« La digitalisation est un relais de croissance pour la profession d’expert-comptable » Pascale GUEI-ECARE, Associée, Administrateur Général de CI-EXCELSIOR
La profession d’expert-comptable connaît aujourd’hui de profondes mutations. Les cabinets doivent faire face à de nombreux défis, touchant aussi bien l’aspect managérial qu’organisationnel. Pour Pascale GUEI-ECARE, Associée, Administrateur Général du cabinet CI-EXCELSIOR, une des clés pour y faire face réside dans la digitalisation. L’expert-comptable évoque également, dans l’entretien accordé au Magazine BUSINESS AFRICA, l’évolution de la profession dans son pays, la Côte d’Ivoire. INTERVIEW.
Quelle appréciation générale, portez-vous sur l’évolution du métier d’expert-comptable en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier ?
Avant de répondre à cette première question, je voudrais remercier le Magazine BUSINESS AFRICA, pour l’opportunité qu’il me donne de m’exprimer sur le métier d’expertise comptable en Côte d’Ivoire, qui reste encore méconnu du grand public, malgré les efforts de promotion et de communication entrepris par nos instances ordinales. Cette occasion permettra, je l’espère, au citoyen ivoirien lambda, à tout acteur de la vie économique et aux Autorités de Côte d’Ivoire de mieux s’imprégner du rôle de tiers de confiance, qu’est l’expert-comptable. Pour revenir à votre question, je dirai que le métier d’expert-comptable, en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier, a bien évolué. Pour le cas ivoirien, nous sommes partis d’une profession non structurée, à la mise en place d’une organisation associative à partir de 1990, puis à l’institution d’un Ordre des Experts-comptables et des Comptables Agréés de Côte d’Ivoire (OECCA-CI) par la loi n°92-568 du 11 septembre 1992 et le décret d’application n°95-904 du 03 novembre 1995. Placé sous la tutelle du Ministère de l’Economie et des Finances, l’OECCA-CI a connu des réformes significatives, soutenues par l’ordonnance n°2009-387 du 1er décembre 2009 portant création et organisation de l’Ordre des Experts-comptables. Ainsi, entre autres, l’Ordre a connu l’unicité du Tableau par l’absorption de la section des comptables agréés. Et est ainsi devenu l’Ordre des Experts-comptables de Côte d’Ivoire (OECCI). Membre de l’IFAC et de la FIDEF, l’OECCI jouit d’une reconnaissance internationale et d’une bonne renommée qui lui a valu d’être désigné premier pays africain subsaharien à abriter le Congrès Panafricain des Comptables (ACOA), tenu du 15 au 18 mai dernier, à Abidjan.
Face aux incertitudes dues à la crise internationale et à l’inflation réglementaire, il semble que le salut du métier d’expertise comptable viendrait d’un mouvement de regroupement des cabinets. Est-ce votre avis ?
Je suis d’avis que le regroupement de cabinets favorise un exercice optimal de la profession. Face à la multiplicité et à l’importance de missions, des compétences variées sont requises. Le regroupement permet cette mobilisation de compétences diverses dans un cadre « maîtrisé ». En effet, le regroupement de cabinets induit une uniformisation de méthodes de travail et un renforcement de la spécialisation. Avec pour corollaire la maîtrise de la qualité des prestations fournies. Au-delà des conjonctures économiques actuelles, le regroupement de cabinets s’avère donc être une nécessité.
On dit qu’en expertise comptable, ce n’est pas le travail qui manque, mais les bras et les cerveaux. Pensez-vous qu’en Côte d’Ivoire les ressources qualifiées demeurent un défi ?
Le système éducatif ivoirien produit des ressources humaines de qualité. Dans le domaine de l’expertise comptable, la Côte d’Ivoire regorge de centres de formation de renom : l’Institut National Polytechnique Houphouet Boigny ou INPHB (nous y retrouvons les Etudes Comptables Supérieures ou ECS, le Centre de Préparation au Diplôme de l’Expertise Comptable ou CPDEC, etc.), l’Université Felix Houphouet Boigny d’Abidjan (nous y avons la Maîtrise des Sciences et Techniques Comptables et Financières ou MSTCF, le Master Contrôle de Gestion et Audit ou MCGA), et bien d’autres. Non, les ressources humaines qualifiées et en quantité suffisante ne constituent pas un défi en Côte d’Ivoire. Ce qui pourrait être une préoccupation, à mon avis, est bien la participation effective des professionnels nationaux à l’exécution des missions commanditées par l’Etat et ses démembrements. Quand bien même l’on est conscient des efforts consentis par le gouvernement ivoirien vis-à-vis de notre profession, il serait judicieux pour la promotion des professionnels en général, et des jeunes professionnels en particulier, qu’une attribution systématique de mission (d’Etat) soit faite dès le renouvellement des mandats aux nouveaux inscrits sur le Tableau afin de permettre à ceux-ci de disposer de la surface financière nécessaire pour un investissement en capital humain et en matériel, indispensables à une bonne pratique de la profession.
La digitalisation des relations clients et le déploiement des nombreux outils numériques font aujourd’hui partie du quotidien des cabinets d’expertise comptable. Quels sont, selon vous, les avantages et les risques de l’usage de ces outils ?
La digitalisation demeure un relais de croissance de notre profession d’expert-comptable, dans la mesure où elle favorise la prise en charge efficace des missions : l’automatisation permet, par exemple, au professionnel un traitement accéléré des opérations comptables. De plus, elle améliore l’exercice professionnel dans la mesure où les logiciels sont désormais capables d’intégrer les règles juridiques et comptables, les méthodes et normes de travail. Toutefois, le risque majeur demeure le maintien de la confidentialité des informations du client qui est une exigence de notre profession. Raison pour laquelle les solutions cloud doivent être utilisées avec prudence et après une bonne analyse des conditions de sécurité par le professionnel. Par ailleurs, les cabinets d’expertise comptable doivent se munir d’outils pour éviter les intrusions de leur réseau d’informations et mettre en place, en interne, les mesures de sauvegarde nécessaires pour réduire le risque de diffusion des données du client.
L’essentiel du chiffre d’affaires des cabinets d’expertise comptable repose sur l’activité de déclaration et de tenue comptable. La mission de l’expert-comptable se limite-t-elle à ces tâches ? Ceci d’autant plus qu’il est prévu à terme que la comptabilité et les déclarations soient complètement automatisées.
La déclaration selon laquelle la structure du chiffre d’affaires des cabinets d’expertise comptable est composée essentiellement des activités de déclaration et de tenue comptable mérite d’être nuancée. Dans la mesure où la structure du chiffre d’affaires des cabinets d’expertise comptable dépend, en général, de leur taille. Un distinguo doit être fait entre les cabinets de taille moyenne et de grande taille, et ceux de petite taille. La première catégorie intervient principalement sur les missions d’audit et de conseil (ou advisory) tandis que les activités de la deuxième catégorie sont orientées essentiellement sur les missions de déclaration et de tenue comptable. Pour répondre à votre question telle que posée, je dirai non, la mission de l’expert-comptable couvre autant les activités d’audit, de conseil que les activités d’expertise comptable (déclaration, tenue, …). L’audit est une expertise professionnelle effectuée par un agent compétent et impartial, aboutissant à un jugement par rapport à une norme sur les états financiers, le contrôle interne, l’organisation, la procédure ou une opération quelconque d’une entité. Le conseil, quant à lui, consiste à assister les entreprises en matière de gestion, par des formations, par un accompagnement en cas de restructuration, d’organisation ou d’amélioration des processus, de besoin de gestion de la performance, de besoin de gestion des risques, de besoin de gestion fiscale, de besoin de gestion du développement durable et de la RSE, etc… Chaque cabinet fait un choix d’orientation stratégique en fonction des ressources humaines et financières dont il dispose, du niveau de formation des collaborateurs qu’il recrute, de la compétence des membres du personnel, et enfin, des opportunités du marché. A titre d’exemple, le cabinet que je dirige, CI-EXCELSIOR, propose une offre de services complète sur les trois (3) pôles à savoir l’Audit, le Conseil et l’Expertise comptable, parce qu’étant capable, sur les plans technique et matériel, de réaliser de telles missions.
Dernière question, vous êtes femme, expert-comptable et Commissaire aux comptes. Votre genre a-t-il été un atout ou un frein dans l’exercice de votre profession ?
Très belle question qui me fait sourire. Je vous raconte une anecdote à cet effet. Etudiante à l’INPHB de Yamoussoukro en ECS, mon Professeur de comptabilité, Monsieur KONE Noumouké, paix à son âme, me pose la question de savoir ce que je souhaite devenir après mes études. A ma réponse, « experte-comptable », il rigole et déclare : « Si vous êtes une femme expert-comptable, vous ne vous marierez pas et ne serez pas épanouie ». Le défi m’est lancé. Je finis mes études, je suis diplômée d’expertise comptable et mariée. Et, je le rencontre dans une rue du Plateau, centre des affaires à Abidjan. Je l’informe de mes « statuts » du moment : Expert-comptable Diplômée, Mariée. Il voit que je suis très épanouie. Il me répond : « c’est bien, vous avez relevé le défi. Je souhaitais fouetter votre orgueil ». Rires. Je me considère comme une professionnelle en exerçant mon métier d’expert-comptable. Qui est exigeant, autant pour un homme que pour une femme. J’exerce ce métier avec passion, car pour moi, c’est le plus beau au monde. Je l’exerce sans complexe ni œillères, avec toutes les qualités dont je dispose en tant que professionnelle.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – © Magazine BUSINESS AFRICA