Si la microfinance est restée « sociale et solidaire », les grands acteurs du secteur ne se limitent plus aux coopératives villageoises. La réalité de la microfinance en Afrique est, aujourd’hui, celle d’un marché mature, propice à l’émergence d’établissements financiers et de fintech crédibles à côté des acteurs traditionnels.
C’est du moins, l’avis de Salématou CAMARA, Directrice Générale d’Orange Microfinance Guinée (OMIG). INTERVIEW
Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter brièvement Orange Microfinance Guinée : l’opportunité de sa création, ses activités et la spécificité de son offre ?
Orange Microfinance Guinée (OMIG) est une filiale d’Orange Guinée, officiellement lancée le 3 mai 2024 à Conakry, lors d’une cérémonie en présence du Gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée.
Ce lancement s’inscrit dans la stratégie globale du Groupe Orange, qui vise à renforcer l’inclusion financière dans tous les pays où il est présent.
L’idée est de créer une synergie entre Orange Money, actif en Guinée depuis plus de dix ans, et OMIG, qui développe les activités de prêts et épargnes.
Notre ambition est claire : contribuer au financement de l’économie, lutter contre la pauvreté et offrir aux populations un accès élargi aux services financiers formels.
Il faut rappeler qu’Orange Money, à l’échelle internationale, compte plus de 90 millions de clients. Ses services de transfert d’argent et de solutions financières ont déjà démontré leur impact positif, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises.
OMIG propose une gamme complète de services financiers digitaux, accessibles via l’application «Max it» ou par code USSD.
La force d’OMIG réside dans un parcours client 100 % digitalisé, offrant une ouverture de compte rapide, un suivi simplifié des prêts et de l’épargne, et une expérience sans lourdeurs administratives
Les spécificités et atouts de l’offre résident :
-En son accessibilité renforcée : Toute personne disposant d’un compte Orange Money peut accéder aux services OMIG, sans dossier complexe.
-En sa rapidité et simplicité : Réponse instantanée ou en quelques secondes, gestion via mobile ou USSD, et possibilité de suivre l’épargne ou le crédit en temps réel .
-En son adaptabilité aux réalités locales : Produits pensés pour les besoins des micro entrepreneurs, notamment les femmes, dans des zones souvent sous-bancarisées .
Il faut également noter qu’OMIG est la première institution de microfinance entièrement digitale agréée par la Banque Centrale de la République de Guinée, garantissant conformité et confiance .
Enfin, cette initiative s’inscrit dans la mission d’Orange de favoriser l’autonomisation économique, en offrant un levier concret pour la réalisation des ambitions des populations à travers des services financiers simples, transparents et équitables.
Orange Microfinance Guinée illustre parfaitement la synergie entre technologie, inclusion et microfinance.
Elle met à la disposition des Guinéens des services financiers digitaux simples, rapides et accessibles, en s’appuyant sur l’infrastructure d’Orange Money pour élargir l’accès au crédit et à l’épargne, tout en respectant le cadre réglementaire et en contribuant au développement économique local.
Quel est votre sentiment sur l’évolution du secteur de la microfinance en Afrique et plus particulièrement en Guinée ? Le secteur a t-il appris des erreurs du passé ?
A mon avis et au regard des mutation profondes que connaissent notre continent, le secteur de la microfinance marque un tournant décisif dans les jeunes économies des pays africains.
Initialement centré sur le microcrédit, la microfinance s’est progressivement élargie pour intégrer des services complémentaires tels que l’épargne, l’assurance et les transferts d’argent. Cette diversification a permis de mieux répondre aux besoins des populations, tout en limitant les risques de surendettement. On peut dire que le secteur a tiré des leçons de ses erreurs, en renforçant sa gouvernance et sa gestion des risques.
L’impact sur l’inclusion financière est indéniable : la microfinance a permis à des millions de personnes exclues du système bancaire traditionnel d’accéder à des services financiers essentiels. Elle a contribué au développement local et à l’autonomisation économique.
Toutefois, le secteur a également traversé des crises, souvent liées à un manque de régulation ou à une recherche excessive de rentabilité au détriment de sa mission sociale. En Guinée, le paysage de la microfinance s’est progressivement enrichi de nouveaux acteurs.
La Banque Centrale, au-delà de son rôle de régulateur, s’affirme également comme un partenaire clé. À travers ses réformes et son accompagnement, elle œuvre dans le même sens que les institutions de microfinance : assainir, professionnaliser et renforcer la crédibilité du secteur.
L’émergence des solutions digitales, notamment le mobile money, ouvre par ailleurs de nouvelles perspectives pour atteindre les zones rurales et les populations éloignées des services bancaires classiques.
Les défis restent nombreux : maintenir un équilibre entre inclusion sociale et viabilité financière, prévenir le surendettement, renforcer la gouvernance et diversifier davantage l’offre. Mais la dynamique est encourageante, car le secteur gagne en crédibilité et en intégration avec le système bancaire formel. Les expériences régionales, notamment en Afrique de l’Est, sont particulièrement inspirantes. Des pays comme le Kenya ou la Tanzanie ont su développer des modèles communautaires solides, bien encadrés et adaptés aux réalités locales. Certaines institutions, issues d’initiatives associatives, se sont transformées en véritables banques de microfinance, capables de mobiliser l’épargne et de renforcer la confiance des clients grâce à une meilleure transparence.
En somme, la microfinance en Afrique et en Guinée a appris de ses erreurs et progresse aujourd’hui vers un modèle plus équilibré, combinant innovation, régulation et mission sociale. Même si les défis persistent, elle demeure un levier essentiel d’inclusion financière et de développement socio-économique.
La microfinance est, certes, perçue en Afrique, comme un vecteur essentiel d’inclusion financière, mais elle peine à jouer pleinement son rôle.
Que faut-il faire, selon vous, pour inverser la tendance afin que ce secteur soit à la hauteur des attentes ?
Je pense que pour que la microfinance remplisse véritablement sa mission, plusieurs chantiers doivent être menés de front.
D’abord, il faut renforcer la gouvernance et la régulation. Le secteur a connu des crises par le passé, souvent liées au surendettement ou à un manque de supervision.
Un cadre clair, équilibré et appliqué avec rigueur est indispensable pour éviter ces dérives et redonner confiance.
Ensuite, la microfinance doit aller au-delà du microcrédit, investir dans l innovation. Les populations ont besoin de solutions diversifiées : de l’épargne sécurisée, des assurances inclusives, des services de transfert rapides et abordables. En répondant à ces besoins réels, on rend le secteur plus pertinent et plus durable.
Il est également essentiel de s’appuyer sur le digital et les partenariats. Les nouvelles technologies, notamment le mobile money, offrent une formidable opportunité pour atteindre les zones rurales et réduire les coûts. Mais cela ne peut se faire qu’en synergie avec les banques, les télécoms, les fintechs, chacun ayant un rôle complémentaire à jouer.
Un autre point clé, souvent négligé, c’est l’éducation financière. Accompagner les clients, les former à mieux gérer leurs revenus, à comprendre l’importance de l’épargne et les risques liés au crédit, c’est garantir une utilisation plus saine et responsable des produits financiers.
Enfin, il ne faut jamais perdre de vue que la microfinance a une mission sociale. Elle doit conjuguer performance économique et impact social.
Le véritable indicateur de succès, ce n’est pas seulement la rentabilité, mais le nombre de ménages qui sortent de la précarité, de femmes qui gagnent en autonomie, ou de jeunes entrepreneurs qui créent de la valeur et de l’emploi.
La combinaison d’une meilleure gouvernance, d’une innovation technologique, d’une éducation financière renforcée et d’un ancrage special fort peut redonner à la microfinance toute sa capacité d’impact et lui permettre de jouer pleinement son rôle de moteur d’inclusion financière en Afrique.
Les Institutions de microfinance ont désormais recours aux marchés internationaux des capitaux pour se financer, notamment par le biais des fonds d’investissements internationaux. Quel peut être l’impact d’une telle opportunité ?
Le recours aux marchés internationaux des capitaux est une formidable opportunité pour les institutions de microfinance.
Cela leur permet de mobiliser davantage de ressources, de diversifier les financements et de renforcer la crédibilité, tout en répondant à une demande croissante de services financiers inclusifs.
Mais nous devons rester vigilants face au risque de change, et aux exigences fortes en matière de rentabilité et de gouvernance. L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre la mission sociale et la viabilité financière. Bien maîtrisée, cette ouverture peut transformer le secteur et élargir considérablement son impact sur l’inclusion financière.
Le Mobile Banking continue de connaître, une percée grâce à l’innovation des opérateurs Télécoms dont le Groupe Orange. Êtes-vous de redoutables concurrents ou plutôt des alliés du secteur bancaire traditionnel ?
Le Mobile Banking est effectivement en pleine expansion, porté par l’innovation des opérateurs télécoms comme le Groupe Orange.
La question de savoir si nous sommes des concurrents ou des alliés du secteur bancaire traditionnel est légitime.
Il est important de préciser que chacun a une fonction bien distincte mais complémentaire.
Les opérateurs télécoms, comme le Groupe Orange, apportent l’infrastructure technologique et la proximité avec le client à travers le mobile. Ils rendent les services financiers accessibles à grande échelle, notamment via le Mobile Money, plateforme de transfert d argent.
Les banques traditionnelles restent au cœur du financement de l’économie. Elles gèrent des produits complexes, l’épargne à long terme, les crédits d’investissement et assurent la stabilité du système financier.
Orange Microfinance Guinée (OMIG), pour sa part, occupe une place intermédiaire. Nous construisons un pont entre les deux mondes. Notre rôle est de transformer cette proximité technologique en véritables solutions financières adaptées : microcrédit rapide (TikTak), produits d’épargne, et bientôt des solutions plus innovantes. OMIG rend le crédit plus simple, plus inclusif, et répond à des besoins immédiats que les banques traditionnelles ne couvrent pas toujours.
Ainsi, il ne s’agit pas d’être des concurrents mais des alliés stratégiques.
Ensemble, télécoms, banques et institutions comme OMIG nous bâtissons un écosystème inclusif, durable et au service du développement économique et social de la Guinée.
Quel est votre sentiment sur la régulation du secteur de la microfinance en Guinée, les textes vous semblent-ils adaptés aux enjeux ?
Je pense que la régulation de la microfinance en Guinée a beaucoup progressé.
La Banque Centrale a mis en place un cadre clair qui a permis d’assainir le secteur, de renforcer la confiance des clients et de protéger les dépôts. C’est un acquis important qui mérite d’être salué.
Cela dit, le secteur évolue très vite, notamment avec l’arrivée du digital et du mobile banking. Les textes actuels restent une base solide, mais certains ajustements pourraient permettre de mieux accompagner l’innovation et de faciliter le travail des institutions dans des zones parfois difficiles d’accès.
Je dirais donc que la régulation est adaptée dans son esprit, car elle assure la stabilité et la transparence.
En résumé, nous travaillons tous dans la même direction que la Banque Centrale : bâtir un secteur solide, responsable et surtout capable d’élargir l’inclusion financière en Guinée.
Avez-vous pu mesurer l’impact social des crédits octroyés ? Et quelles sont les perspectives de développement d’Orange Microfinance Guinée ?
Depuis notre lancement en mai 2024, nous avons constaté un véritable engouement pour nos produits, en particulier TikTak Crédit et TikTak Épargne.
Même si une étude d’impact approfondie est encore en cours, les premiers retours sont très encourageants : de nombreuses femmes entrepreneures, petits commerçants et travailleurs du secteur informel ont pu accéder à des financements rapides et simples, ce qui leur permet de renforcer leurs activités et de sécuriser leurs revenus.
Notre ambition va bien au-delà du simple octroi de crédit : nous voulons bâtir une microfinance digitale inclusive et responsable, capable d’accompagner les populations traditionnellement exclues du système bancaire. Pour cela, nous nous appuyons sur l’écosystème d’Orange Money, qui nous donne une portée nationale et un outil puissant pour toucher aussi bien les zones urbaines que rurales.
En termes de perspectives, OMIG prépare déjà de nouveaux produits d’épargne et de crédit adaptés aux besoins spécifiques de nos clients, avec une attention particulière portée aux femmes et aux jeunes. Notre feuille de route inclut également l’expansion dans les régions de l’intérieur du pays et le renforcement de nos partenariats institutionnels pour maximiser l’impact social.
Je suis convaincue que l’avenir d’OMIG en Guinée en particulier et en Afrique en général est prometeur , grâce à l’innovation digitale et l’inclusion financière .
C’est en combinant ces deux leviers que nous souhaitons contribuer durablement au développement économique et social de la Guinée.
Propos recueillis par A. Touré – Magazine BUSINESS AFRICA
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