Le continent africain a besoin de marchés financiers solides pour attirer les capitaux, indispensables à son développement et diversifier sa base d’investisseurs. Ceci permettrait non seulement de mobiliser davantage de financements pour la reprise économique et le développement durable, mais aussi d’améliorer la résilience financière face aux chocs exogènes.
Mais pour favoriser le développement de leurs marchés, les pays africains ont besoin d’une approche globale : renforcement des capacités, infrastructures solides, critères de référence… Ceci est encore plus prégnant s’agissant de la zone UEMOA. C’est du moins le constat fait par M. Ousmane DIENG, Economiste & Financier, Managing Director de DIELYA Capital. INTERVIEW
Pensez-vous que le marché financier régional, tel qu’il est règlementé aujourd’hui, permet aux entreprises d’avoir les ressources financières diversifiées et à moindre coût ?
L’intérêt pour les Entreprises à recourir au marché financier régional réside principalement dans la satisfaction des besoins de financement en fonds propres et des levées de la dette sur le marché primaire. Ces actions et obligations sont négociables sur le marché boursier (BRVM) à travers des ordres d’achat et de vente.
Il convient également de noter que le recours au marché financier régional est possible à travers des cessions d’actifs via des opérations de titrisation.
Nous sommes d’avis que le régulateur veille à la protection des investisseurs durant tout le cheminement requis lors du processus d’émission sur le marché financier régional.
En premier lieu, les Etats de l’UEMOA bénéficient des ressources via le marché financier régional en tant qu’émetteurs de titres de dettes (Obligations) et de SUKUK (certificat financier Charia compliance). Ces émissions proposent des rendements intéressants au point d’être en concurrence avec les titres émis par les Entreprises en termes d’offre de placement financier pour les investisseurs.
Par ailleurs, il ne faudrait pas perdre de vue, que l’Entreprise est le moteur de la croissance économique et de création d’emplois donc de pouvoir d’achat, mais elle peine à lever des fonds sur le marché financier régional.
En second lieu, les Entreprises du secteur financier (banques universelles, banques d’investissements, assureurs, réassureurs, …), au-delà de leurs attributs d’investisseurs sur le marché primaire et sur le marché boursier, ne sont pas confrontés à des contraintes majeures imputables à la réglementation actuelle de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF-UMOA) pour émettre des titres négociables.
Toutefois, les Entreprises du secteur non financier en particulier des PME du secteur privé sont à la traine pour mobiliser les ressources financières et à moindre coût sur le marché financier régional. A ce niveau, nous sommes de ceux qui pensent qu’il y’a du travail à abattre auprès des acteurs du secteur privé. C’est la raison pour laquelle, nous menons des actions permanentes d’origination de « deals », d’accompagnement et d’alignement des stratégies financières vers les besoins et les exigences du marché financier régional.
Semble-il, certains acteurs du marché, des Cabinets de conseils financiers et de conseils stratégiques ne sont pas suffisamment outillés en termes d’approche, ni patient dans la pédagogie pour convaincre une masse critique d’entreprises du secteur privé à émettre de titres négociables sur le marché financier régional.
A mon avis, il s’agira de convaincre davantage les CFO (Chief Financial Officer) au sein des Entreprises, de la pertinence et des prérequis indispensables pour mobiliser des ressources financières via le marché financier régional, tout en mettant l’accent sur les implications comptables, les agrégats financiers, l’efficacité opérationnelle et la gouvernance qui sied.
Malheureusement, on se heurte également à la réticence et à l’incompréhension de certains Dirigeants, Administrateurs de sociétés quant à la pertinence de recourir au marché financier pour la levée de fonds.
Le bilan de la BRVM reste mitigé tant les introductions en bourse demeurent encore insuffisantes, comment faire pour insuffler une nouvelle dynamique boursière dans la sous-région ?
A ce sujet, il faut être pragmatique face au contraste observé entre le besoin croissant de financement en fonds propres, en quasi-fonds propres et en dette face à rareté des IPO (Initial Public Offering) observés à la BRVM.
En tant qu’acteur central du marché financier régional, la BRVM et le DC/BR avaient mis en œuvre un plan d’actions dès 2013 au terme d’un état des lieux couvrant le diagnostic les volets Organisation et Gouvernance, le Système d’information, des Process métiers et supports.
J’ai été membre de l’équipe d’experts – Consultants en charge de cette mission, raison pour laquelle, j’en parle une dizaine d’année plus tard.
Je doute que tous les intervenants du marché financier régional aient pris la peine de se soumettre à ce type d’exercice hautement stratégique et contraignant.
A mon avis, la BRVM n’a pas manqué d’initiatives à l’attention des PME au regard de leurs poids dans l’économie sous régionale et de création d’emplois.
A ce titre, nous pouvons citer la création d’un troisième compartiment dit Croissance dédié aux PME, dont les critères sont accessible.Il convient également de rappeler l’initiative en 2018 intitulée « Emission de basket bonds sur le marché financier régional » à travers le programme Elite à l’attention des PME.
Par ailleurs, l’adoption en 2010 du Règlement N°02/2010/CM/UEMOA du Conseil des Ministres de l’UMOA relatif aux Fonds communs de titrisation de créances et aux opérations de titrisation dans l’Union – un puissant levier de financement des entreprises – a mis un temps de latence dans sa mise en œuvre, imputable aux acteurs du marché, avant d’amorcer sa phase de croissance à travers des émissions de titres de créances sur le marché financier régional.
Mieux, il s’agit d’émission sans aucune incidence sur l’endettement de l’émetteur dès lors qu’il s’agit d’une opération de trésorerie et de refinancement pour les cédants (entreprises qui cèdent des classes d’actifs y compris pour les banques).
Vous conviendrez avec nous, à quel point la problématique de la dette est centrale dans nos économies et pèse sur les agrégats macroéconomiques de la sous-région. Nous sommes curieux de savoir quel a été le traitement comptable dans les livres des cédants, des opérations de titrisation ayant permis de mobiliser plus de 2 000 milliards de FCFA ces deux dernières décennies.
A cela, il faut y ajouter l’adoption de l’instruction relative aux organismes de placement collectif conformes aux principes et règles de la finance islamique sur le marché financier régional de l’UMOA afin d’attirer davantage une catégorie importante d’investisseurs.
En résumé, ce bilan mitigé des introductions en bourse peut être corrigé par des actions idoines que nous avons pris le soin d’explorer en termes d’innovation financière adaptée aux réalités de nos économies au-delà de l’adoption d’un cadre règlementaire spécifique aux produits dérivés (contrats financiers) et des futurs (contrats à terme) sur le marché boursier.
Il est souvent évoqué l’insuffisance de produits de placements, pour expliquer le manque de dynamisme du marché boursier. Êtes-vous de cet avis ?
A mon avis, nous avons besoin de pragmatisme et de notre capacité à structurer des « deals » adaptés aux besoins des entreprises du secteur financier et non financier tout en veillant à protéger les investisseurs. Pour dynamiser le marché boursier, nous pouvons explorer :
-l’émission de « basket bonds » (multi-cédants) et multi-actifs sous-jacents titrisables ;
-la titrisation des contrats d’Assurance Vie dans le cadre d’opérations de trésorerie. Cet excédent de liquidité augmenterait les possibilités de placement à l’attention des PME émettrices de titres sur le marché financier régional et aux Assureurs et Réassureurs, la capacité à proposer des offres de garanties financières aux PME et sur les produits de titrisation ;
-l’adoption d’un règlement permettant la convertibilité partielle des titres émis par les Fonds Commun de Titrisation de Créances (FCTC) en titres de propriétés (actions) négociables sur le marché boursier dans le compartiment approprié au regard des critères d’éligibilité en vigueur auprès de la BRVM ;
-l’origination de deals d’IPO sur le troisième compartiment de la BRVM dédié aux PME et sur les autres compartiments. Pour y arriver, il faudrait élargir davantage le « listing sponsor » et mettre en place un contrat de performance et d’objectifs à atteindre en terme d’IPO ;
-l’impératif ou l’obligation des entreprises qui reçoivent des financements de la part des Fonds d’Investissement à s’inscrire et à finaliser dans un délai raisonnable (3 ans), le processus d’IPO auprès du marché financier régional.
Enfin, nous recommandons aux MDBs (Banques Multilatérales de Développement) et aux DFIs (Institutions Financières de Développement) à sponsoriser davantage les opérations de titrisation sur le marché financier régional dans le cadre de leurs politiques de financement du secteur privé et du secteur financier.
Le développement de la bourse en ligne permettra-t-il, selon vous, de rapprocher davantage la BRVM des populations ?
Je répondrai par l’affirmative.
La bourse en ligne permet de rapprocher davantage la BRVM des populations. Par analogie, les solutions de « Mobile Money » ont eu un impact significatif sur le taux de bancarisation des populations et on pourrait observer la même tendance quant au « trading » des produits financiers (offres de placements). Il s’agit d’une initiative à encourager et à soutenir.
La structuration des emprunts obligataires des Etats semble être le terrain de jeu privilégié des SGI de l’UEMOA. Est-ce bien là leur mission première ?
C’est par instinct de survie et de profitabilité que les SGI se positionnent davantage sur la structuration des emprunts obligataires des Etats.
En effet, les Etats sont des émetteurs de premier plan et les SGI ont en face d’elles huit (08) interlocuteurs privilégiés (Ministères des Finances).
Les SGI compétissent entre elles au niveau de l’activité placement des titres émis sur le marché financier régional auprès des Investisseurs et l’activité gestion des titres sous mandat.
Toute l’activité hautement stratégique de Conseil financier auprès des entreprises du secteur privé, d’origination des deals d’IPO et de titrisation peinent à être prise en charge convenablement.
Cela pose la question d’un positionnement stratégique.
En ce qui nous concerne, nous avons fait le choix stratégique d’être aux côtés des PME dans le cadre de mandat de conseil financier et d’accompagnement.
Quel est votre sentiment sur la façon dont l’intermédiation financière est régulée dans la zone UEMOA ? Les dispositifs d’encadrement juridique et règlementaire du secteur, vous semblent-ils adaptés ?
La régulation de l’intermédiation financière dans la zone UEMOA nous semble adaptée. Les agréments de l’AMF-UMOA et des Intermédiaires en Opération de Banques (IOB) de la BCEAO encadrent les acteurs. Toutefois, l’ingénierie financière et le conseil financier n’est pas un domaine réservé aux acteurs cités ci-avant.
C’est l’amalgame qu’il ne faudrait pas commettre.
Le besoin de financement de nos économies par des ressources adaptées et à des coûts raisonnables est un défi permanent que seuls les SGI et les IOB ne peuvent prendre en charge efficacement.
Nous devons nous affranchir des positions de rente ou de niche qui aboutissent à des bilans très mitigés de l’accès au financement des Entreprises et qui serait préjudiciable à nos économies et par conséquent, à l’épanouissement de nos populations de plus en plus exigeants.
Selon vous, dans les dix prochaines années, quels seront les grands défis auxquels le marché financier régional devra faire face ?
Le seul défi qui mérite d’être relevé auprès du marché financier régional est celui de l’accélération de la cadence d’introduction en bourse pour les Entreprises du secteur privé y compris les PME et d’innovation financière (titrisation multi-actifs sous-jacents) tant au niveau du marché primaire pour financer l’économie réelle que sur le marché secondaire (boursier) à travers des produits dérivés (contrats financiers) et des futurs (contrats à terme).
Ce défi nous interpelle et nous oblige à sortir de nos zones de conforts matérialisés par les émissions obligataires des Etats.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA
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