Hassan LAAZIRI dirige CDG Invest Growth, une société de gestion de fonds de Private Equity basée au Maroc. Il préside également l’Association Marocaine des Investisseurs en Capital (AMIC) qui œuvre pour la promotion du Maroc comme hub régional, afin d’attirer des capitaux et des talents et renforcer l’intégration des entreprises locales dans les chaînes de valeur africaines et internationales. Il nous livre son analyse sur les enjeux et perspectives du Private Equity en Afrique. INTERVIEW
Quelle est votre appréciation générale de l’évolution du Private Equity en Afrique ? Pensez-vous que le marché de cette classe d’actifs est, à présent, mature ?
Le Private Equity en Afrique a clairement changé de dimension. Nous sommes passés d’une activité opportuniste à un véritable métier : des équipes locales mieux outillées, des entrepreneurs plus ambitieux, et des plans de transformation concrets dans la santé, l’éducation, l’agroalimentaire, la logistique, les énergies et le digital. Le capital-investissement sert aujourd’hui à structurer des groupes familiaux, financer des sauts d’échelle et accélérer des consolidations sectorielles. Est-ce un marché “mature” ? Pas encore partout. La profondeur reste inégale selon les pays, les tailles de tickets et les voies de sortie. Les introductions en bourse existent mais ne sont pas ouvertes en permanence, et certaines devises ou cadres réglementaires restent volatils. Pour autant, la trajectoire est bonne : davantage d’épargne locale s’engage, des investisseurs de long terme s’installent, et la gouvernance progresse.
En résumé, l’Afrique est entrée dans l’âge de la construction à grande échelle : le Private Equity n’est plus un épiphénomène, c’est un moteur de modernisation. Ce n’est pas “mature” au sens des marchés occidentaux, mais c’est “post-émergent”, avec des poches au meilleur standard international. La priorité des prochaines années est simple : continuer à bâtir des champions régionaux et élargir les portes de sortie pour recycler le capital.
L’attrait pour le Private Equity est-il la résultante du manque de dynamisme des marchés boursiers africains ?
Non. Je ne pense pas que l’attrait pour le Private Equity soit simplement un “substitut” à des marchés boursiers jugés peu dynamiques. Il répond d’abord à des besoins que la cote sert mal : transformation opérationnelle, consolidation sectorielle, changements d’échelle, succession dans des groupes familiaux, investissements CAPEX lourds ou digitalisation – autant de chantiers qui exigent un capital patient, actif et aligné. Le Private Equity apporte trois leviers difficiles à reproduire en public equity : (1) l’alignement fort autour d’un plan de création de valeur mesuré au cash, (2) la capacité d’intervenir dans la gouvernance et l’exécution (talents, systèmes, M&A), (3) la flexibilité des structures (majoritaire/minoritaire, instruments mezzanine, earn-outs) pour financer la croissance sans pression de court terme. Les marchés boursiers africains, eux, jouent un rôle indispensable : discipline de marché, visibilité, liquidité et coût du capital compétitif. Leur profondeur reste hétérogène selon les pays (flottants parfois limités, couverture sectorielle incomplète), mais ils progressent et se nourrissent du Private Equity. En réalité, il y a complémentarité : le PE prépare des champions “IPO-ready”, alimente un pipeline d’introductions, et utilise la Bourse comme voie de sortie (IPO, dual track) ou de financement de la prochaine phase de croissance. À l’inverse, des entreprises cotées peuvent redevenir privées pour se transformer plus vite.
Bref, PE et Bourse ne s’opposent pas : ils sont deux étages d’un même écosystème de financement au service de la compétitivité et de l’industrialisation du continent.
Quels sont les éléments déterminants dans la stratégie d’investissements des fonds de Private Equity ? Certains critères sont-ils privilégiés ?
Nous recherchons d’abord des entreprises dont le métier est lisible, avec une position de marché défendable et des leviers de création de valeur concrets. La question clé est toujours la même : peut-on transformer cette société de façon maîtrisée et mesurable ? Cela suppose une équipe dirigeante coachable, une gouvernance resserrée, une discipline cash, un plan d’exécution précis sur l’opérationnel, le digital, les achats et, lorsque c’est pertinent, des acquisitions ciblées. Nous privilégions aussi les modèles où la conversion du résultat en trésorerie est robuste et où le capex reste à la fois soutenable et générateur de productivité. Enfin, nous entrons uniquement quand nous voyons dès le début deux ou trois scénarios de sortie crédibles, du trade sale à l’IPO en passant par les secondaries.
Dans quelle mesure le Private Equity peut-il être un véritable levier de croissance économique pour les pays africains ?
Le Private Equity accélère la modernisation de l’économie réelle. Il formalise des entreprises familiales, professionnalise leur gouvernance et finance des sauts d’échelle qu’un financement bancaire seul ne couvre pas. Les effets se voient dans la montée en gamme industrielle, l’émergence de filières locales plus productives, la substitution aux importations, la création d’emplois mieux qualifiés et l’élargissement de la base fiscale. Dans des secteurs comme la santé ou l’éducation, il apporte des standards opérationnels et de qualité qui bénéficient directement aux usagers. Et loin d’être l’ennemi de la Bourse, il prépare des sociétés “IPO-ready” et utilise les marchés comme relais de financement ou de sortie, ce qui recycle le capital vers de nouveaux projets.
Quelles sont, selon vous, les actions ou réformes à engager pour promouvoir davantage le Private Equity ?
Trois directions me paraissent décisives. Il faut d’abord mieux mobiliser l’épargne longue locale, en facilitant l’allocation des caisses de retraite et des assureurs vers le non coté, avec un cadre prudentiel adapté et des mécanismes de co-investissement public-privé réellement catalytiques. Ensuite, il est essentiel de fluidifier les sorties : simplifier les introductions en Bourse pour les mid-caps, développer la profondeur des marchés secondaires et sécuriser des processus administratifs rapides et prévisibles pour les opérations transfrontalières. Enfin, la stabilité et la neutralité fiscales doivent être garanties sur la durée, avec une ingénierie claire au niveau des fonds et un traitement lisible du carried interest. La qualité de l’information de marché et la formation des talents complètent ce triptyque.
Pensez-vous qu’au Maroc, la régulation du Private Equity répond aux attentes des acteurs du secteur ?
Le cadre règlementaire a fait un bond en avant. Les priorités maintenant sont d’accélérer les délais opérationnels, d’assurer une stabilité fiscale pluriannuelle et d’élargir encore les portes de sortie pour les mid-caps. La trajectoire est bonne : il s’agit d’aller plus vite pour recycler le capital et financer la prochaine vague de champions.
Quelques mots sur l’Association Marocaine des Investisseurs en Capital (AMIC) dont vous êtes le Président. Quel est son objectif et quelles sont ses actions ?
L’AMIC est la maison commune du capital-investissement marocain. Sa mission est de défendre, structurer et faire grandir la filière. Concrètement, nous portons la voix de l’industrie auprès des autorités, nous produisons des données et des études pour éclairer les décisions, nous diffusons les meilleurs standards de gouvernance, d’ESG et de conformité, et nous formons les équipes. Nous créons aussi des passerelles entre investisseurs, entrepreneurs et décideurs à travers des événements, des clubs thématiques et des espaces d’échanges. Enfin, nous œuvrons à la promotion du Maroc comme hub régional, afin d’attirer des capitaux et des talents et de renforcer l’intégration de nos entreprises dans les chaînes de valeur africaines et internationales.
Propos recueillis par A.C DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA
Laisser un commentaire