“ L’Afrique demeure, malgré tout, un terrain propice à l’investissement ”
C’est du moins l’avis de Guillaume KETY, Fondateur et Directeur Général de AFRIKA FORWARD. Cet ivoirien, titulaire d’un Master en Finances et d’un bachelor en sciences comptables (spécialisation comptabilité de management) obtenu à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), est un des acteurs majeurs de l’accompagnement des investisseurs sur le marché national.
C’est à Montréal, au siège de DOLLARAMA, leader canadien de la distribution, qu’il débute sa carrière professionnelle.
A son retour en Côte d’Ivoire, il est embauché par la Compagnie de Distribution de Côte d’Ivoire comme contrôleur de gestion. La majeure partie de son expérience professionnelle est toutefois liée à la promotion des investissements. En effet, il intègre dès 2009 le Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI), où il aura l’opportunité pendant 8 ans, de travailler et d’évoluer à plusieurs postes, notamment comme chargé d’études, Chargé de mission du Directeur Général, chef de projet, chef de service, dans plusieurs départements.
Cette expérience lui apporte une vision transversale du métier de la promotion des investissements.
Début 2017, il se lance dans l’entrepreneuriat et crée un cabinet de conseil à l’investissement, dénommé AFRIKA FORWARD, spécialisé dans l’accompagnement des investisseurs privés en Côte d’Ivoire et en Afrique. Son cabinet a eu l’opportunité d’accompagner un peu plus de 80 projets d’investissements principalement en Côte d’Ivoire, mais aussi au Sénégal et au Cameroun.
Vous avez créé le Cabinet AFRIKA FORWARD, en quoi consistent ses activités ?
Le cabinet AFRIKA FORWARD est un cabinet de facilitation et d’accompagnement pratique privé des investisseurs.
En effet, l’investissement étant un sujet pluridisciplinaire, qui, par définition, requiert des expertises diverses (financières, juridiques, fiscales, économiques) et surtout une maîtrise et une bonne compréhension de l’environnement, il existe à cet effet un besoin d’accompagnement privé des investisseurs. Selon moi, savoir comment et sur qui s’appuyer pour investir est un métier en soi. Une fois l’investissement réalisé, savoir comment exploiter son activité, la faire grandir et en assurer sa pérennité en un autre.
C’est pourquoi, pour un investisseur, se rapprocher d’un cabinet spécialisé dans le « comment investir ? », avec une prise en compte de la règlementation vigueur, des acteurs en place, de l’environnement, de la législation, des tendances, etc… est un gain de temps, un gain d’argent et un accroissement de l’efficience.
Cela permet à l’investisseur d’optimiser son investissement et de se concentrer ensuite sur l’exploitation, puis le développement de son activité. C’est ainsi que nous assistons les investisseurs dans la prise en compte de l’environnement, la connaissance du marché, l’obtention d’exonérations fiscales (principalement à travers le code des investissements), l’obtention de terrains industriels, l’obtention de tous types de licences, permis, conventions et autorisations sectorielles.
Nous fournissons également de l’information économique, financière et règlementaire relative à des secteurs prioritaires d’investissement.
Enfin, sur la base de notre expérience et de nos partenariats, nous dirigeons nos clients vers tous les corps de métiers nécessaires à la réalisation efficiente d’un investissement (cabinets d’études, cabinets juridiques, experts-comptables, avocats, constructeurs, assureurs, etc.).
Avec eux, nous effectuons ensuite un suivi jusqu’à la réalisation effective de l’investissement.
Selon vous, l’Afrique est-t-elle encore perçue comme un terrain propice à l’investissement ?
Au vu de la rentabilité des investissements, des opportunités, de la maturité du marché, de la démographie, de la croissance économique et des mesures en cours pour accroître la taille des marchés et améliorer le climat des affaires, je réponds oui.
Commençons tout de même par indiquer que, malgré de réelles potentialités, l’Afrique capte une part relativement faible des Investissements Etrangers (IDE) mondiaux.
En effet, malgré la forte croissance économique observée sur les 10 dernières années, les flux d’investissement vers l’Afrique n’ont représenté que 4,1% des IDE mondiaux en 2020 et 5,2% en 2021.
Néanmoins, le montant des IDE vers l’Afrique est passé de 61 milliards de dollars en 2015 à 83 milliards de dollars en 2021 soit une évolution de 36%.
Cette faible part d’IDE captée peut s’expliquer, notamment par certains risques, liés à l’instabilité politique et sécuritaire, le climat des affaires, les coûts de facteurs, la taille de certains marchés, les difficultés d’accès au financement, etc.
Toutefois, investir en Afrique est rentable.
En effet, le rapport 2011 de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement indiquait qu’entre 2006 et 2011, l’Afrique a enregistré le plus haut taux de rendement sur les Investissements Directs Etrangers (IDE), soit 11,4 %, devant l’Asie (9,1%) et la région Amérique latine et Caraïbes (8,9 %), le taux à l’échelle mondiale étant de 7,1 % .
De même, toujours selon la CNUCED, sur la période de 2010 à 2018, l’Afrique a généré le deuxième meilleur taux de rendement sur les IDE, soit 9% (derrière l’Asie du Sud-Est).
De plus, le marché africain reste l’un des marchés les moins saturés de la planète et il offre encore de nombreuses opportunités et niches inexploitées pour les investisseurs dans de nombreux secteurs d’activités.
Le taux d’exploitation et de transformation de ses richesses naturelles est un des plus bas de la planète.
En outre, la jeunesse africaine, qui est évaluée à environ 77% de la population sur le continent, représente un large potentiel de consommateurs et de compétences.
Il faut également indiquer le potentiel de la toute nouvelle Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) qui à terme, constituera un marché de 1,4 milliard d’habitants, ce qui représente un atout pour le continent africain en terme d’attraction des investissements.
En conclusion, et au vu de ce qui précède, malgré certains risques évoqués plus haut, l’Afrique demeure un terrain propice à l’investissement et à mon sens verra son volume d’investissement capté augmenter dans les années à venir.
Parmi les pays dont la croissance est la plus rapide au monde, dix sont africains, quelle analyse en faites-vous et pensez-vous que cette tendance va se poursuivre ?
Entre 2015 et 2020, 26 pays Africains ont présenté des taux de croissance supérieurs à 5%. En 2020, on retrouve 10 pays Africains (Éthiopie, Guinée, Bénin, Niger, Égypte, Ouganda, Somalie, Tanzanie, Côte d’Ivoire, Burkina Faso) dans le top 20 des pays à croissance positive malgré une contraction de l’économie mondiale (4,4% de contraction de la croissance économique mondiale) due à la crise de la COVID-19.
Cette tendance confirme que l’Afrique s’est développée beaucoup plus rapidement que de nombreuses autres régions du monde. L’Afrique subsaharienne par exemple a connu une augmentation de sa croissance de 353 % entre 2010 et 2020, alors que la croissance du PIB mondial a évolué de 184 % sur la même période.
Les économies africaines se positionnent donc comme les locomotives de la croissance du PIB mondial, et un des facteurs clés de cette croissance est l’augmentation des IDE, dont la valeur est passée de 61 milliards de dollars en 2015 à 83 milliards de dollars en 2021, soit une évolution de 36%. On note également une hausse des transferts de fonds vers l’Afrique qui sont passés de moins de 100 milliards de dollars en 2005 à un peu moins de 200 milliards de dollars en 2019, pendant que l’aide publique au développement est restée autour de 100 milliards de dollars entre 2015 et 2020.
Or, l’Afrique possède encore les fondamentaux qui ont contribué à la croissance économique phénoménale du continent au cours des dix dernières années.
Je suis d’avis que la tendance va se poursuivre. D’ailleurs, le rapport 2022 du FMI sur les perspectives de l’économie mondiale, prévoit des taux de croissance économiques respectifs pour l’Afrique de 3.6% et 3.7% en 2022 et 2023, en comparaison à une moyenne mondiale de 3.2% et 2.7% sur la même période.
Il faudra toutefois observer avec attention l’impact à moyen terme de la crise ukrainienne sur les économies africaines et l’évolution de la dette souveraine qui demeure une menace pour la reprise économique. Le ratio moyen dette/PIB en Afrique a été estimé par le Banque Africaine de Développement à 70% du PIB en 2022, bien, en dessous mais relativement proche du ratio de 77% déterminé comme limite par la Banque Mondiale.
Quelles sont les actions prioritaires à engager par les Etats africains pour redynamiser le secteur de l’investissement, qu’il soit national ou étranger ?
Les économies africaines étant à des niveaux de maturité et de développement différents, les actions à mener ne seront pas les mêmes pour tous les pays du continent.
Des nations telles que l’Égypte, le Maroc, l’Afrique du Sud, le Kenya ou le Rwanda qui occupent les premiers rangs en Afrique dans les rapports de la Banque Mondiale et du FMI sur l’environnement des affaires, n’adopteront pas les mêmes mesures de dynamisation de l’investissement que des pays tels que le Soudan du Sud, le Liberia, le Burundi, la Somalie et la Guinée équatoriale, placés à des rangs moins élevés.
Toutefois, certaines grandes actions à engager peuvent convenir à plusieurs pays en vue de stimuler l’investissement. Il s’agit notamment de Promouvoir la bonne gouvernance ; Améliorer le climat des affaires ; Créer ou promouvoir des zones industrielles et zones économiques spéciales performantes ; Accroître l’accompagnement et l’accès au financement des PME/PMI ; Accroître le niveau d’éducation et de formation technique et professionnelle de qualité ;
Promouvoir le commerce international.
Comment, selon vous, l’Afrique peut-elle attirer les fonds de pension des pays développés à investir plus massivement sur ses projets ?
Les fonds de pensions des pays développés sont d’importants investisseurs et gèrent de nombreux actifs.
En effet, selon le rapport 2022 de la Thinking Ahead Institute, la valeur des actifs gérés par les fonds de pension des 22 pays les plus importants s’élève à 56 575 milliards de dollars en 2021, soit plus de 600 fois la valeur totale des IDE vers l’Afrique en 2021.
Ces fonds constituent donc des sources d’investissement que l’Afrique pourrait attirer en vue d’augmenter le volume d’IDE.
Ce qu’il faut souligner ici c’est la destination des investissements de ces fonds. En effet, les fonds de pension investissent principalement sur le marché des capitaux, avec plus de 70% de leurs investissements en titres ou en obligations. Ils investissent également dans l’immobilier (entre 10 et 15% de leurs investissements).
Ainsi, développer les marchés de capitaux africains, encourager les entreprises locales ayant de solides fondamentaux à entrer sur ces marchés, et développer l’installation et les performances des établissements financiers exerçant les activités de négociateur-compensateur de valeurs mobilières cotées pour le compte de tiers, telles que les sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI), sont quelques actions qui pourraient inciter les fonds de pension des pays développés à investir plus massivement sur le marché africain.
Ceci étant dit, quelle est la place de l’Afrique dans le système boursier mondial ?
Il faut savoir qu’en 2021, l’Afrique comptait 35 places boursières, dont les plus importantes sont la Johanesburg Stock Exchange (JSE), et la Nigerian Stock Exchange (NSE) avec des capitalisations respectives de 1 000 milliards USD (représentant environ 80% de la capitalisation boursière du continent) et 269 milliards USD, en comparaison à celles de la New York Stock Exchange (NYSE) (26 000 milliards de dollars) et London Stock Exchange Group (LSEG) (3 000 milliards de dollars)
On constate donc que les places boursières africaines doivent être dynamisées en vue d’offrir des produits attractifs et être capables d’attirer des investisseurs tels que les fonds de pension de retraite des pays développés.
En outre, la présence de projets d’envergure rentables, privés ou publics-privés, à exécuter dans des environnement stables et sécuritaires, est un atout pour attirer les investissements de fonds de pension vers l’Afrique.
On évoque souvent, comme principal frein aux investissements étrangers, la perception du risque qui serait trop élevée en Afrique ? Etes-vous d’accord avec cette thèse ?
Je pense que chaque région ou continent a son lot de risque.
En Europe, on peut citer certaines décisions politiques inattendues, tel que le Brexit, qui a généré une pause significative des flux de capitaux vers les sociétés privées en Europe.
Aux USA, le marché financier occupe une place prépondérante dans le système économique, ce qui peut constituer en soi un risque lorsque celui-ci s’effondre, rappelons-nous la crise des subprimes en 2018.
Sur le continent africain, parmi plusieurs risques, la corruption et la sécurité sont souvent évoquées.
En effet, l’indice de perception de la corruption (IPC) 2021 établit par la Banque Mondiale pour l’Afrique subsaharienne indique un score moyen de 33 sur 100, le plus bas au monde, comparativement à l’Asie (41), l’Europe (58), l’Océanie (46) les USA (67) et l’Amérique (44).
De plus, depuis quelques années, on observe une montée du terrorisme qui, selon le rapport 2022 de l’Africa Center for Strategic Studies, principal organe d’analyse du Pentagone pour l’Afrique, les attaques terroristes sur le continent ont augmenté de 300 % au cours de la dernière décennie pour s’établir à 9 863 attaques terroriste en Afrique subsaharienne en 2021 contre 48 035 attaques terroristes dans le monde.
Ces chiffres placent l’Afrique subsaharienne à la 3ème région la plus victime de ce fléau dans le monde derrière le Moyen Orient/Afrique du Nord et l’Asie du Sud. Toutefois, à mon sens certains de ces risques sont globaux et d’autres sont contrôlables ; de plus, comme déjà indiqué, l’Afrique enregistre les taux de rendement parmi les plus élevés au monde.
Pour finir, je pense que la croissance des investissements en Afrique est inéluctable dans les prochaines années.
La vitesse de cette croissance dépendra en partie des réformes prises et mises en œuvre visant à l’amélioration du climat des affaires, à la bonne gouvernance, à l’éducation de qualité, au développement des infrastructures sociales et économiques.
Propos recueillis par A.C. DIALLO
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