ANALYSEINTERVIEW

Abderahmane BERTHE, Secrétaire Général de l’AFRAA : “Le modèle consistant pour chaque Etat à avoir sa propre compagnie aérienne, ne peut prospérer”

Vous êtes le secrétaire général de l’AFRAA, l’association qui regroupe les compagnies aériennes africaines. Comment se portent-elles en cette période marquée par la crise du Covid19 ?

Depuis le début de la pandémie et la fermeture des frontières par la plupart des États africains, les compagnies aériennes se sont retrouvées complètement au sol, pas de vol à part quelques vols cargo pour les équipements de protection médicaux.
Suite à cela les compagnies ont perdu beaucoup de revenus.
Notre dernière estimation qui date du mois de juillet fait ressortir 8,8 milliards de dollars de perte de revenus due au Covid19 pour l’année 2020 comparée à l’année 2019.
La reprise des vols a commencé progressivement à partir de la deuxième quinzaine de juillet et surtout au mois d’août. On constate néanmoins que toutes les routes aériennes ne sont pas encore opérationnelles, certaines restent fermées.
Selon notre estimation, le niveau de trafic est aujourd’hui de 30 à 40 % de ce qu’il aurait dû être en année normale. Nous espérons que d’ici la fin de l’année, ce niveau d’activité pourrait atteindre 60%.
En termes de perspectives, l’ensemble des experts du domaine pense qu’une reprise effective est envisageable en 2023 voire 2024.
C’est donc une crise majeure à laquelle le secteur du transport aérien africain fait aujourd’hui face. Et la grande difficulté pour les compagnies aériennes est le manque de liquidité afin de redémarrer les opérations.

Y a-t-il eu dans l’histoire du transport aérien africain des crises similaires ou s’agit-il d’une crise inédite ?

Il y a eu des crises, comme celle de l’Ebola par exemple ou la crise financière mondiale, qui ont fortement impacté le transport aérien sans toutefois contraindre à la fermeture des frontières aériennes.
La crise du Covid19 est exceptionnelle, en ce sens qu’elle a causé pendant quatre mois un arrêt complet des vols passagers à travers le monde.
Et à ce jour nous ne savons pas combien de temps elle va durer car on constate une résurgence des infections dans certains pays européens.
Tout dépendra du temps nécessaire à la découverte d’un médicament ou d’un vaccin.

Quelles sont les mesures attendues par les compagnies aériennes africaines ? On sait par exemple qu’en Europe certains États ont été obligés de soutenir financièrement des compagnies aériennes. Ce type d’intervention est-il attendu en Afrique ?

Oui bien sûr. Dès le mois de mars nous avons, au niveau de l’AFRAA, lancé un appel aux gouvernements pour soutenir leurs compagnies aériennes.
Au mois de mai, nous avons également lancé, avec d’autres partenaires comme l’IATA, l’Organisation Mondiale du Tourisme, un second appel pour la mise en place d’un fonds de 10 milliards de dollars.
Ce que je peux dire, c’est que dans certains États, il y a eu un soutien financier aux compagnies aériennes, notamment celles qui ont comme actionnaire principal l’Etat.
Nous souhaitons que les soutiens bénéficient à l’ensemble des compagnies aériennes car le transport aérien doit faire partie du plan de relance économique.

Est ce qu’il y a des mesures que vous privilégiez ? Par exemple le fait qu’un Etat entre dans le capital d’une compagnie aérienne pour la soutenir, est-il une mesure que vous soutenez ?

Chaque cas peut être différent selon le pays concerné.
C’est pour cette raison que lorsque nous avons lancé un appel aux Etats au mois de mars, nous leur avions également offert les services de l’AFRAA pour étudier au cas par cas les mesures de soutien.
Nous ne sommes pas opposés aux prises de participation des États dans les compagnies aériennes. Seulement, nous avons constaté par le passé que les compagnies aériennes gérées par l’Etat n’étaient pas de bons exemples de management et de gouvernance.
La participation de l’Etat doit donc être accompagnée de garanties qui permettent une bonne gestion.
Pour revenir au soutien des États, je dirai qu’il peut être sous forme de prêt ou de prise de participation dans le capital, la compensation directe des pertes durant cette période, l’allègement des charges et de certaines taxes ou des dons.

Certains analystes estiment qu’il faudrait opérer un processus de concentration afin d’avoir des compagnies aériennes financièrement plus solides et donc capables de faire face aux crises comme celle que nous vivons. Qu’en pensez-vous ?

Mon analyse est celle-ci : il est évident qu’avec 54 États, nous ne pouvons pas avoir 54 compagnies nationales fortes.
Le modèle consistant pour chaque Etat à avoir sa propre compagnie aérienne, ne peut prospérer.
Il faut donc réfléchir à des modèles de coopération régionale ou sous régionale pour limiter le nombre des compagnies.

Les pays membres de l’ASECNA ont récemment renouveler leur confiance au nigérien Mohamed Moussa pour un second mandat à la tête de l’Agence. Un commentaire ?

Non, je n’ai pas de commentaire particulier à faire sur cette élection.
Je note simplement que l’ASECNA est un fournisseur important de services aéronautiques en Afrique. Elle est aujourd’hui confrontée aux mêmes difficultés que les compagnies aériennes car le nombre de vols dans l’espace aérien africain a fortement diminué.
Nous sommes ouverts à toute forme de coopération avec les fournisseurs de services de navigation aéronautique. J’adresse donc mes vives félicitations à M. Mohamed Moussa pour sa réélection comme Directeur Général de l’ASECNA.


Propos recueillis par A.S. TOURE

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page