« En matière de taxation des entreprises du numérique, les administrations fiscales africaines doivent trouver des dispositifs adaptés au contexte » Laurence Elong Mbassi, Avocate fiscaliste, Fondatrice du cabinet Lem&Co
Laurence Elong Mbassi est avocate fiscaliste, fondatrice du cabinet Lem&Co, qui intervient principalement en Afrique sur des problématiques liées au droit des affaires et à la fiscalité. Elle nous livre son analyse des enjeux et défis de la taxation des entreprises du numérique.
On parle de la très faible imposition des entreprises du numérique. A quoi cela est-il essentiellement dû ?
Tout d’abord, je pense qu’il faut faire une distinction quand on parle d’entreprise du numérique, entre les grandes multinationales, notamment les GAFAM et les entreprises du numérique opérant sur le continent africain et qui ont une vocation nationale ou régionale. Ces dernières sont en général imposées puisqu’elles sont présentes sur le continent.
Donc lorsque l’on parle de faible imposition des entreprises du numérique, je pense que l’on fait référence aux multinationales qui opèrent dans plusieurs pays mais pas au plan de la résidence fiscale.
Elles échappent, de ce fait, à l’impôt dans certaines juridictions où elles mènent leurs activités.
Les principes de taxation des entreprises du numérique doivent-ils répondre, selon vous, à des spécificités ?
Du point de vue des pays africains, ces entreprises doivent certainement faire l’objet de règles spécifiques pour permettre de rattacher les revenus qu’elles réalisent aux juridictions dans lesquelles elles opèrent. Il y a aujourd’hui toute une réflexion qui est menée par plusieurs africains pour taxer les revenus issus du numérique.
Il faudrait que les administrations africaines, en concertation avec les législateurs africains, trouvent les dispositifs qui soient adaptés au contexte africain.
Les règles actuelles d’imposition des bénéfices, fondées sur le principe de l‘établissement stable, doivent-elles être encore effectives ?
Le principe d’établissement stable, reste valable pour plusieurs types d’activités, y compris le numérique. Simplement, je pense que dans le contexte d’une numérisation à l’échelle mondiale, il faut s’en doute adapter la définition de l’établissement stable. Certains pays l’ont fait. A titre d’exemple, le Nigéria, depuis 2019, a ajusté sa définition de l’établissement stable pour pouvoir capter tous les revenus liés aux activités du numérique.
On est donc dans une ère d’adaptation de tous les dispositifs nationaux, en fonction de la politique fiscale de chaque pays et selon ses objectifs.
Cette latitude laissée aux Etats, ne remet-elle pas en cause la pertinence des conventions internationales dans le domaine fiscal ?
Il faut savoir que les conventions fiscales internationales sont arrimées sur le droit interne de chaque pays. On ne peut pas, par exemple, imposer au titre d’une convention internationale, un impôt qui n’existe pas en droit interne.
Il ya des discussions en ce moment, notamment au sein de l’OCDE, avec plusieurs pays africains pour l’adoption d’une convention qui permettrait de taxer certaines entreprises multinationales du numérique.
Le problème est que certains pays africains ont de sérieux doutes sur le fait que ces conventions vont leur permettre de capter des revenus. Certains États ont émis des réserves.
On est donc dans une période où tous les principes des conventions fiscales ne sont pas remis en cause, puisqu’ils continent à s’appliquer mais simplement, chaque Etat doit prendre le sujet à bras le corps et savoir quelle doit être sa position dans cet environnement. Il ya donc un arbitrage à faire au niveau national.
Il faut par ailleurs noter que, quand il y a de nouvelles impositions sur des services numériques, ces impositions sont répercutées sur le consommateur final. Donc il faut faire attention aussi aux impacts que ces taxations pourraient avoir sur le pouvoir d’achat. Il faut donc qu’il y ait une certaine granularité dans les règles qui sont imposées aux entreprises du numérique, afin de ne pas trop taxer les entreprises africaines.
Vers quelles directions les réflexions sont-elles menées actuellement ?
Il ya déjà la question de savoir si les pays africains, pris individuellement, souhaitent adhérer à la convention en cours de discussion au niveau de l’OCDE. Est-ce dans leur intérêt ? Vont-ils mettre en place des dispositifs nationaux qui seront compatibles avec cette convention ?
Beaucoup de réflexions sont en cours sur l’approche à adopter et comment chaque pays pourra se positionner.
Interview réalisée par A. TOURE – ©Magazine BUSINESS AFRICA