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Paul BOURDILLON, Directeur Général SUEZ Afrique et Proche Orient “Nous sommes très fiers de notre histoire et de nos récents développements sur le continent africain”

Paul BOURDILLON, Directeur général de SUEZ en Afrique et au Proche Orient, a de quoi avoir le sourire. Malgré la crise, les activités du Groupe sur le continent africain se sont poursuivies à un rythme plutôt satisfaisant. La présence historique de SUEZ en Afrique, le nouveau contrat d’affermage au Sénégal et l’utilisation de technologies éprouvées, y sont certainement pour quelque chose. INTERVIEW

Tout d’abord quelques mots sur l’histoire de SUEZ en Afrique, depuis quand êtes-vous présents sur le continent ? Le temps n’a-t-il pas entamé la solidité de votre présence ?

Aujourd’hui SUEZ en Afrique c’est 6 600 collaborateurs, 900M€ de CA en 2019. SUEZ est très présent historiquement sur le Continent africain, où nous avons bâti plus de 500 usines de l’eau pour environ 90 % des capitales africaines. C’est une belle histoire, qui a commencé par la construction d’une première usine de production d’eau potable à Sherbine, en Egypte, en 1948.

Au Maroc, SUEZ se positionne comme un leader de la gestion des déchets industriels avec des clients comme Renault, PSA, Centrale Danone et Siemens Gamesa et la création de plateformes multi-traitement des déchets industriels dans les zones franches comme Tanger ou Kénitra, qui vont bientôt traiter environ 100.000 tonnes de déchets industriels par an.

En termes de services d’eau nous opérons depuis 1997 le contrat de concession du Grand Casablanca pour l’eau potable, assainissement, électricité et éclairage public.

En Egypte nous sommes en charge de l’opération et maintenance des deux principales stations d’épuration, au Caire et en Alexandrie, puis bien sûr le contrat d’affermage du Sénégal, qui a démarré en janvier de cette année. Ce dernier est la preuve la plus récente de la grande importance que SUEZ accorde à l’Afrique puisqu’il s’agit d’un contrat qui durera 15 ans qui va de la production à la distribution de l’eau potable dans toutes les zones urbaines et péri-urbaines de tout le pays !

En 2050 la population africaine aura doublé et deux Africains sur trois vivront en ville. Pour beaucoup d’observateurs, l’Afrique n’en est qu’au début de sa transformation urbaine avec de nombreux défis à relever. Quelles expertises le groupe SUEZ est en mesure d’apporter face à ces enjeux ?

Le Groupe met en place en Afrique des technologies éprouvées mais en les adaptant aux différents contextes des villes africaines. Grâce à une longue expérience sur l’activité de construction d’usines, nos ingénieurs ont acquis un haut niveau de connaissance des spécificités de chaque territoire africain. Le Groupe apporte aussi son expérience et son expertise en termes de gestion des ressources en eau avec l’entretien des réseaux de distribution et la recherche de fuites pour optimiser leur performance. Par exemple notre filiale Lydec, au Grand Casablanca, a réussi à économiser, grâce à la recherche de fuites sur la gestion du rendement du réseau d’eau, l’équivalent à la consommation annuelle d’un million d’habitants.

Les ressources alternatives comme la ré-utilisation des eaux usées, ainsi que le dessalement font aussi partie de notre palette d’expertises. Les eaux usées traitées représentent aujourd’hui une ressource peu exploitée en Afrique. Nous avons en effet la capacité de réaliser un traitement complémentaire, dit tertiaire, qui permet de réutiliser l’eau recyclée pour divers usages, comme l’arrosage des parcs et jardins, ou encore l’irrigation agricole.

Dans le domaine du traitement des déchets, notre expertise peut passer par des centres d’enfouissement et de valorisation des déchets.

Sur le plan des technologies digitales, nous dotons les réseaux d’eau potable de capteurs intelligents reliés à un système de gestion en temps réel des réseaux, comme c’est le cas de Casablanca ou de Dakar, où SUEZ est en train de mettre en place des systèmes intelligents de surveillance à 360° en temps réel des infrastructures et des réseaux, comme la solution Aquadvanced. Dans ces contrats nous retrouvons également des applications smartphone pour payer en ligne les factures d’eau mais aussi pour suivre la consommation, faire des réclamations etc.

L’Afrique est multiple avec beaucoup de disparités suivant les pays. Quels sont les pays où SUEZ a une forte présence ? Y a-t-il une stratégie d’expansion du Groupe sur le continent ?

Les pays où nous avons une implantation forte sur le long terme sont le Maroc, l’Algérie, l’Égypte, le Sénégal … Mais grâce notamment à des solutions comme les unités compactes décentralisées, nous menons aussi des projets sur des pays comme la Côte d’Ivoire. Nous avons en effet la capacité de réaliser un traitement complémentaire, dit tertiaire, qui permet de réutiliser l’eau recyclée pour divers usages, comme l’arrosage des parcs et jardins, ou encore l’irrigation agricole. Le développement en Afrique est sélectif, en phase avec notre stratégie SUEZ 2030.

Les besoins du continent en infrastructures, services d’eau et d’assainissement et traitement des déchets sont déjà importants et deviendront de plus en plus urgents à cause de la forte augmentation de la population et de l’urbanisation et les impacts du changement climatique qui ne feront que les aggraver. L’Afrique est dynamique et présente des belles opportunités de développement. En Afrique Sub-saharienne, avec le Sénégal, nous voulons devenir la référence pour la sous-région. Notre enjeu, c’est de devenir locaux, aux côtés de partenaires locaux et d’être présents dans la durée grâce au développement des talents locaux, comme on le fait au Maroc, en Égypte, au Sénégal.

Comme vous l’avez dit, en Afrique les besoins en infrastructures sont importants, notamment dans le secteur de l’eau et l’assainissement, et les budgets de certains États ne peuvent pas en supporter les coûts. Existe-t-il des mécanismes de financements innovants pour ces cas ?

Afin d’optimiser et de pérenniser les infrastructures réalisées sur la base de financement de bailleurs de fonds internationaux, l’idéal serait que les opérateurs comme SUEZ puissent assurer sur le long terme leur opération et maintenance. Cette continuité d’exploitation permet d’assurer la bonne maintenance préventive des installations et éviter ainsi des défaillances et éventuellement le besoin de construire des nouvelles usines. Nous privilégions le modèle DBO (Design-Build- Operate). Il couple les activités de construction et d’exploitation.
Certains bailleurs de fonds sont désormais d’accord pour financer non seulement la construction mais aussi l’exploitation.
Par exemple, l’Agence Française de Développement 5AFD) qui s’implique sur un très beau projet que nous sommes en train de réaliser en Egypte, sur la station d’épuration d’Alexandrie Est, qui permet de valoriser sous forme d’énergie les boues générées, réduisant l’empreinte environnementale du site.
Un autre exemple récent, le Groupe et ses partenaires vont construire pour le compte de l’EPAL, entreprise publique de gestion de l’eau de Luanda, Angola l’usine de production d’eau potable de Bita, pour la capitale.
L’usine permettra de répondre aux besoins en eau potable de la population en forte croissance de la ville de Luanda, qui atteint aujourd’hui 7,5 millions. Ce contrat s’intègre dans un projet plus global et structurant qui bénéficie de la garantie de financement de la Banque Mondiale ainsi que de BPI France.

Selon l’UNICEF, près de la moitié de la population mondiale qui n’a pas accès à des sources améliorées d’eau potable vit en Afrique subsaharienne et notamment dans les zones rurales. Avez-vous pensé à développer des solutions adaptées aux zones rurales africaines ?

SUEZ développe des solutions décentralisées, connues sous le nom «UCD ». Ce sont des usines de production d’eau potable compactes, préfabriquées dans des conteneurs métalliques et qui possèdent toutes les technologies des usines traditionnelles construites en béton. Elles sont destinées aux populations isolées, aux quartiers de mégalopoles qui su- bissent une croissance urbaine galopante, aux îles et en cas de catastrophe naturelle. Cette solution décentralisée est plus rapide à installer et facilite l’accès à l’eau po- table au bénéfice des populations, notamment des femmes et des enfants chargés très souvent de parcourir des longues distances pour aller chercher de l’eau.

Un bel exemple, le Ministère de l’Hydraulique de la Côte d’Ivoire à travers le programme « Eau pour tous » est en train d’installer 40 unités compactes pour accélérer l’accès à l’eau dans 32 villes moyennes du pays. Ainsi, plus d’un million d’Ivoiriens vont pou- voir bénéficier d’une eau potable de qualité en seulement 24 mois.

Le monde est actuellement impacté par la crise sanitaire due au Covid 19. Quelles conséquences cette crise a-t- elle sur le développement des activités de SUEZ en Afrique ?

Sur les services municipaux eau et déchets, il n’a jamais eu d’interruption des activités, tout a été mis en place pour assurer la continuité des services, qui sont essentiels, tout en préservant la santé des collaborateurs et des citoyens. Dès le début de la pandémie, nous avons mis en place un Plan de Continuité du Service par entité. Très rapidement, des mesures ont été prises pour garantir les stocks et l’approvisionnement de matériels et de produits de traitement nécessaires aux activités opérationnelles et de service. Les équipes travaillent par rotation afin de ne pas se croiser, une partie du personnel a été en télétravail quand cela est possible Des médecins internes accompagnent les managers dans la sensibilisation des me- sures de prévention et le contrôle de santé des collaborateurs.

Malgré la pénurie de masques globale, au moment de forte tension sur les masques nous avons pu fournir rapidement les équipements de protection aux collaborateurs grâce à un système de coopération entre nos différentes régions du monde, mis en place par le Groupe. Nous avons promu le paiement par des moyens électroniques et facilité les démarches administratives des clients pour limiter le regroupement des personnes dans les agences clientèles.

Au Sénégal, par exemple, nous avons signé un accord avec des opérateurs de téléphonie mobile pour rendre gratuits pendant un certain temps les frais de règlement des factures par paiement mobiles. La crise sanitaire a montré à quel point le digital est voué à s’accélérer dans le continent et dans nos métiers. En revanche, nos activités auprès de clients industriels ont effectivement été impactées lorsque les sites industriels se sont arrêtés, notamment au Maroc.

Dakar, s’apprête à accueillir en mars 2021 la 9e édition du Forum mondial de l’eau. Le groupe SUEZ est-il partie prenante de cette manifestation ?

SUEZ a assuré une présence dans tous les Forums Mondiaux et a contribué aux débats internationaux grâce à son expérience et son expertise dans les domaines de l’eau et de l’assainissement. Le Groupe sera évidemment présent au Forum de Dakar au niveau international et au niveau local pour valoriser les succès de nos filiales africaines et surtout Sénégalaises et pour partager les dernières solutions technologiques dans nos domaines d’activité. Au Sénégal, nous sommes fiers d’accompagner les organisateurs car SEN’EAU a signé fin juillet un partenariat avec le Secrétariat Exécutif du Forum Mondial de l’Eau. La société s’est engagée sur la promotion du forum ; la mobilisation des acteurs aux plans national et international ; le financement, mobilisation et sponsorisation de la participation de jeunes, de femmes et d’étudiants ; la sécurisation du système d’approvisionnement en eau des sites du forum ; le partage d’expériences en matière d’infrastructures et de gestion de services d’eau.

Dernière question, en tant qu’acteur majeur du secteur, quel regard prospectif portez-vous sur la capacité du continent africain à relever le défi de la disponibilité et de l’accessibilité de l’eau potable dans les prochaines années ?

L’Afrique est un continent dynamique et à fort potentiel. Les différents acteurs publics et privés mènent des projets pour relever ces défis, mais le rythme de la croissance démographique (qui sera multipliée par deux en 2050), l’urbanisation et les impacts du changement climatique sur la ressource en eau est en accélération constante.
En effet, il s’agit en même temps de trouver des solutions rapides pour combler les besoins existants, tout en considérant l’avenir, avec une augmentation de la demande qui ne cesse de croître.
Certains pays sont engagés dans des programmes durables, tel est le cas du Sénégal pour des infrastructures de dernière technologie comme l’usine de production d’eau potable Keur Momar Sarr 3 en construction, qui va améliorer l’alimentation en eau de la ville de Dakar dès la fin de l’année ou de la Côte d’Ivoire avec le plan Eau pour tous pour les villes moyennes.
Les défis de l’accès à l’eau, mais aussi à l’assainissement et au traitement des déchets sont énormes. Ils nécessitent du travail commun de toutes les parties prenantes, autorités locales, bailleurs de fonds, start-ups et opérateurs privés pour trouver des solutions rapides, résilientes et respectueuses du capital naturel de la planète.
Le défi reste de mise mais c’est essentiel pour donner des opportunités à l’Afrique.

Propos recueillis par A.S. TOURE

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