Le parcours de Ismael Wagane DIOUF s’appuie sur une double formation académique : un Bachelor en Informatique et un Bachelor en Finance obtenus à la Paris Business School, complétée par un Executive MBA du Georgia Institute of Technology.
Sur le plan professionnel, après une longue carrière dans la technologie aux Etat unis, il se reconvertit dans le monde de l’investissement social et de l’immobilier. Il dirige pendant dix ans le fonds Africap Microfinance Fund à travers la société de gestion Mecene Investment, basée en Afrique du Sud.
M. DIOUF a également été à l’initiative de XTERRA CAPITAL, un fonds immobilier panafricain enregistré à l’Île Maurice. Il a, par ailleurs, mené le département des investissements de Shelter Afrique, une institution panafricaine de financement du logement, jouant un rôle clé dans le développement de solutions de logement abordable sur le continent. C’est avec cet expert de la finance et de l’investissement que le Magazine BUSINESS AFRICA s’est entretenu pour évoquer les enjeux et défis du Capital-investissement en Afrique.
Quelle appréciation générale faites-vous du secteur du Capital-Investissement en Afrique (notamment subsaharienne francophone) ? Pensez-vous que son rythme de progression est satisfaisant ?
Le capital-investissement et le capital-risque connaissent une croissance dynamique en Afrique, bien qu’avec des disparités régionales persistantes.
Selon l’AVCA (African Private Equity and Venture Capital Association), le secteur a enregistré une croissance remarquable, avec des investissements totaux atteignant 8,3 milliards USD en 2023, contre 5,2 milliards USD en 2021, soit une progression de près de 60 % sur la période.
Les levées de fonds ont doublé pour atteindre 4,0 milliards USD en 2024, un record sur la décennie. Les sorties d’actifs ont progressé de 47% en 2024, tandis que le volume annuel des transactions a presque doublé, passant de 23 à 44 deals par an entre 2021 et 2024 en Afrique francophone.
Sur cette même région, 356 transactions totalisant 4,8 milliards USD ont été réalisées entre 2012 et le premier semestre 2024.
Cependant, ces chiffres masquent un décalage prononcé entre l’Afrique anglophone et francophone.
En 2023, moins de 10 % des investissements totaux ont été dirigés vers l’Afrique francophone, malgré son potentiel économique significatif. Cette sous-représentation s’explique par des écosystèmes financiers moins développés, une taille de marché perçue comme plus réduite et des tickets d’investissement généralement plus modestes.
Une analyse plus fine révèle des tendances distinctes entre le capital-investissement (private equity) et le capital-risque (venture capital).
Le capital-investissement domine en valeur, ciblant majoritairement des entreprises établies dans des secteurs tels que les infrastructures, l’énergie ou la santé.
Le capital-risque, bien qu’en forte croissance, avec une augmentation des transactions de +42 % entre 2021 et 2023 selon SAVCA (Southern African Venture Capital and Private Equity Association) reste concentré sur les startups technologiques et les innovations disruptives.
Malgré ces déséquilibres, les fondamentaux économiques de l’Afrique restent porteurs : une urbanisation accélérée, une population jeune et une demande croissante en logements, infrastructures et services essentiels. Ces facteurs, couplés à un cadre réglementaire en amélioration progressive, offrent un potentiel exceptionnel pour les investisseurs patients et capables de s’adapter aux spécificités locales.
Une comparaison avec d’autres marchés émergents souligne des défis communs (liquidity, gouvernance, accès aux données) mais aussi des opportunités uniques portées par la démographie et une croissance économique structurelle.
Dans quelle mesure le Capital-Investissement peut-il, selon vous, être un véritable levier de développement pour les pays africains ?
Je pense que c’est un levier essentiel.
En Afrique, moins de 20 % des PME ont accès au crédit bancaire.
Les fonds de private equity apportent un capital patient qui peut transformer la trajectoire de ces entreprises.
Dans l’habitat et les infrastructures, l’expérience de Shelter Afrique au Kenya est parlante : des partenariats publics et privés peuvent changer l’échelle du financement. Au Sénégal, nous le faisons avec les malls ou les projets solaires.
Et à chaque fois, ce sont aussi des emplois créés et des compétences locales développées.
Quelles sont les actions ou réformes à engager pour promouvoir davantage le Capital-Investissement sur le continent africain ? Pensez-vous que les textes et lois sur l’investissement sont adaptés pour ce faire ?
Le développement du capital-investissement en Afrique requiert une approche structurante, allant au-delà de la simple attractivité financière.
Il est impératif d’éduquer les entreprises aux mécanismes et aux exigences de cette industrie, en particulier sur la nécessité de transparence et de bonne gouvernance, conditions indispensables pour attirer des capitaux patients.
Parallèlement, des incitations fiscales ciblées, telles que l’exonération des droits de transmission, doivent encourager la transmission et la recapitalisation des entreprises.
Pour stimuler l’écosystème local, il faut simplifier la création de fonds locaux, offrir des incitations fiscales attractives et créer des marchés secondaires crédibles afin de faciliter les sorties d’investissement.
Les codes d’investissement, encore trop focalisés sur l’IDE classique, doivent évoluer pour intégrer ces dispositifs.
Les partenariats public-privé, à l’image des modèles éprouvés par Shelter Afrique, constituent également un levier puissant pour mobiliser des capitaux et partager les risques.
Enfin, la formation de gestionnaires de fonds locaux est essentielle pour renforcer l’autonomie financière du continent et éviter une dépendance persistante envers l’expertise étrangère.
Cette montée en compétences assure la pérennité des investissements et une meilleure adéquation aux réalités économiques locales.
Pour renforcer durablement l’écosystème financier africain, je propose de mettre en place une formation dédiée au capital-investissement (Private Equity) et au capital-risque (Venture Capital) au sein des écoles de commerce locales.
Cette initiative, que je souhaite lancer cette année, vise à former une nouvelle génération de gestionnaires africains aux meilleures pratiques internationales, tout en les armant pour répondre aux spécificités des marchés régionaux.
L’objectif est de combler le déficit de compétences, identifié comme l’un des freins majeurs au développement du secteur.
Ce programme pratique abordera les fondamentaux du métier : montage financier, due diligence, valorisation, gouvernance, gestion de portefeuille et stratégies de sortie.
En dotant les talents locaux de ces outils, nous réduirons la dépendance aux expertises étrangères et favoriserons l’émergence de fonds véritablement ancrés dans le tissu économique africain, capables de financer la croissance des entreprises avec une vision long terme.
Cette formation s’inscrit directement dans la logique des actions prioritaires identifiées : éduquer, professionnaliser et créer un terreau fertile pour une industrie locale robuste et transparente.
Quels sont, selon vous, les éléments déterminants dans la stratégie d’investissements d’un fonds de Capital-Investissement ? Certains critères sont-ils privilégiés ?
La stratégie repose d’abord sur la sélection des secteurs porteurs, comme la santé, la technologie ou l’infrastructure. Les fonds cherchent à s’implanter dans des domaines qui bénéficient d’une forte demande, ce qui explique que, par exemple, 85% des investisseurs privilégient le capital-croissance sur le continent. Ensuite, il y a toute une phase très rigoureuse de due diligence pour analyser le potentiel des entreprises, leur gouvernance, et bien sûr leur croissance future.
Concrètement, la création de valeur se fait par différents leviers. D’abord, la croissance organique, comme l’ouverture de nouveaux marchés ou le lancement de produits innovants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la valeur moyenne des deals en Afrique francophone est passée de 10,3 à 13,2 millions de dollars entre 2012 et 2023. Les fonds s’impliquent aussi dans la transformation digitale et l’intégration des critères ESG ; cette tendance s’est fortement accélérée en 2025 avec une part croissante des fonds intégrant ces dimensions.
Les fonds africains affichent des performances très intéressantes.
On observe des taux de rendement interne (TRI) de 12 à 21% par an selon les segments, ce qui est bien supérieur à la moyenne européenne, qui tourne autour de 10%.
Sur les sorties, on constate un multiple de sortie moyen de 1,9x sur la dernière décennie.
Ces données attestent du potentiel du marché africain, malgré un environnement opérationnel complexe.
Je dirais en résumé que la clé de la réussite, c’est d’avoir une équipe proche du terrain, capable de comprendre les spécificités locales et de s’ajuster rapidement.
Les fonds qui performent sont ceux qui savent combiner gestion active, innovation et optimisation ESG, tout en gardant une vision long terme sur la création de valeur.
Comment éviter une Afrique de l’investissement à deux vitesses, une qui part à vive allure et l’autre qui ralentit voire stagne ?
C’est un vrai risque.
Aujourd’hui, Lagos, Nairobi ou Johannesburg captent l’essentiel des flux.
Pour équilibrer, il faut développer des fonds régionaux en zone francophone, innover dans la structuration (crowdfunding, sukuk, microfinance), et surtout bâtir des équipes locales capables de gérer des fonds et de convaincre les investisseurs internationaux.
Êtes-vous confiant sur les perspectives de développement du Capital-Investissement en Afrique, dans un contexte marqué par les conflits et les crises sécuritaires ?
Bien sûr, les conflits et l’instabilité freinent certains investisseurs.
Mais il faut nuancer : les investisseurs distinguent les zones à risque des poches de stabilité.
Le Sénégal ou la Côte d’Ivoire inspirent confiance.
Et surtout, certains secteurs comme le climat, l’énergie ou le digital continuent d’attirer des capitaux même en période de crise.
En 2022, les financements climatiques en Afrique ont atteint 30 milliards USD, en hausse de 20 %.
Je reste donc confiant sur la capacité du continent à attirer du capital patient, à condition de structurer intelligemment les projets.
Malgré une baisse des investissements en 2024 par rapport à 2023,
L’industrie du PE/VE conserve actuellement 10,3 milliards de dollars de liquidités disponibles, ce qui donne environ deux ans de marge de manœuvre.
Et surtout, 90% des investisseurs institutionnels prévoient de maintenir ou d’accélérer leur allocation en Afrique dans les trois prochaines années.
Il faut également préciser que L’Afrique est actuellement le marché émergent le plus attractif pour 54% des général partners (GP) interrogés mondialement, devant l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine.
Malgré la contraction mondiale du capital-risque, l’Afrique a résisté et affiche une croissance positive du nombre de transactions, devenant l’une des rares régions émergentes à le faire en 2024.
Le financement par dette (venture debt) a aussi progressé, montant le total des fonds injectés dans les entreprises africaines à 3,6 milliards USD en 2024, 80% étant destinés aux startups technologiques.
L’optimisme reste de mise, mais il est prudent. 56% des investisseurs et 59% des gestionnaires de fonds expriment une opinion positive sur les perspectives d’investissement pour 2025.
La volatilité des devises demeure notre principale préoccupation macroéconomique, mais les fondamentaux restent solides.
L’Afrique dispose d’un potentiel de mobilisation de 1 430 milliards de dollars de ressources supplémentaires grâce à des réformes appropriées.
C’est cette capacité de transformation endogène qui nous donne confiance pour l’avenir, même dans un environnement global incertain.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA
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