, la Commission bancaire édicté en 2018 des circulaires qui ont précisé un certain nombre de d’attentes en matière de gouvernance, d’organisation et de contenu des dispositifs de gestion des risques.

Pensez-vous que le contexte sanitaire a donné un regain d’activité au métier de gestion des risques ?

Pendant cette crise, j’ai souvent partagé avec les responsables de risques la conviction suivante sur les qualités requises par leur fonction à travers les cycles économiques : (i) en temps normal, une capacité à convaincre dans le cadre de l’anticipation des risques, (ii) en temps de crise, une qualité de gestionnaire afin de d’aider son organisation à rebondir et (iii) une qualité afin de visionnaire afin d’aider son organisation à prospérer au-delà des crises.
Nous savons tous maintenant que la crise a fortement accéléré la sensibilisation des acteurs financiers et non financiers sur l’importance d’une gestion des risques prospective et proactive.
Les risk managers ont été au cœur des cellules de gestion de crise et ont contribué à la conception, l’activation ou l’ajustement des plans de continuité d’activité ou à l’élaboration de scénarios de crises (stress test).
Par ailleurs, la crise a accéléré de nouveaux usages (exemple du télétravail) ou de nouvelles activités (exemple des paiements dématérialisés) qui ont amené de nouveaux risques.
Les risk managers sont donc emmenés à renforcer leurs outils de lutte contre ces risques émergents.

Si l’on fait aujourd’hui la cartographie des risques en Afrique, quels sont ceux qui seraient les plus à craindre ?

Cette question doit s’analyser à deux niveaux : au niveau macroéconomique d’une part et au niveau des entreprises d’autre part.
Au niveau macroéconomique, j’identifie en priorité les risques politiques et sécuritaires.
Cela n’est pas un scoop car ces risques constituent une composante très importante dans l’évaluation des risques pays, notamment dans le cadre de processus d’investissement ou de lancement de projets d’implantation.
Toujours sur le plan macroéconomique, j’anticipe également l’émergence du risque climatique et des risques découlant de l’impact de l’activité humaine sur la planète.
Le niveau d’exposition de l’Afrique aux aléas climatiques et leurs impacts est malheureusement en forte croissance. Sur ce sujet, le continent africain dispose tout de même progressivement de dispositifs opérationnels tels que l’African Risk Capacity.
Le troisième risque d’ordre macroéconomique est lié à la cyberdéfense car les guerres de demain seront principalement des guerres informatiques. Nous n’en sommes pas encore là mais nous devons nous y préparer.
Maintenant au niveau des entreprises, nous remarquons la prépondérance de 3 types de risques : les risques de cybersécurité, les risques financiers (incluant notamment les risques de crédit, les risques de change) et les risques opérationnels.
Cela est confirmé par les résultats de notre récent baromètre du secteur financier africain.

Comment un acteur comme Deloitte accompagne-t-il les acteurs économiques africains en matière de gestion de risque ?

Nous avons pris le pari d’investir depuis quelques années dans la structuration d’une véritable une ligne métier Risk Advisory qui compte aujourd’hui près d’une centaine d’experts en Afrique Francophone.
Nos pools d’expertises sont multidisciplinaires et multisectoriels, nous permettant ainsi d’accompagner les entreprises, institutions financières et entités publiques sur un large périmètre de risques comprenant notamment les risques opérationnels, les risques financiers, les risques réglementaires, les risques technologiques et cybersécurité, les risques stratégiques et réputationnels, sans oublier les risques liés aux aléas climatiques et à l’impact de l’homme sur la planète.
Comme je l’ai évoqué précédemment, le métier de Risk Manager évolue très rapidement avec le recours de plus en plus important à de nouvelles techniques et technologies.
C’est pour cette raison qu’à l’instar des autres lignes métier de Deloitte en Afrique Francophone, nous innovons en permanence dans notre approche d’accompagnement en créant des centres de compétences modernes valorisant les talents africains et dotés de technologies de dernière génération.
Notre travail au quotidien est d’amener les acteurs économiques africains à faire de la gestion des risques un véritable vecteur de croissance durable et de performance.

Quelles perspectives pour le métier de Risk Manager en Afrique ?

Je me réjouis de voir l’évolution métier de risk manager en Afrique vers une fonction créant de la valeur, en plus de son rôle historique de gardien du temple.
Ce métier a un poids croissant dans les instances décisionnaires et nous voyons de plus en plus de dirigeants ayant fait leurs classes au sein de directions des risques.
Ce métier est exigeant car il requiert une capacité à maîtriser l’activité de l’organisation et un sens du pragmatisme pour trouver le juste milieu entre le niveau de risque et la rentabilité.
C’est donc un métier passionnant et un métier d’avenir.

Propos recueillis par A.C. DIALLO

© Magazine BUSINESS AFRICA – 2021

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