Mobile money & inclusion financière. Interview Exclusive d’Elisabeth Medou Badang, Directeur de zone et Porte parole d’ORANGE MEA
Elisabeth Medou Badang est Directeur de zone et Porte parole d’ORANGE Middle East Africa (ORANGE MEA). Elle occupait auparavant la fonction de Directrice Générale d’Orange au Botswana puis au Cameroun. Dans ces deux pays, elle a vu en grandeur nature la puissance d’Orange Money dont le potentiel innovateur la passionne encore. Dans cette interview, elle nous livre son sentiment sur le bilan des 10 années d’Orange Money ainsi que son analyse des défis et enjeux de la transformation digitale sur le continent africain.
Orange Money existe maintenant depuis une dizaine d’années, quel bilan en faites-vous ?
Je peux dire que le bilan est satisfaisant. C’était un véritable pari, lorsqu’en 2008 Orange Money a été lancé en Côte d’Ivoire. Le service s’est développé avec des phases d’accélération à partir de 2010. Aujourd’hui Orange Money est présent dans 17 pays au monde et continue son expansion. Stéphane Richard notre PDG a d’ailleurs affirmé que c’est Orange Money qui a inspiré le projet de création de Orange Banque en France.
A quoi attribuez-vous cette fulgurante progression d’Orange Money dans les pays africains ?
Je pense que la faiblesse du taux de bancarisation en Afrique a été un des facteurs du développement rapide d’Orange Money sur le continent africain. Le mobile money de manière générale se présente aujourd’hui comme un outil efficace d’inclusion financière et permet un certain nombre de services simples d’usage. C’est véritablement la traduction de ce que le digital peut apporter.
Orange Money se révèle pour nous, non seulement comme un relais de croissance, mais aussi comme un outil de fidélisation de la clientèle.
Concrètement, quels apports significatifs ce service de transfert d’argent a t-il créé pour les usagers du téléphone mobile ?
Orange Money, c’est d’abord un levier de création de valeur dans la mesure où les coûts de transaction y sont beaucoup plus faibles que dans la banque traditionnelle. A cela s’ajoute la disponibilité du produit (crédit de communication) puisque le client peut à tout moment charger son compte téléphonique à partir de son porte-monnaie électronique d’où qu’il soit. Il faut par ailleurs noter que dans certains pays, il est possible de faire via Orange Money des transferts à l’international. On peut également joindre son compte Orange Money à son compte bancaire, ce qui facilite la vie des clients déjà bancarisés. A Madagascar par exemple, Orange a noué un partenariat avec des Institutions de micro finance, permettant aux clients d’avoir accès, via leurs smartphones, à un micro crédit. Ceci a été possible grâce aux solutions d’analyse de risque que nous avons mises en place et qui permettent à l’institution de micro crédit partenaire, de prêter de l’argent sur la base de l’évaluation du risque à partir de l’historique des usages du client téléphonique. Je vous laisse imaginer l’impact qu’un tel service peut avoir sur le plan économique.
Il y’a des pays qui sont plus en avance que d’autres dans l’utilisation de ce service, la tendance n’est-elle pas à l’essoufflement dans certains pays ?
Nous sommes convaincus que des marges de progression existe encore. Il faut pouvoir aller vers les zones rurales qui restent un levier important de développement. Et puis il y’ a tout ce qui concerne le paiement marchand et les micro crédits dont j’ai précédemment parlé. Enfin il y’a le secteur de l’assurance, des partenariats avec les compagnies d’assurance sont envisageables. Le champ des possibilités est très vaste.
Je retiens qu’il y’a un volet « services financiers » qui sera très important dans l’offre de service aux clients. Orange se positionne t-il comme un partenaire ou un concurrent des banques traditionnelles ?
Nous sommes un Telco, notre ambition est de banaliser les services financiers. Car nous estimons que l’accès aux services financiers reste encore pour les populations africaines, très difficiles. Nous recherchons à capitaliser sur les actifs de notre cœur d’activité de Télécommunications pour apporter plus de valeur aux clients. Le développement du numérique transformera toute l’économie transactionnelle, on le sait. Notre enjeu principal est de capitaliser sur notre expertise pour banaliser un certain nombre de services dont les services financiers.
Pensez-vous que l’état de la règlementation permet d’accélérer cette banalisation dont vous parlez ?
De manière générale, les banques centrales sont plutôt favorables au développement du mobile money. Elles sont conscientes que le mobile money est un levier efficace pour parvenir à l’inclusion financière. Elles sont dans une dynamique de favoriser le développement de ces services. En même temps, il est évident qu’il faut qu’elles s’assurent que la règlementation telle quelle existe, permet d’évaluer les risques. Il y a donc un équilibre constant à trouver entre une règlementation qui favorise l’innovation et des mécanismes qui permettent de contrôler cette activité dont le potentiel de développement est de loin plus important que celui des banques traditionnelles.
Il est souvent reproché aux organismes de régulation de ne pas être à la hauteur des enjeux, qu’en pensez-vous ?
Dans les pays où les activités de mobile money sont exercées à l’intérieur de l’entité juridique opérateur mobile, peut se poser la question de la duplication des réglementations applicables, et du contrôle réglementaire de ces activités. En Afrique de l’ouest par exemple, la solution a été trouvée avec la création des établissements d’émission de monnaies électroniques (EME). Dans ces pays, nous avons créé des filiales dédiées et avons sollicité et obtenu ce statut. Ces EME sont contrôlées au plan réglementaire par les banques centrales. Des réflexions sont, semble-t-il, menées dans ce sens en Afrique centrale également. Mais chaque pays va à son rythme.
Orange a procédé il y’a quelques mois à une organisation de son management dans la zone Afrique et Moyen Orient, à quels objectifs répond ce réaménagement managérial ?
Le groupe Orange a une vraie stratégie de développement en Afrique et au Moyen-Orient. Les évolutions que vous observez s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre de cette stratégie. Il y’a eu une première étape qui date de 2014 avec la création de la filiale Orange Middle East and Africa. L’évolution de nos activités s’est accéléré et nous impose d’être au plus près des attentes de nos clients afin d’être le plus pertinent possible dans nos offres de services. Ce besoin d’agilité explique en grande partie cet aménagement dans l’organisation de nos activités.
Si vous devriez citer 3 ou 4 reformes majeures pour accélérer la transformation digitale en Afrique, quelles seraient-elles ?
Je mentionnerai en premier l’adaptation de la réglementation. Je citerai également la problématique de l’accès et celle du développement des contenus utiles aux clients. Sur ce point Orange accompagne les start-ups africaines à travers différents mécanismes d’accélération, d’incubation ou de financement avec Orange Digital Venture.
Puis il y’a les moyens de paiement, notamment dans la perspective de développement du e-commerce. Orange Money est, et le mobile money en général apporte à cet effet, une véritable réponse.
Enfin, il est important que l’Etat joue un rôle clé dans cette transformation digitale, par la création d’un environnement incitatif, et par l’exemple qu’il apporte, au travers de l’e-government pour l’accès à certains services administratifs pour les usagers ; par le référencement du mobile money comme moyen de paiement de taxe et contributions diverses. L’Etat a donc un rôle important à jouer en tant que prescripteur, notamment en ce qui concerne le mobile money. S’il utilise orange money, que ce soit pour le paiement des taxes ou de services qu’il fournit aux populations, de fait, cela va contribuer au développement de l’usage de ces services avec tous les avantages en terme de coût de transaction, de simplicité d’usage, de traçabilité etc… Toutes les parties prenantes y trouveront leur compte et cela créera de la valeur ajoutée dans nos économies.
Propos recueillis par A.S. TOURE