On dit que les crises sont souvent les éléments déclencheurs de la remise en question des entreprises. Il s’agit donc généralement d’un impératif plus que d’un choix. Quel rôle la gouvernance d’entreprise joue t-il dans ce contexte ? Comment les Comex et autres organes de décisions doivent-ils agir pour amoindrir l’impact des chocs exogènes ? Pour répondre à ces questions , le Magazine BUSINESS AFRICA s’est entretenu avec Désiré KADIO-MOROKRO, Directeur Général du Cabinet ALLIANCE CONSEILS. Selon ce spécialiste reconnu de l’accompagnement des entreprises en Afrique, pour être efficace, la gouvernance d’entreprise doit reposer sur une combinaison de structures solides, de pratiques éthiques, de transparence et de responsabilité envers toutes les parties prenantes.
La gouvernance d’entreprise, fait habituellement référence aux relations entre direction, conseil d’administration, actionnaires et autres parties prenantes. Comment en assurer l’efficacité et au moyen de quels outils ?
Bien qu’il semble souvent galvaudé, le concept de gouvernance d’entreprise est sans doute l’une des pierres angulaires de la réussite et de la pérennité des organisations. De par son essence, il regroupe l’ensemble des processus décisionnels et de contrôle des entreprises. La gouvernance d’entreprise structure donc les interactions entre les différents acteurs et repartit les droits et responsabilités au sein des entités. De son efficacité découle des prises de décisions transparentes et responsables, favorisant la confiance de l’ensemble des parties prenantes mais également l’atteinte des objectifs à long terme.
Pour en assurer l’efficacité, il est essentiel de suivre quelques principes fondamentaux et d’utiliser des outils appropriés. Premièrement, les entreprises doivent, d’une part à travers leur politique interne, manuel de procédures, règlement intérieur et plan de continuité d’activités, établir des règles et processus claires et transparents ; de sorte à se garantir un fonctionnement conforme à des normes élevées d’intégrité et de responsabilité. Et d’autre part, elles doivent mettre en place des canaux de communication ouverts et réguliers afin de recueillir les opinions et préoccupations des parties prenantes. Cela permettrait à tous ses acteurs d’être informés et de participer à la prise de décision.
Les entreprises devraient également s’assurer que les membres du conseil et les organes de direction aient une compréhension approfondie des enjeux actuels, des tendances du marché et des meilleures pratiques notamment en terme d’intelligence économique ; et implémenter des outils d’évaluation régulier à l’instar des tableaux de bord stratégiques utilisant des indicateurs clés de performances. Aussi, elles devraient adopter des mécanismes de rémunération transparents liant la rémunération des dirigeants à la performance de l’entreprise. Toute chose qui pourrait inciter à prendre des décisions favorisant la croissance et la création de valeurs à long terme.
Je peux dire que l’efficacité de la gouvernance d’entreprise repose sur une combinaison de structures solides, de pratiques éthiques, de transparence et de responsabilité envers toutes les parties prenantes. Cela n’est pas un luxe, mais une nécessité qui impose un engagement, une évaluation continue, et une adaptation. Avec une gouvernance solide, nous ne construisons pas seulement des entreprises prospères, mais contribuons à la mise en place d’un écosystème économique durable et équitable pour tous.
Les périodes d’incertitude économique et géopolitique redéfinissent le paysage entrepreneurial et son écosystème. Les entreprises doivent donc s’adapter pour naviguer efficacement à travers ces défis et maintenir leur stabilité. La réponse relative au type de management à adopter face à cette adversité, réside dans un management résilient agile et centré sur l’humain. Il est impératif d’inculquer une culture de résilience aux managers, car en ces périodes de complexité croissante, nos entreprises doivent non seulement survivre, mais aussi prospérer. Il est donc nécessaire voire primordial d’anticiper sur les risques, s’adapter rapidement et se remettre des chocs, tout en faisant preuve de flexibilité et d’agilité. Afin de pouvoir réagir face aux changements et de saisir les opportunités émergentes.
De toute évidence, les bouleversements incessants exigent de nous une flexibilité opérationnelle. Cela implique d’adopter des méthodes de travail souples, de réviser régulièrement nos processus et d’encourager l’innovation. Parallèlement, les dirigeants devraient implémenter une planification scénarisée tenant compte de différents scénarios possibles, à la lumière des diverses fluctuations économiques et géopolitiques. Cette planification stratégique à court terme (qui doit fréquemment être révisé), pourrait permettre une réaction rapide face aux changements. Car même si la vision à long terme reste essentielle, la volatilité actuelle nous oblige à adopter une approche plus immédiate tout en ayant en ligne de mire les priorités stratégiques essentielles pour l’entreprise. Aussi, notez que dans ces contextes de crise, l’information est cruciale. Les dirigeants doivent donc communiquer régulièrement, ouvertement et honnêtement avec toutes les parties prenantes. La confiance s’établit lorsque les informations, qu’elles soient bonnes ou mauvaises sont partagées et discutées.
Par ailleurs, les managers devraient profiter du contexte pour explorer de nouvelles opportunités et transformer leur organisation. L’innovation et/ou la diversification peut ouvrir de nouvelles voies de croissance et de différenciation sur le marché. Les périodes de bouleversement peuvent être des moments propices à l’innovation et à la transformation ouvrant la voie à de nouveaux modèles commerciaux. Dans ce contexte VUCA (volatile incertain complexe et ambiguë), nous devons adopter un management qui embrasse le changement, qui valorise l’humain et qui, en fin de compte, nous prépare à affronter avec confiance les défis à venir. Toutefois, chaque entreprise est unique ; il est donc important d’évaluer la situation et d’adapter ces principes en conséquence.
On a tendance à penser que la gouvernance d’entreprise est l’apanage des grandes entreprises. Etes-vous de cet avis ?
Non, la gouvernance d’entreprise n’est pas exclusivement réservée aux grandes entreprises. Elle est tout aussi importante, voire plus, pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME). Certes, elle est souvent associée, dans l’imaginaire collectif, aux grandes entreprises et/ou aux multinationales, mais il faut préciser que les questions de gouvernance ne sont pas seulement l’apanage des géants industriels. Elles sont tout aussi, sinon plus, pertinentes pour les PME.
Il faut savoir que la bonne gouvernance est essentielle quelle que soit la taille de l’entreprise, car elle garantit la transparence et la prise de décision dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. Elle contribue à la réussite de l’entreprise, à sa stabilité financière et à préserver la confiance avec ses différents acteurs. En effet, son caractère essentiel pour les PME ressort sur plusieurs aspects, entre autres, la protection contre les risques car, souvent dotées de ressources limitées. Une gouvernance solide permet de mettre en place des garde-fous pour prévenir les erreurs coûteuses et garantir la durabilité.
Notons également que toute entreprise aspire à grandir ; et la bonne gouvernance peut préparer le terrain pour une expansion future. Une PME dotée d’une gouvernance claire et structurée est souvent plus attrayante pour les investisseurs potentiels. Elle démontre un sérieux et une préparation qui peut faciliter l’accès au financement. Je peux inférer que la gouvernance d’entreprise est essentielle pour les PME, car elle aide à résoudre les défis spécifiques auxquels elles sont confrontées et à saisir les opportunités de manière stratégique.
Aujourd’hui, le digital est au centre de tout, quel est l’impact de la transformation numérique sur la gouvernance d’une entreprise ?
Le digital est aujourd’hui au cœur de notre façon de travailler, de communiquer et de créer de la valeur. L’impact de cette transformation numérique sur la gouvernance d’entreprise est à la fois profond et incontournable, car elle encourage la décentralisation des décisions. Grâce aux outils digitaux, l’information circule plus rapidement, offrant une transparence accrue. Naturellement, cette fluidité informationnelle favorise l’agilité, et permet une meilleure prise de décision et un ajustement des stratégies en temps réel face aux menaces ou opportunités du marché.
En matière de gouvernance, plusieurs domaines de connaissance se recoupent, le tout parfois aggravé de façon exponentielle par les informations disponibles grâce à la technologie. Par conséquent, il devient vital de savoir structurer ces vastes quantités d’informations. En plus, la montée en puissance de la data met l’accent sur les questions d’éthique dans les entreprises. La gouvernance doit donc intégrer des politiques claires concernant l’utilisation des données, le respect de la vie privée et la sécurité ; afin d’instaurer une confiance non seulement auprès des clients, mais aussi des partenaires.
La transformation numérique est aussi sujette d’insécurité, parce que les entreprises sont de plus en plus confrontées aux cyberattaques. Cela doit être une préoccupation majeure pour le top management qui doit s’assurer que des mesures adéquates sont prises pour protéger les données et les systèmes de l’entreprise. D’où la mise en avant des innovations et la remise en question des modèles pour garantir une croissance durable.
Il est donc impératif de reconnaitre que la transformation numérique n’est pas une simple tendance passagère. C’est un changement fondamental dans la manière dont les entreprises pensent, agissent et interagissent. Celles-ci doivent donc garder une posture proactive et adapter leur gouvernance au digital.
Le monde professionnel a fortement évolué ces dernières années. Il est question de management participatif, de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) au sein des entreprises…Les pratiques de management se sont donc complexifiées. Pensez-vous que cette complexification est propice au développement de l’entreprise africaine, essentiellement constituée de PME ?
L’environnement professionnel, dans sa quête incessante de croissance et d’efficacité, voit constamment émerger de nouvelles pratiques de management. Ces changements, bien qu’essentiels dans des marchés saturés et hyper-compétitifs, soulèvent des interrogations fondamentales sur nos économies africaines, dont l’un des piliers reste les PME. Pour ma part, j’estime que ces évolutions représentent des opportunités mais également des défis.
Riche de sa diversité culturelle, et de son attrait de la communauté, cet écosystème peut tirer profit des nouvelles pratiques de gestion d’entreprise comme le management participatif. Ce modèle qui valorise chaque voix, favoriserait l’engagement accru des employés à majorité jeunes. Pour nos PME, cela serait propice par l’impact positif sur la motivation des équipes, la rétention des talents et une créativité décuplée. En s’intéressant davantage à ces nouvelles méthodes et outils de management, nos entreprises pourront s’adapter au contexte mondial, suivre les meilleures pratiques internationales et atteindre un niveau de compétitivité plus élevé. Pour ce faire, les PME africaines doivent se former à l’utilisation de ces outils, les adapter à leur contexte et les intégrer progressivement dans leur fonctionnement.
Pour ce qui est de la RSE, c’est une valeur intrinsèque. D’autant plus que nos PME, en adoptant des stratégies RSE, ne feront pas simplement preuve de conformité ; elles travailleront à l’amélioration de leur écosystème en renforçant la confiance des consommateurs, des investisseurs et des partenaires. Je pense que cette complexification des pratiques de management peut être considérée comme une chance pour les entreprises africaines, en particulier les PME, d’améliorer leur organisation et d’innover. Cependant, les défis liés aux ressources, à la formation, à la sensibilisation et à la cohérence culturelle doivent être pris en compte pour une mise en œuvre réussie.
Pour terminer, je souhaite préciser que l’avenir ne s’oriente plus vers une spécialisation croissante, mais plutôt vers la pluridisciplinarité, un genre de pollinisation croisée entre les différents domaines ; le succès appartiendra donc, aux entreprises qui disposent de plusieurs compétences et qui réussissent à les combiner de façon créative.
Quelle est, dans ce contexte, la place du capital humain dans la création de valeurs ?
Je dirais que le capital humain est le moteur de la création de valeurs dans nos entreprises. C’est une vérité fondamentale ; le capital humain est, et restera, le principal vecteur de création de valeurs au sein des entreprises. Le potentiel de nos organisations ne réside que dans nos capacités à libérer, cultiver et magnifier le talent et la passion de nos collaborateurs. Des études approfondies et des analyses sectorielles ont montré que les entreprises qui investissent activement dans la formation, le bien-être et l’épanouissement de leurs équipes enregistrent des performances nettement supérieures. Ces entreprises bénéficient d’une productivité accrue, d’une fidélité renforcée de leurs collaborateurs, et d’une capacité d’innovation constamment renouvelée. Le potentiel humain, lorsqu’il est cultivé, ne cesse de croître et de s’adapter là où les machines et les technologies peuvent devenir obsolètes.
Prenons l’exemple de géants technologiques tels que Google ou Apple. Bien que ces entreprises soient à la pointe de la technologie, elles sont également reconnues pour leur culture d’entreprise axée sur l’humain. Chez Google, particulièrement, il y a des initiatives telles que “20% time”. C’est l’occasion pour les employés de consacrer 20% de leur temps à des projets personnels qui – ont conduit à de grandes innovations.
J’exhorte chaque chef d’entreprise à ne jamais perdre de vue cette réalité fondamentale : notre capital humain est la pierre angulaire de notre réussite. C’est en reconnaissant, en valorisant et en investissant dans nos équipes que nous construirons des entreprises résilientes, innovantes et prospères ; car la véritable richesse de toute organisation réside dans les cœurs et les esprits de ceux qui la composent.
Vous dirigez le Cabinet ALLIANCE CONSEILS, pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’opportunité de sa création, ses missions et la spécificité de son approche ?
Dans un environnement économique en constante mutation avec un paysage concurrentiel de plus en plus dense, la nécessité d’un accompagnement stratégique sur mesure n’a jamais été aussi cruciale. Dans l’espace monétaire ouest africaine (UEMOA) notamment en Côte d’Ivoire et au Togo où nous sommes implantés, plus de 80% du tissus économique est composé de PME et représente environ 20% PIB. Il existe donc un large champ d’actions face aux besoins croisant liés aux conseils et à l’accompagnement de celles-ci. Le cabinet Alliance Conseils a été fondé en 2010 pour répondre à cette urgence : éclairer leur lanterne, renforcer leur positionnement, les rendre compétitives et catalyser leur croissance. Notre mission première est de fournir une expertise focalisée, basée sur les défis propres à chaque PME. Nous travaillons à combler l’écart entre leurs aspirations et leur concrétisation, tout en proposant des solutions contextuelles, efficaces et personnalisées.
Nos interventions s’articulent autour de quatre axes majeurs, à savoir : 1) le conseil et la stratégie, 2) l’assistance comptable et l’optimisation fiscale et opérationnelle, 3) l’innovation et la digitalisation, 4) la formation et le renforcement de compétences ; afin d’améliorer l’efficacité de leurs processus internes et maximiser leur productivité et rentabilité. Notre approche distinctive réside dans l’engagement à comprendre en profondeur les spécificités et les aspirations de chaque PME avec laquelle nous collaborons. Nous proposons une combinaison unique d’expertise sectorielle, d’innovation méthodologique et une passion pour l’excellence.
Interview réalisée par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA