Le métier d’Asset Manager serait-il aujourd’hui à la croisée des chemins ? Entre recherche de rentabilité et exigence des normes ESG, les attentes des investisseurs vont au-delà de la seule sécurisation financière. Dans un environnement économique et règlementaire complexe, les Asset Managers, doivent désormais faire face à des demandes particulières.Quelles sont ces demandes, comment y faire face ? Quelles perspectives pour le secteur en Europe et en Afrique ?
Pour en savoir plus, le Magazine BUSINESS AFRICA a recueilli l’avis d’un expert reconnu en la matière. Après avoir exercé en Afrique, Mohamed DIAW dirige aujourd’hui les Operations Asset Management de Crescendo Partners, un important multi-family Office basée à Genève en Suisse. INTERVIEW
Quel est aujourd’hui le quotidien d’un asset manager dans un pays comme la Suisse ?
Crescendo est avant tout un gestionnaire de fortune indépendant (Wealth Management).
Ceci étant, une de nos activités subsidiaires consiste en la gestion de véhicules d’investissement (Asset Management). À ce titre, nous gérons nos propres fonds, couvrant notamment les stratégies de hedge funds, private equity, private debt et real estate.
L’équipe Wealth Management est davantage orientée vers l’acquisition et la gestion de la fortune privée, tandis qu’au sein de l’équipe Asset Management, à laquelle j’appartiens, nous nous concentrons sur la conception, la structuration et la gestion de ces véhicules d’investissement, ainsi que sur leur suivi opérationnel (de l’exécution des décisions d’investissement jusqu’au reporting). Notre rôle est d’offrir à nos clients des solutions de diversification plus efficaces et moins coûteuses.
En somme, notre quotidien consiste principalement à assurer la conformité et la performance de nos stratégies d’investissement.
Vous avez été un acteur de la gestion d’actifs en Afrique et suivez quelque peu son évolution sur le continent. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?
Personnellement, j’ai eu, en effet, la chance d’être acteur du secteur en Afrique. Il y a quelques années, on m’avait confié, en tant que consultant, la mise en place d’une société de gestion et d’intermédiation (SGI) au Sénégal. J’ai beaucoup travaillé sur la partie réglementation de marché, les questions stratégiques, la mise en place des procédures etc.…Je porte un regard assez optimiste sur l’évolution de la gestion d’actifs en Afrique même si j’admets que certaines contraintes persistent encore.
Quels sont les grands enjeux et défis de la gestion d’actifs dans un pays comme la Suisse ?
La Suisse occupe, en Europe, le 3eme rang de la gestion d’actifs après le Royaume Uni et la France. Ici l’enjeu c’est la consolidation voire l’augmentation de cette part de marché. L’industrie de l’Asset Management en Suisse demeure compétitif en termes de produits et de services. Elle continue de jouer un rôle prépondérant dans l’économie suisse surtout pour la prévoyance.
Et au niveau de la régulation ?
L’autorité de régulation joue pleinement son rôle de surveillant mais ce que je trouve très intéressant c’est l’autorégulation. Les acteurs du marché se sont accordés pour s’appliquer à eux-mêmes des normes qui renforcent la régulation et la transparence, et qui leur permettent d’être aux standards internationaux.
Donc, en termes de régulation, à côté de l’autorité, l’Association Suisse des Asset Managers fait un travail énorme dans ce sens.
Vous, qui avez exercé dans le secteur en Afrique et qui travaillez aujourd’hui en Suisse, haut lieu de la finance internationale. A quoi attribuez-vous le retard de l’Afrique dans la gestion d’actifs ?
Les raisons sont diverses.
Il y a tout d’abord des contraintes réglementaires. Il existe un déficit de réglementation, autant sur les produits que sur les infrastructures de marché. Ceci entrave fortement le développement des actifs sous gestion.
L’infrastructure de marché est également assez faible pour pouvoir capter la demande des investisseurs, qui est plus en plus sophistiquée, avec des exigences de durabilité, d’impacts environnementaux etc. Peu de pays africains offrent une diversité de portefeuille sur ces thématiques.
La deuxième contrainte importante, c’est le cloisonnement du marché. Le marché de la zone UEMOA est par exemple limité à 14 pays. Il est hyper sollicité par les États et
laisse peu de marge de liquidité pour les entreprises pour leur développement.
Enfin il y a les contraintes liées à l’absence de transparence, à la volatilité des décisions de politiques économiques qui n’offrent pas un cadre approprié pour le développement des actifs sous gestion.
Peut-être faut-il également mieux adapter les produits de placement à la demande des investisseurs, qu’ils soient nationaux ou internationaux ?
En fait, c’est l’offre qui est réduite. Il existe sur certaines places boursières en Afrique des rentabilité conséquentes. Les taux d’intérêt servis en Afrique sont beaucoup plus importants qu’en Europe. Mais toujours le problème de liquidité et de sortie se poseront. Il y a également un souci de complexité opérationnelle qu’il faut résoudre.
Peut-on donc déduire, qu’en dehors de ces éléments à ajuster, l’Afrique reste compétitive ?
Oui l’Afrique est compétitive en termes de rendement, l’Afrique est également compétitive en termes de thématiques d’investissement.
En Europe par exemple, les investisseurs sont en demande de produits ESG et l’Afrique a la possibilité d’offrir ces produits. On a les ressources éoliennes, solaires pour développer de l’énergie propre et se positionner comme un pôle sur ces produits d’impact mais aussi de la décarbonisation. Il existe de nombreuses niches d’opportunités qu’il faut saisir.
Que dire sur les difficultés de mobilisation de l’épargne interne ?
Je pense que sur ce point, il y a un énorme travail de sensibilisation et d’éducation à faire.
La force de l’Afrique aujourd’hui, c’est son évolution démographique qui est synonyme de potentiel consommation et d’épargne. La prévoyance aussi est une niche à exploiter car les fonds de pension en Afrique sont plus dans une phase d’accumulation de capital que de paiement de rentes vu la jeunesse
de la population. C’est aux asset managers africains d’aller vers une plus grande sensibilisation et plus de visibilité, afin d’aider ces fonds de pension à capter ces rendements à long terme.
Un autre élément important à souligner est la transformation numérique qui est en cours sur le continent. Le succès fulgurant du mobile money et les contraintes de réinvestissement qu’il induit, se révèlent à mon sens comme une opportunité pour les Assets managers de capter ce marché potentiel mais aussi de rendre plus démocratique l’accès à leurs produits aux utilisateurs de ces plateformes. Il va falloir se réinventer.
Mais plus important , l’échange automatique d’information (AEOI) au niveau de OCDE est une opportunité pour l’Afrique de fixer ses capitaux à condition de pouvoir matcher les attentes en termes de gestion .
En termes de perspectives, quelle est votre analyse de la gestion d’actifs aussi bien en Europe qu’en Afrique ?
En Europe, les Asset managers font aujourd’hui face à la montée en puissance des solutions technologiques qui démocratisent l’accès à l’épargne et à l’investissement grâce à des plateformes. De ce fait, les gens ont de plus en plus les outils pour gérer leur épargne. Je pense que l’industrie de l’Asset management en Europe doit s’adapter et s’aligner à cette nouvelle donne.
En Afrique, on est dans une phase où il y a tout mais également tout à faire. Il faut développer des centres de gestion dédiés, développer les infrastructures et monter en grade en termes de compétences et règlementation. Beaucoup de fonds africains sont gérés hors du continent. Ce qui est véritable paradoxe pour moi.
En Afrique sub-saharienne par exemple, des pays comme le Rwanda, la Côte d’Ivoire ou le Sénégal peuvent mettre en place des infrastructures pour se positionner comme de vrais centres de gestion, à l’image du Luxembourg et offrir une opportunité aux investisseurs tant africains qu’internationaux.
Interview réalisée par A.C. DIALLO – (©)Magazine BUSINESS AFRICA















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