Rokhaya BA est sociologue de formation et titulaire d’un master en Management des entreprises. Elle débute sa carrière au sein de l’ONG 3D avant d’occuper le poste de chargée de développement commercial dans différentes structures immobilières.
Elle rejoint ensuite une grande entreprise du secteur où elle passera huit années déterminantes. Elle se verra d’ailleurs confier le déploiement de la première filiale de cette entreprise en Guinée Conakry, une mission qui lui a permis d’appréhender le marché immobilier africain, dans sa complexité et son potentiel.
De retour au Sénégal, elle co-fonde SEYNI Properties (Seyni est le prénom de sa défunte mère) avec le désir profond de créer une entreprise immobilière à la fois enracinée, moderne et responsable. Interview
Pourquoi avoir créé SEYNI Properties et quelles en sont les principales activités ?
Dès ma première expérience professionnelle dans l’immobilier, j’ai été fasciné par la manière dont il structure nos vies, il ne s’agit pas seulement de construire, mais de créer des espaces de stabilité, de confiance et d’appartenance. J’ai donc créé Seyni Properties à partir d’une conviction simple, le logement n’est pas un produit, c’est un cadre de vie.
Je voulais m’éloigner du modèle de promotion immobilière purement spéculatif pour bâtir des espaces pensés pour le bien-être et la communauté.
Nos activités s’articulent autour de trois axes :
-La promotion immobilière raisonnée, à travers des programmes qui valorisent, africanité, confort, accessibilité et esthétique.
-L’accompagnement de projets de construction pour la diaspora et les particuliers qui souhaitent bâtir sereinement, avec un suivi de bout en bout ;
-Et enfin la recherche de solutions innovantes à travers les matériaux locaux et éco responsables, pour démontrer qu’il est possible de construire autrement, sans renoncer à la qualité ni à la modernité.
SEYNI Properties, c’est donc bien plus qu’une entreprise, c’est une vision du vivre ensemble, ancrée dans les valeurs de l’Afrique d’hier et tournée vers celles de demain.
En tant qu’actrice de l’immobilier au Sénégal, quelle appréciation générale portez-vous sur le secteur ?
Le secteur est à la fois prometteur et contradictoire. Prometteur parce qu’il y’a un vrai dynamisme : la demande est forte, l’urbanisation s’accélère, les jeunent rêvent d’investir et le contexte pétro-gazier accentue la pression sur le logement. Mais contradictoire parce que tout cela avance sans vision d’ensemble.
Le mot boom est souvent utilisé mais je préfère parler d’effervescence désordonnée.
On construit beaucoup, parfois vite, mais pas toujours bien. L’immobilier sénégalais n’a pas seulement besoin de volume, il a besoin de vision, de planification, d’un accès équitable au foncier, de professionnalisation des acteurs et d’innovation dans les modes de financement et de construction.
Ce que je constate, c’est que les acteurs du secteur veulent bien faire, il faut maintenant leur donner les outils, la clarté et la stabilité nécessaire pour qu’ils puissent offrir au pays non seulement des bâtiments, mais de vrais cadres de vie. C’est à cette refondation, que nous voulons, à notre manière, contribuer.
Quelles sont les contraintes majeures auxquelles les promoteurs sénégalais font face aujourd’hui ?
Elles sont à la fois institutionnelles, financières et structurelles.
Le premier défi, c’est évidemment le foncier. Les lenteurs, les incertitudes, les chevauchements administratifs rendent les démarches épuisantes. Un projet peut être retardé de plusieurs mois parfois d’années parce qu’un papier n’avance pas.
Le second, c’est le financement qui reste complexe. Les banques considèrent souvent l’immobilier comme risqué et exigent des garanties difficilement accessibles. Cela pousse les promoteurs à se financer sur fonds propres ou via les préventes avec tous les risques que cela comporte.
Enfin, la hausse des coûts de construction et la rareté des matériaux locaux standardisés renchérissent les prix et rendent difficile l’accès à la propriété surtout pour les classes moyennes.
Mais malgré ces obstacles, le secteur a un potentiel exceptionnel à condition qu’on favorise la transparence, la coopération et la vision à long terme.
Si je dois investir dans l’immobilier au Sénégal, quels sont les conseils que vous me donneriez ?
Le premier conseil, ne suivez pas la tendance et ne vous laissez pas séduire par les rendements annoncés.
D’abord prenez le temps de comprendre le marché. L’immobilier sénégalais est un marché de proximité. Chaque quartier, chaque ville, chaque région a ses propres dynamiques et sa logique de valorisation.
Ensuite, rapprochez-vous de professionnels du secteur. L’immobilier est un domaine où l’expérience compte énormément, un promoteur sérieux, un notaire rigoureux, un architecte compétent ou un bon conseiller de patrimoine peut vous éviter bien des erreurs. Ne signez rien dans la précipitation.
Entourez-vous, posez des questions, exigez de la transparence.
Enfin, regardez au-delà de la simple construction, misez sur l’environnement du projet, les accès, les commodités, la qualité urbaine, la mixité, détermineront la véritable valeur du bien sur le long terme.
En somme l’immobilier n’est pas qu’un produit financier, c’est un projet de vie.
Entre l’immobilier résidentiel et celui des bureaux, lequel est plus rentable pour un investisseur au Sénégal ? Pourquoi ?
Tout dépend de l’objectif qu’on se fixe.
Si l’on parle strictement de rentabilité financière, l’immobilier professionnel peut offrir des loyers plus élevés et des baux plus stables, souvent avec des entreprises ou des institutions. Ces contrats s’inscrivent dans la durée avec des revenus sécurisés mais ils exigent un niveau d’investissement initial plus important et dépendent fortement du contexte économique et dynamisme du tissu entrepreneurial.
En revanche, l’immobilier résidentiel se distingue par sa constance, la demande au Sénégal reste soutenue et structurelle, portée par la croissance démographique et l’urbanisation rapide. C’est un marché moins exposé au cycle économique où les risques de vacances locatives sont plus faibles.
L’idéal avant de se positionner, est de bien définir ses attentes et son profil d’investissement, l’un offre une rentabilité plus forte mais plus sélective, l’autre une sécurité à long terme et une valeur sociale indéniable.
L’essentiel, c’est de comprendre le rythme et les évolutions du pays avant de choisir dans quel segment investir.
Vous l’avez rappelé, le financement de l’immobilier demeure un obstacle pour les promoteurs africains. Pourquoi les banques rechignent t- elles à financier ce secteur et comment inverser la tendance ?
Les banques considèrent toujours l’immobilier comme un secteur à risque, alors qu’il devrait être considéré comme un levier de développement. Ce manque de confiance vient souvent d’un déficit d’information et de structuration, les projets sont mal présentés, les garanties peu claires, les délais incertains.
Pour changer cela, il faut créer un cadre de confiance partagé, des mécanismes de garanties publics pour sécuriser les prêts, des fonds immobiliers dédiés pour soutenir les promoteurs crédibles et une transparence accrue de la part des acteurs privés.
Le jour où les banques comprendront que l’immobilier bien encadré est une valeur sûre pour le pays, nous aurons franchi un cap décisif.
Quelques mots sur la question du foncier avec son lot de procédures litigieuses ? Observez-vous une amélioration dans ce domaine ?
Il y’a des efforts mais il reste beaucoup à faire. Les réformes engagées vont dans le bon sens, notamment la digitalisation, mais la réalité sur le terrain reste complexe.
Les doubles attributions, les lenteurs et parfois le manque de coordination entre les services freinent les projets.
Pourtant, c’est là que tout commence.
Sans foncier claire et sur, il n’y a pas de confiance et sans confiance, il n’y a pas d’investissement.
Je crois profondément qu’il faut aller vers une traçabilité totale du foncier depuis la délibération jusqu’au titre foncier. Et tant que cette transparence ne sera pas pleinement effective, le secteur continuera de fonctionner sur la base de la méfiance.
Quelles sont vos attentes par rapport aux pouvoirs publics pour un développement plus harmonieux et moins litigieux du secteur foncier sénégalais ?
Je pense qu’il faut que le secteur soit pleinement régulé. L’immobilier ne peut pas dépendre de démarches aléatoires.
Nous avons besoin d’un cadre unique, simple et cohérent.
L’obtention d’un permis de construire est une course d’obstacles, des frais qui s’accumulent, des procédures qui s’allongent et l’approbation finale par les collectivités locales compliquent encore les délais.
C’est un système qui fatigue les acteurs sérieux et ouvrent les portes à des pratiques peu orthodoxes. Pire encore, certains projets sont mis à l’arrêt pour des raisons politiques ou administratives, sans motifs clairs, au détriment des acquéreurs qui y ont placé leur économie et leur confiance.
J’appelle donc à une régulation du secteur ferme mais juste, à un accompagnement administratif et fiscal et à une protection des projets immobiliers contre les aléas politiques.
Malgré tout, estimez-vous que les perspectives du marché de l’immobilier au Sénégal sont bonnes ?
Oui, profondément. Parce que je crois en la jeunesse de ce pays, en sa créativité et à sa capacité à rebâtir autrement.
Les besoins sont immenses, la demande est réelle et l’envie d’investir existe. Ce qui nous manque, ce n’est pas le potentiel, c’est la coordination.
Si nous réussissons à structurer le secteur, à sécuriser le foncier et à encourager les promoteurs responsables, l’immobilier deviendra un facteur de stabilité et de fierté nationale.
Chez Seyni Properties, nous portons cette conviction, bâtir c’est aussi éduquer et transmettre, c’est créer de la valeur qui dure.
L’immobilier au fond, n’est pas qu’une affaire de murs. C’est une affaire d’humains.
Entretien réalisé par A.C. DIALLO – © Magazine BUSINESS AFRICA

















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