“ En Afrique, il faut aller vers l’intégration régionale et continentale des marchés de capitaux ” Ismaël Adam CISSÉ, CEO de SIRIUS Capital
Ismaël Adam CISSÉ est un entrepreneur passionné par les secteurs de la finance, de la technologie et de l’entrepreneuriat sous toutes ses formes et ce, depuis son plus jeune âge. Après une formation en finances à HEC Montréal, puis à l’Université McGill au Canada, il enrichit ses connaissances en obtenant un Executive MBA de Paris-Dauphine. Toujours avide de savoir et de nouvelles perspectives, il acquiert également une certification dans des domaines aussi pointus que la finance climatique, la finance islamique et la fintech, notamment à travers des programmes renommés tels que celui de Harvard.
Après avoir démontré son expertise en finance et en structuration de projets d’envergure auprès de leaders mondiaux tels que State Street et PricewaterhouseCoopers, il décide en 2014 de quitter l’Amérique du Nord pour la Côte d’Ivoire. Objectif: donner vie à sa passion, et participer à la résolution de la problématique d’accès au financement dans les économies émergentes en fondant Sirius Capital for Africa.
Particulièrement attentif à la finance à impact et aux approches innovantes permettant la mobilisation de sources de financement durables en réponse aux enjeux de développement du continent, Ismaël Adam CISSÉ aspire également à promouvoir la finance verte et son rôle dans la transition vers une économie plus durable pour les entreprises africaines. INTERVIEW
Tout d’abord, pouvez-vous nous dire quelques mots sur Sirius Capital : l’opportunité de sa création, ses activités, sa spécificité ?
La genèse de SIRIUS CAPITAL découle de la nécessité pressante de remédier à l’inefficacité persistante du secteur financier en Afrique, où l’intermédiation entre les besoins massifs en capitaux et les prêteurs locaux, régionaux et internationaux s’avérait déficiente.
À ce jour, SIRIUS CAPITAL se positionne en tant que SGI (Société de Gestion et d’Intermédiation) agréée par l’Autorité des Marchés Financiers, ayant mobilisé plus de 5 milliards de dollars au bénéfice de plusieurs États de la région et du secteur privé.
Nous offrons des conseils stratégiques et facilitons le financement de projets d’envergure, jouant ainsi un rôle crucial dans le développement économique de la région.
En outre, nous gérons actuellement des actifs d’une valeur dépassant les 150 millions de dollars et avons supervisé avec succès plus d’une centaine d’opérations. Ceci a consolidé la réputation de SIRIUS CAPITAL en tant qu’expert dans le développement de l’écosystème économique de la sous-région.
Notre singularité réside dans notre approche stratégique au cœur de nos activités de mobilisation de financement. Contrairement à l’approche conventionnelle, nous intervenons dès les premières étapes de conception des projets, mettant l’accent sur la viabilité et visant des objectifs précis. Nous croyons fermement que la stratégie d’entreprise est aussi cruciale, voire plus, que le financement lui-même dans de nombreux cas.
Une autre caractéristique distinctive de Sirius Capital est notre capacité à innover et notre spécialisation dans les financements innovants. Face aux défis persistants du financement, nous nous efforçons de repousser les limites des approches traditionnelles.
Dans quelles mesures, selon vous, les marchés de capitaux peuvent-ils jouer un rôle crucial dans la mobilisation des investissements en Afrique ?
Les marchés de capitaux doivent un rôle essentiel dans la dynamisation de la croissance économique en Afrique. Leur contribution est multidimensionnelle et va bien au-delà de la simple mobilisation de fonds.
En effet, ces marchés constituent les piliers fondamentaux sur lesquels repose la transformation économique et le développement durable du continent.
Premièrement, les marchés de capitaux offrent une plateforme cruciale pour la mobilisation de l’épargne locale. En facilitant l’accès des citoyens africains aux opportunités d’investissement, ces marchés encouragent l’accumulation de capitaux et favorisent une culture d’épargne et d’investissement à long terme. Cette mobilisation de l’épargne domestique revêt une importance stratégique, car elle réduit la dépendance vis-à-vis des flux de capitaux étrangers volatils et renforce la résilience financière des économies africaines face aux chocs externes.
Deuxièmement, les marchés de capitaux sont des leviers essentiels pour le financement des projets d’infrastructures à grande échelle. Les besoins en matière d’infrastructures en Afrique sont immenses, allant des réseaux de transport et d’énergie aux systèmes de santé et d’éducation.
Les marchés de capitaux permettent de canaliser les investissements vers ces projets stratégiques, en offrant aux gouvernements et aux entreprises les ressources financières nécessaires pour les concrétiser. Cette mobilisation de capitaux contribue à stimuler la croissance économique, à créer des emplois et à renforcer la compétitivité des économies africaines sur la scène mondiale.
Pour maximiser leur impact, il est impératif de travailler à l’intégration des marchés de capitaux à l’échelle régionale et continentale. L’intégration des marchés permettrait de créer des marchés plus vastes et plus liquides, facilitant ainsi l’accès au financement pour un plus grand nombre d’entreprises et de projets.
De plus, une plus grande intégration favoriserait la diversification des investissements et renforcerait la résilience des économies africaines face aux chocs économiques externes.
Enfin, la diversification des instruments financiers disponibles sur les marchés de capitaux est essentielle pour répondre aux besoins spécifiques des économies africaines. En développant des produits financiers innovants et adaptés, tels que les obligations vertes, les titres adossés à des actifs et les fonds d’investissement à impact social, les marchés de capitaux peuvent jouer un rôle catalyseur dans le financement de secteurs clés tels que les énergies renouvelables, l’agriculture durable et l’accès aux services de base.
En somme, les marchés de capitaux sont des acteurs incontournables du développement économique en Afrique.
Leur capacité à mobiliser l’épargne locale, à financer des projets d’infrastructures et à favoriser l’intégration régionale en font des moteurs essentiels de la croissance économique et du progrès social sur le continent.
La faible capitalisation des bourses africaines (notamment la BRVM) n’est-elle pas une des principales raisons de la morosité des marchés de capitaux ? Comment selon vous, peut-on y remédier ?
Il est indéniable que la faible capitalisation des bourses africaines, notamment la BRVM, peut être perçue comme un obstacle à la vitalité des marchés de capitaux. Cependant, je suis d’avis que cette faible capitalisation n’est pas la seule raison de la morosité observée sur ces marchés, mais plutôt le symptôme de problèmes plus profonds.
Tout d’abord, il est crucial de reconnaître que la faible diversité des produits financiers disponibles sur nos marchés constitue un facteur majeur de leur manque d’attrait pour les investisseurs.
Avec moins d’une cinquantaine de compagnies cotées pour toute la sous-région ouest-africaine, notre marché souffre d’un manque de choix et de variété pour les investisseurs.
Bien que des initiatives telles que le compartiment PME aient été accueillies avec optimisme, leur succès reste limité en raison de réformes inabouties.
Par conséquent, pour stimuler l’intérêt des investisseurs, il est impératif de diversifier et d’enrichir l’offre de produits financiers disponibles sur nos marchés.
En outre, la participation restreinte des investisseurs constitue un autre défi majeur à surmonter.
Actuellement, la majorité des investisseurs actifs sur nos marchés sont des institutions, ce qui limite considérablement la profondeur et la liquidité du marché.
Pour remédier à cette situation, il est nécessaire d’élargir la base d’investisseurs en attirant davantage de particuliers vers le marché financier.
L’éducation financière et l’utilisation de technologies financières (Fintech) peuvent jouer un rôle crucial dans cet effort en démocratisant l’accès aux investissements et en renforçant la confiance des investisseurs individuels.
Enfin, il est important de souligner que la réglementation et la fiscalité jouent un rôle déterminant dans la perception et l’attrait des marchés de capitaux.
Des réformes réglementaires et fiscales adaptées sont nécessaires pour créer un environnement propice à l’investissement et à la croissance des marchés financiers. Par conséquent, il est impératif de repenser la proposition de valeur de notre marché financier et de mettre en œuvre des mesures réglementaires et fiscales visant à libérer son plein potentiel.
En résumé, bien que la faible capitalisation soit un défi à relever, il est essentiel de comprendre les causes profondes de cette situation et d’adopter une approche holistique pour renforcer la vitalité et l’attractivité des marchés de capitaux africains.
Cela implique notamment de diversifier l’offre de produits financiers, d’élargir la base d’investisseurs et de mettre en œuvre des réformes réglementaires et fiscales appropriées.
Certains observateurs estiment que la finance digitale et notamment via le mobile peut être une voie à explorer pour mobiliser davantage les capitaux. Etes-vous de cet avis ? N’y a t-il pas des risques ?
Chez SIRIUS CAPITAL, nous croyons fermement que la technologie offre plusieurs solutions aux défis du secteur financier, en particulier en favorisant l’inclusion financière et en permettant à de nouveaux acteurs, tant entreprises que particuliers, d’accéder à des produits et services financiers adaptés à leurs besoins.
De plus, elle facilite l’accessibilité aux services financiers numériques et aux transferts de fonds, offrant ainsi des avantages en termes de rapidité, de transparence et de sécurité des transactions.
Cependant, comme pour toute innovation, il existe des risques à prendre en considération. La cybersécurité est devenue une préoccupation majeure, compte tenu de la sensibilité des données financières manipulées via des plateformes digitales.
La protection contre les cybermenaces et les fraudes est donc une priorité absolue pour garantir la confiance des utilisateurs dans ces nouvelles technologies.
Chez SIRIUS CAPITAL, nous nous positionnons comme un acteur de l’innovation dans le domaine de la finance digitale. Nous sommes engagés dans des partenariats avec des startups de premier plan dans le domaine de la Fintech, et nous avons développé des applications telles que SIRIUS INVEST, qui visent à rendre les marchés financiers accessibles au plus grand nombre.
Notre approche intègre des mesures de sécurité robustes pour protéger les données de nos clients et garantir des transactions sécurisées.
En investissant dans des technologies de pointe et en restant à l’avant-garde de l’innovation, nous nous efforçons de créer un environnement financier digital sûr et inclusif pour tous.
Un autre défi de taille demeure la mobilisation des ressources financières à long terme, indispensables pour les projets d’infrastructures par exemple. Que faut-il pour relever ce défi ?
Pour relever le défi de mobiliser des ressources financières à long terme pour les projets d’infrastructures, il est crucial d’améliorer le fonctionnement des marchés financiers.
Cela implique de mettre en place des réformes pour renforcer la liquidité, la transparence et la régulation des marchés, ainsi que d’encourager l’innovation financière. De plus, il est important d’attirer les investisseurs institutionnels et étrangers en garantissant un environnement réglementaire stable et prévisible, ainsi qu’en offrant des incitations fiscales et des garanties adéquates. En favorisant un marché financier plus dynamique et profond, il sera possible de mobiliser plus efficacement les ressources nécessaires pour financer les projets d’infrastructures à long terme.
La question de la perception (erronée) du risque en Afrique, est souvent évoquée pour justifier la timidité des investisseurs internationaux à l’égard du continent. Êtes-vous de cet avis ?
Il est incontestable que la surpondération du risque dans certains pays africains peut freiner les flux de capitaux internationaux. Cependant, il est important de noter que la perception du risque est en train d’évoluer de manière positive.
Cela est illustré par les récentes émissions d’eurobonds sur le continent, qui témoignent de la confiance croissante des investisseurs internationaux dans nos marchés financiers et nos économies.
Par exemple, la Côte d’Ivoire a récemment bénéficié d’un rehaussement de sa notation de crédit, passant de Ba3 en 2023 à Ba2 en 2024, avec une perspective stable. De plus, en 2024, le pays a réussi à émettre deux eurobonds d’une valeur totale de 2,6 milliards de dollars américains.
Ces succès démontrent la confiance accrue des investisseurs internationaux dans la stabilité et le potentiel de croissance de notre continent.
Malgré leur faible capitalisation, les bourses africaines semblent avoir des perspectives de croissance considérables. Ne craignez-vous pas que le contexte actuel de crises géopolitiques et sécuritaires compromette ces bonnes perspectives ?
Malgré leur faible capitalisation, les bourses africaines montrent des signes encourageants de croissance.
Bien que le contexte de crises géopolitiques et sécuritaires suscite des inquiétudes, les pays africains ont pris conscience de l’importance de mobiliser leurs ressources locales, surtout face au tarissement des capitaux internationaux. Cette adaptation renforce la résilience du secteur financier africain et soutient le développement du secteur privé.
Ainsi, bien que les défis persistants puissent influencer le risque-pays, ils ne devraient pas nécessairement compromettre les perspectives positives de croissance des bourses africaines.
Certains font le vœu de l’intégration des marchés capitaux en une seule bourse intégrée, à dimension continentale. Est-ce une utopie ?
En réalité, l’intégration des marchés de capitaux en une seule bourse continentale à dimension africaine est en cours, et des projets concrets sont déjà en période de test. Des initiatives telles que le West African Capital Markets Integration (WACMIC) et l’African Exchanges Linkage Project (AELP) sont des exemples concrets de cette démarche.
Ces projets visent à connecter les bourses de valeurs mobilières à travers l’Afrique de l’Ouest et à établir des liens entre les différentes places financières du continent.
De plus, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) offre un cadre propice à une intégration plus étroite des marchés financiers africains. Bien que des défis subsistent, tels que l’harmonisation des réglementations et des infrastructures, ces initiatives montrent une progression tangible vers une intégration plus complète des marchés financiers en Afrique.
Dernière question, quelle est votre vision pour Sirius Capital, dans les dix prochaines années ?
Dans les dix prochaines années, je vois Sirius Capital comme le fer de lance de la transformation économique en Afrique. Notre vision est de continuer à utiliser la finance comme un outil pour stimuler le développement durable, soutenir les entrepreneurs et favoriser l’inclusion financière à travers le continent. Nous visons à être non seulement un leader financier, mais aussi un moteur de progrès et de prospérité pour les communautés africaines.
En deux mots : l’innovation et l’impact.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – © Magazine BUSINESS AFRICA