Jules SAMAIN – M.D Africa à GuarantCo: « Le financement des infrastructures en Afrique doit se faire en monnaies locales »
Jules Samain cumule 18 ans d’expérience dans le domaine de la banque commerciale et de la banque d’investissement. Titulaire d’une Maîtrise en Droit des Affaires, obtenue à l’Université de Yaoundé II et d’un MBA de CASS Business School (City, University of London), il débute sa carrière professionnelle au sein d’une institution de microfinance au Cameroun. Il rejoint ensuite le groupe Ecobank en 2004 et travaille à la direction des grandes entreprises de la filiale camerounaise. Très tôt, sa préférence se porte vers la banque d’Investissement et c’est alors qu’il se voit confier le projet de lancement de la filiale banque d’Investissement du groupe en zone Cemac. Il y travaillera en tant que Directeur Général pendant 3 ans. En 2012, pour des raisons familiales, il quitte le groupe Ecobank pour rejoindre la Filiale du Groupe BGFI au Cameroun en tant que Directeur d’exploitation. Une expérience de courte durée puisqu’il sera, une année plus tard, recruté par GuarantCo à Londres comme Directeur Régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Nord, avec pour mission principale de développer les activités sur cette zone de l’Afrique. Aujourd’hui il a en charge le développement des activités du fonds sur tout le continent. C’est à cet expert de la finance internationale que le magazine BUSINESS AFRICA a tendu le micro, pour en savoir plus sur le fonds GuarantCo et partager ses analyses sur la problématique du financement des infrastructures en Afrique. Interview.
Vous êtes Directeur Général en charge de l’Afrique à GuarantCo, quel rôle joue cet organisme et quelles sont vos principales missions ?
Depuis le lancement de GuarantCo, il y environ 15 ans, l’institution a fait son chemin et nous avons créé un impact sur le développement des pays cibles grâce à l’appui des cinq gouvernements du G20 qui nous apportent leur financement, mais aussi du Private Infrastructure Development Group, de Cardano Development qui est le Gestionnaire du fonds GuarantCo et de nos collaborateurs dévoués à la tâche. Depuis sa création, la société a conclu 55 transactions dans 22 pays, fourni à 43 millions de personnes un meilleur accès aux infrastructures, créé 235.000 emplois et permis 5,6 milliards USD d’investissements. Pour contribuer de plus en plus au développement de ces pays, nous nous sommes fixés l’objectif de 2 milliards de dollars US d’ici 2025 comme taille du portefeuille, sachant que pour chaque dollar USD investi, nous avons mobilisé 11,8 USD d’investissements du secteur privé. Pour permettre a GuarantCo d’atteindre ces objectifs, il a été décidé de changer la structure de l’organisation pour la rendre plus efficace, ce qui a donné lieu à ma nomination comme Responsable Afrique des activités de GuarantCo. En tant que responsable, mon équipe et moi avons pour rôle de développer les activités de GuarantCo sur le continent. Je suis responsable de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un plan quinquennal des activités de l’Institution pour l’Afrique, de l’élaboration d’une stratégie pour trouver des opportunités d’octroie des garanties dans les pays cibles pour des secteurs prioritaires conformément à la politique d’investissement unifiée de PIDG et à l’orientation stratégique de GuarantCo tout en respectant le mandat de GuarantCo en matière d’impact sur le développement, à la fois en termes de fourniture d’infrastructures directes mais aussi de développement des marchés de capitaux. Par ailleurs, en tant que membre du Comité exécutif de GuarantCo, je participe à l’élaboration de la stratégie globale de l’Institution, je développe des relations de travail avec les principales parties prenantes, y compris les sponsors, les prêteurs, le gouvernement et les régulateurs.
A combien peut-on évaluer le besoin de financement des infrastructures sur le continent africain et quels sont les secteurs où ce besoin demeure encore important ?
Selon une nouvelle estimation de la Banque Africaine de Développement (BAD), en Afrique les besoins en infrastructures s’élèvent à 130-170 milliards de dollars par an, avec un déficit de financement de l’ordre de 68 à 108 milliards de dollars et il faut noter que ces chiffres vont de façon croissante dans la mesure où la dernière estimation de la BAD estimait le besoin a 93 milliards de dollars par an pour un déficit de financement de 50%. L’eau et l’assainissement présentent le plus grand déficit de financement de tous les secteurs. Par ailleurs, les besoins en financement des infrastructures sanitaires sont également élevés et la pandémie actuelle a démontré qu’il était plus que nécessaire de financer les hôpitaux et les centre de santé. Les secteurs de l’Energie demeurent également une préoccupation ainsi que les routes pour favoriser le commerce intra Africain et permettre un meilleur accès au marché africain qui représente environ 1,2 milliards d’habitants. Depuis sa création, GuarantCo a joué un rôle important dans le financement de ces infrastructures par l’octroi des garanties en monnaies locales pour soutenir des projets du secteur de l’Energie, les logements sociaux, les zones économiques, les routes, les télécommunications et le transport.
Malgré l’augmentation des engagements ces dernières années, il existe donc encore un déficit significatif de financement des infrastructures en Afrique, quelles sont selon vous les contraintes majeures, sont-elles d’ordre règlementaire ou les projets ne sont-ils pas bancables ?
Très bonne question. Il faut noter que le continent a fait beaucoup de progrès notamment en ce qui concerne la gouvernance et l’amélioration des lois, ce qui a permis de faciliter le volume des investissement directs étrangers et même le financement en monnaie local du secteur privé. Toutefois, il y encore plusieurs contraintes et ces contraintes sont de plusieurs ordres.
D’abord la « bancabilité » des projets demeure un élément important dans la prise de décision des investisseurs et conscient de ces difficultés, Guarantco avec le soutient de PIDG a créé un département appelé PIDG Infrasolution dont le rôle est la prise en charge des projets porteurs qui ne sont pas encore bancables et le but est d’aider les sponsors de ces projets dans la structuration de leur projet en vue de les rendre bancables. A travers notre mission sur le continent, nous avons compris que le déficit en infrastructure n’était pas l’absence des financements mais surtout une rareté des projets bancables.
Au nombre des contraintes, il y’a le retard de développement que connaissent les marchés financiers, qui à mon avis sont un levier important pour le financement des infrastructures en Afrique dans la mesure où cela peut offrir aux assurances et aux fonds de pensions des opportunités d’investissement. Les fonds de pension sont potentiellement une source inexploitée très appréciable pour le financement des infrastructures. L’épargne-retraite est très liquide, mais les fonds sont peu enclins à prendre des risques. Même si les rendements peuvent être élevés, ces fonds ne représentent qu’une faible part des investissements africains dans les infrastructures mais avec le développement des marchés des capitaux, ces fonds seront plus actifs dans les investissements.
Parmi les contraintes, il y’a également la perception du risque de financement des projets d’infrastructures par les banques commerciales locales qui sont plus orientées vers le financement des opérations de commerce parfois parce qu’elles ne sont pas outillées pour l’analyse des risques liés au financement des projets d’infrastructures. C’est pour aider ces investisseurs locaux que GuarantCo a organisé en Juin 2019 à Douala et en Février 2020 à Abidjan des séminaires sur le financement des projet d’infrastructures et l’impact des produits d’atténuation de risque offert par GuarantCo qui leur permet non seulement de réduire leur risque mais également de régler les problèmes liés au ratios prudentiels.
Enfin les ratios réglementaires et la structure de la liquidité sur les marchés sont des contraintes importantes. Les banques centrales dans leur rôle de contrôle de l’activité bancaire ont des exigences règlementaires qui constituent des freins au financement des projets d’infrastructures et là aussi GuarantCo propose des solutions permettant de respecter ces ratios. Généralement le marché offre des dépôts à court terme face à un besoin à long terme pour le financement des infrastructures ce qui ne permet pas aux acteurs locaux de financer ses projets et à ce problème aussi GuarantCo a mis en place un produit qui permet de rallonger la maturité des financements en monnaie locales. Nous avons pu le faire avec un projet au Togo qui a reçu des financements sur 15 ans des banques locales alors que celles-ci étaient sur le plan règlementaire, contraintes à ne faire que du 7 ans. Ainsi, depuis sa création, GuarantCo a joué un rôle important dans le financement de ces infrastructures par l’octroi des garanties en monnaies locales pour soutenir des projets du secteur de l’Energie, les logements sociaux, les zones économiques, les routes, les télécommunications et le transport.
Pourquoi l’accès aux financements en monnaies locales pour les projets d’infrastructures est encore problématique en Afrique ?
Comme je viens de le dire, les banques locales font face à des contraintes non seulement liées à la structure des dépôts qu’offrent les marchés locaux mais également liées aux ratios prudentiels. Il faut aussi noter que le risque de change empêche les préteurs internationaux d’octroyer des financements en monnaies locales. Toutefois, avec son mandat, GuarantCo offre aux banques commerciales des garanties en monnaies locales non seulement pour augmenter l’accès au financement en monnaies locales mais également éviter que l’utilisateur final de l’infrastructure ne soit obligé de payer le prix fort à la suite de la survenance d’un évènement qui provoquerait le risque de change. Par ailleurs, les marchés financiers ne sont pas suffisamment développés pour faciliter l’accès aux financements locaux en attirant les assurances et les fonds de pensions. En décembre 2019, nous avons aidé la société Acorn à lever des fonds en shilling kenyan sur le marché financier local, en octroyant une garantie partielle de risque, ce qui a permis d’améliorer la qualité de risque de cette obligation attirant ainsi des fonds de pensions. En 2018, nous avons également aidé la société GSEZ au Gabon à lever sur le marché financier de la CEMAC des fonds en FCFA pour le financement de leur investissement. C’était la première opération d’emprunt obligataire avec une maturité de 10 ans.
Nous pensons que le financement des infrastructures en Afrique doit se faire progressivement en monnaies locales et ceci doit nécessairement passer par le développement des marchés de capitaux, l’amélioration des capacités des investisseurs locaux, la mise en place de façon de progressive des contrats d’achat d’électricité en monnaies locales. Suite à une étude proposée et financée par GuarantCo au Kenya, le Gouvernement a décidé que tous les contrats d’achat d’électricité inférieur ou égale à 10MW devraient être en monnaie locale.
Quelles appréciations portez-vous sur le recours au PPP dans le financement des projets d’infrastructures ?
La politique de développement des infrastructures ne doit pas être menacée par la raréfaction de l’argent public et les infrastructures représentent pour les États un défi de financement et une opportunité de relance de l’activité économique et de la croissance. L’ouverture du capital de ces actifs est une solution qui permet aux États d’assurer leur pérennité fonctionnelle et financière en les confiant à des investisseurs privés engagés et responsables. Pour cela, les PPP sont un levier important pour attirer l’investissement du secteur privé. Cette structure permet de se financer sur les marchés financiers locaux, transférer les ressources de manière à alléger les contraintes budgétaires immédiates de l’Etat et encourager des gains d’efficience réels c’est-à-dire les transformations qui améliore la qualité et la fiabilité des services en gardant la même production. Le recours au PPP permet d’enrayer les dérives budgétaires hérites du passé et transférer les risques et les responsabilités des investissements vers les secteurs privés tout en garantissant une pérennisation de l’infrastructure à travers son entretien. Le PPP permet au projet de bénéficier d’une expertise privée et d’une forte implication de ses acteurs qui ont un objectif de rendement sans pour étant exclure les obligations de services public.
Le monde est aujourd’hui impacté par la Covid19, ne pensez-vous pas que cette pandémie aura de graves conséquences sur le financement des infrastructures en Afrique ?
2020 sera une année particulière pour le financement des infrastructures à cause de la pandémie qui paralyse les économies depuis décembre 2019 avec une accélération au mois de février 2020. Les analystes anticipent une baisse de la croissance économique des pays du continent en 2020 avec une reprise potentielle en 2021 pour les économies ayant eu un impact modéré de la pandémie mais aussi pour celles qui ont réagi rapidement avec la mise en place de mesures permettant de réduire l’impact de la pandémie. Les projets vont connaitre un retard du fait de la fermeture des frontières mais également à cause du ralentissement des importation et des exportations. Une bonne partie des équipements nécessaires pour les projets d’énergies par exemple sont importés de la Chine et avec la fermeture des frontières depuis le mois de mars, il y a eu un retard important dans la livraison des équipements ce qui crée un rallongement des durées de construction des infrastructures. La pandémie a créé un retard dans les négociations entre les partenaires aux divers projets même si on peut dire que certaines négociations ont continué avec l’utilisation des moyens de communication disponibles. Les projets d’infrastructures déjà financés vont avoir un impact négatif sur leur cash-flow du fait de la situation du marché qui a fortement ralenti avec les mesures de confinement réduisant ainsi les volumes de vente. Le transport aérien est le secteur le plus touché avec les interdictions de voyage, donc tout financement fait à ce secteur va subir des restructurations pour atténuer les effets de la pandémie. Les infrastructures hôtelières du fait de l’interdiction des voyages vont également avoir le même impact. Le financement de ces secteurs va certainement ralentir pour les trois prochaines années le temps de voir une reprise optimale des activités. Par contre, la pandémie a permis de comprendre que la vie et les affaires peuvent se faire différemment et que les nouvelles technologies vont pouvoir attirer un volume important de financement parce que toutes les entreprises vont devoir réajuster leur mode de fonctionnement et privilégier la digitalisation afin d’améliorer la production. Il faut tout de même souligner que des Institutions financières de développement ont rapidement mis en place des lignes de financement permettant de réduire l’effet du COVID 19. PIDG a également mis en place des moyens financiers permettant d’aider les entreprises touchées par les effets du COVID 19 avec un accent particulier sur les actions orientées vers les populations les plus pauvres.
Propos recueillis par A.C. DIALLO
©2020 Magazine BUSINESS AFRICA