Fatou SOW KANE est Directrice Générale de EXPRESSO Sénégal, elle est l’une des rares femmes, en Afrique, à diriger un opérateur de Télécoms et la seule au Sénégal.
Elle évoque dans cet entretien sa perception du management féminin et les défis aux- quels il fait face. Elle conçoit qu’une certaine amélioration s’est opérée depuis ces dernières années, notamment au Sénégal, mais constate qu’il reste encore beaucoup à faire, pour garantir l’égalité des chances et permettre aux femmes de contribuer pleinement et équitablement au développement de leur pays et de leurs organisations
Quelle appréciation générale portez-vous sur l’évolution du management féminin en Afrique ?
L’évolution du Management féminin en Afrique est globalement positive et encourageante. Au cours des dernières décennies, on a assisté à une croissance significative du nombre de femmes occupant des postes de direction dans divers secteurs et industries à travers le continent africain. Les femmes africaines ont fait preuve d’un leadership remarquable en surmontant les obstacles socio-culturels, les stéréotypes de genre et les inégalités de traitement pour accéder à des postes de responsabilité. Leur présence en tant que leaders et gestionnaires leur permet de contribuer de manière significative au développement économique, social et politique de leurs pays. Il reste encore beaucoup à faire pour garantir l’égalité des chances et permettre aux femmes de contribuer pleinement et équitablement au développement de leurs pays et de leurs organisations.
Pourquoi parle-t-on de management féminin ? Selon vous, les femmes possèdent-elles, dans ce domaine, des qualités que les hommes n’ont pas ? Si oui lesquelles ?
On parle de management féminin pour mettre en avant les perspectives et les approches des femmes dans la gestion et le leadership. L’idée est de reconnaître que les femmes peuvent apporter des qualités et des compétences spécifiques qui peuvent enrichir les pratiques de gestion traditionnelles. Cependant, il est important de souligner que toutes les femmes et tous les hommes ont des qualités et des compétences uniques qui peuvent contribuer au management de manière diversifiée et complémentaire. Il s’agit de reconnaître que les femmes peuvent apporter une perspective différente et une approche spécifique à la gestion. Les femmes sont souvent reconnues pour leur capacité à comprendre et à prendre en compte les besoins et les émotions des autres. Cela leur permet de cultiver des relations solides et de promouvoir une culture de travail bienveillante. C’est une sensibilité émotionnelle qui nous permet de mieux gérer les relations interpersonnelles et d’apporter une écoute attentive à nos collaborateurs. Cela fait que nous avons tendance à privilégier une approche collaborative et participative dans notre gestion. Les femmes sont souvent reconnues pour leur capacité à s’adapter aux changements et à conduire des transformations organisationnelles. Leur approche souple et résiliente peut favoriser l’innovation et la créativité dans la gestion. Aussi en tant que défenseuses de l’égalité des chances et de l’inclusion, les femmes s’efforcent de créer des environnements de travail équitables où chacun peut contribuer de manière significative. Il est important de souligner que ces qualités ne sont pas exclusives aux femmes et que de nombreux hommes possèdent également ces compétences. Le management féminin ne devrait pas être considéré comme supérieur ou inférieur au management masculin, mais plutôt comme une reconnaissance de la diversité et de l’inclusion dans les pratiques de gestion.
Quels sont d’après vous, les principaux freins à l’émergence des femmes dans le top management des entreprises ?
Il existe des obstacles tels que les stéréotypes de genre et les préjugés inconscients qui continuent de jouer un rôle désavantageant dans la promotion et l’avancement professionnel. Les idées préconçues selon lesquelles les femmes seraient moins compétentes, moins assertives ou moins aptes à occuper des postes de responsabilité peuvent limiter leurs opportunités à progresser dans leur carrière.
- Des critères de sélection implicites favorisent souvent les qualités et les compétences traditionnellement associées aux hommes, ce qui peut exclure les femmes potentiellement qualifiées pour des postes de direction.
- Le manque de modèles féminins de réussite et de mentors dans les postes de haut niveau peut avoir un impact négatif sur la motivation et l’aspiration des femmes à accéder aux postes de direction. Le mentorat joue un rôle crucial dans le développement des compétences et la progression professionnelle.
- Une charge de travail disproportionnée, en effet les rôles traditionnels de genre assignent souvent aux femmes une charge de travail supplémentaire liée aux tâches domestiques et aux responsabilités familiales. Cela peut rendre difficile pour les femmes de consacrer autant de temps et d’énergie que leurs homologues masculins au travail, ce qui peut affecter leur avancement professionnel.
- Les entreprises qui ne mettent pas en place des politiques et des pratiques favorables à l’égalité des chances et à la diversité peuvent entraver l’avancement des femmes.
- L’absence de mesures concrètes telles que des programmes de mentorat, des formations sur la diversité et l’inclusion, des objectifs de parité de genre, etc., peut contribuer à maintenir le déséquilibre dans les postes de direction.
Ces obstacles ne sont pas insurmontables et de nombreuses initiatives sont en cours pour promouvoir l’émergence des femmes dans le top management des entreprises. Nous avons des initiatives comme FESTIC (Femmes Sénégalaises dans les TICs) ici au Sénégal qui participe aux efforts visant à éliminer les discriminations, à favoriser l’égalité des chances, à fournir des formations et à développer des réseaux de soutien essentiels pour créer un environnement propice à l’épanouissement professionnel des femmes.
Certains préconisent de prendre des dispositions législatives ou règlementaires pour contraindre les entreprises à faire émerger plus de femmes dans le top management. Est-ce une idée à saluer ?
Imposer des dispositions législatives ou règlementaires pour accroître la présence des femmes dans les postes de direction est une idée louable pour plusieurs raisons.
Premièrement, cela permettrait de lutter contre les inégalités de genre au sein des entreprises. Les femmes sont souvent sous-représentées dans les postes de haut niveau, ce qui perpétue les stéréotypes et les barrières professionnelles.
Deuxièmement, les études démontrent que la diversité de genre au sein des équipes de direction est bénéfique pour les entreprises en cela que les femmes apportent souvent une perspective différente et plus équilibrée.
Cependant, il subsiste certaines réticences à l’idée de légiférer ou de réglementer cette question. Ne serait-il pas préférable de laisser les entreprises décider librement de leurs politiques de gestion et de recrutement, et de promouvoir la diversité de manière volontaire ? D’autres pourraient affirmer qu’une approche basée sur les compétences et les qualifications plutôt que sur le genre devrait être privilégiée, et que les femmes devraient être promues en fonction de leur mérite et de leurs réalisations, non pas simplement pour atteindre des quotas. En fin de compte, la question de l’introduction de mesures législatives ou réglementaires pour favoriser la présence des femmes dans le top management est un débat complexe eu égards à nos us et coutumes.
Au Sénégal, votre pays, on note depuis ces dix dernières années, une forte représentativité des femmes dans les fonctions de direction, aussi bien dans le public que dans le privé. A quoi cela est-il dû, selon vous ?
Il existe plusieurs facteurs qui ont pu contribuer à la forte représentativité des femmes dans les fonctions de direction au Sénégal ces dernières années. Voici quelques éléments qui pourraient expliquer cette évolution :
- Le gouvernement sénégalais a pris des mesures pour promouvoir l’égalité des genres, avec l’adoption des lois sur la parité et en mettant en place des politiques visant à encourager la participation des femmes dans les fonctions de leadership. Ces initiatives ont contribué à créer un environnement plus propice à la promotion des femmes dans le top management.
- La sensibilisation et la mobilisation des acteurs, les organisations et les mouvements de défense des droits des femmes ont joué un rôle essentiel dans la promotion de l’égalité des genres et de la représentation des femmes dans les fonctions de direction.
- L’accès croissant à l’éducation.
- Les politiques d’entreprise en faveur de la diversité et de l’inclusion.
- La volonté politique de promouvoir l’égalité des genres.
Ces facteurs combinés ont contribué à créer un écosystème plus favorable à la promotion des femmes dans les postes de direction au Sénégal. Cependant, il est important de noter qu’il reste encore des défis à relever pour assurer une représentation équitable des femmes et des hommes dans tous les secteurs.
Aussi, l’éducation des femmes au Sénégal s’est considérablement améliorée au cours des dernières décennies. Les femmes sénégalaises ont montré une volonté et une détermination sans faille pour poursuivre leur éducation, ce qui a favorisé leur progression professionnelle. Ce qui fait que de nombreuses entreprises sénégalaises, tant dans le secteur public que privé, reconnaissent les avantages d’une représentation équilibrée hommes-femmes dans les postes de direction et mettent en favorisant le développement du leadership et des opportunités de progression pour les femmes. Les dirigeants et les décideurs ont exprimé leur volonté de favoriser la participation des femmes dans les fonctions de direction et ont pris des mesures concrètes pour soutenir cette initiative.
Vous dirigez une importante entreprise de Télécoms au Sénégal. Dans votre cas personnel, être une femme a été un atout ou un défi ?
En tant que femme, diriger une entreprise de télécoms au Sénégal peut-être à la fois un atout et un défi. Malgré les progrès réalisés en matière d’égalité des sexes, il existe encore des stéréotypes et des préjugés liés au genre dans le milieu professionnel.
D’un côté, être une femme peut apporter une perspective unique et une approche différente de gestion. Les femmes ont souvent démontré des compétences en matière de communication, de résolution de problèmes et de gestion des relations, qui peuvent être très bénéfiques dans le secteur des télécoms.
D’un autre côté, diriger une entreprise en tant que femme peut également être un défi. Certaines personnes peuvent sous-estimer ou remettre en question les compétences d’une femme à occuper des postes de direction. Cela peut impliquer d’avoir à faire face à des préjugés, à surmonter des obstacles supplémentaires et à travailler deux fois plus dur pour être reconnue et respectée à juste titre. Malgré ces défis, de nombreuses femmes réussissent à diriger avec succès des entreprises au Sénégal et partout dans le monde.
En fin de compte, être une femme à la tête d’une entreprise de télécoms au Sénégal peut apporter des avantages en termes de diversité et de compétences, tout en donnant l’opportunité de relever les défis liés aux stéréotypes de genre.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA
