Interview Deana d’Almeida – Avocat Associée – Responsable de la pratique fiscale Afrique – Cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats
De prime abord, quel est votre sentiment sur l’attractivité de l’environnement juridique des affaires, notamment en Afrique francophone ?
L’environnement juridique des affaires en Afrique francophone est plutôt favorable aux investisseurs, notamment grâce à l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA). Dans ma matière, la fiscalité, qui relève de la souveraineté des Etats (l’OHADA n’est pas compétente en matière fiscale), l’une des difficultés majeures tient aux incertitudes résultant du nombre trop limité de textes d’application et de positions officielles de l’administration fiscale. Il est encore très fréquent de manquer d’informations sur les modalités pratiques d’application d’une nouvelle mesure. Par ailleurs, il faut dire que certaines administrations fiscales refusent parfois d’appliquer les conventions fiscales internationales qu’elles ont pourtant signées et qui font partie de leur droit. Cela entraîne des cas concrets de double imposition qui sont parfois très longs à résoudre.
Beaucoup d’analystes estiment que les administrations fiscales de nombreux pays africains ne sont pas à niveau pour appréhender les enjeux des transactions internationales, approuvez-vous ce constat ?
Le niveau des agents au sein d’une administration fiscale est inégal mais c’est partout pareil dans le monde ! J’ai l’occasion d’échanger avec des personnes d’un excellent niveau. En revanche, une chose est sûre : les administrations fiscales en Afrique manquent de moyens pour mettre en œuvre les lois et règlements. Et dans le même temps, ces lois et règlements deviennent de plus en plus complexes. Un seul exemple : les prix de transfert. Pour faire simple, il s’agit des prix facturés entre des sociétés du même groupe, implantées dans différents pays. Ces prix doivent être le plus proche possible des prix pratiqués entre sociétés indépendantes. Or, les groupes utilisent parfois ces prix pour déplacer de la matière imposable là où elle sera la moins imposée. Le contrôle des prix de transfert est donc un enjeu majeur et nécessite des connaissances pointues en matière de fiscalité internationale et d’économie. Il devrait y avoir davantage de cellules spécialisées, spécifiquement formées pour l’application de ces règles et ainsi capables d’appréhender les différents modèles économiques des entreprises et leurs conséquences en matière fiscale.
Les prix de transfert constituent encore de nos jours un sujet difficile, comment concilier l’intérêt des pays africains et celui des investisseurs internationaux ?
Oui c’est un sujet très complexe et pourtant majeur quand on sait que les flux intragroupe représentent une part importante des échanges internationaux. Je pense que la conciliation des intérêts des pays africains et des investisseurs internationaux passe par le dialogue. Les entreprises doivent faire preuve de pédagogie et de transparence quant à leur modèle économique et à la détermination du prix de leurs transactions intragroupe. Quant à l’administration fiscale, elle ne doit pas y voir systématiquement un moyen de transférer des bénéfices ou un moyen facile et rapide de collecter des recettes fiscales par le biais de redressements astronomiques à l’occasion de contrôles fiscaux. La procédure des Accords Préalables en matière de Prix de transfert (APP) me semble être un outil intéressant mais elle n’est pas encore prévue dans tous les pays. En quelques mots, elle permet aux entreprises d’interroger l’administration fiscale en amont sur leurs méthodes de détermination des prix de transfert. Mais certaines entreprises s’en méfient : elles veulent être sûres qu’en cas d’accord, il sera respecté par l’administration. Elles craignent par ailleurs des revirements voire des représailles en l’absence d’accord.
La faiblesse des recettes fiscales des pays africains par rapport à la taille de leur économie est souvent justifiée par l’étroitesse de leurs assiettes fiscales, selon vous, dans quelles mesures peut-on élargir cette assiette fiscale ?
Les études relatives à l’élargissement de l’assiette fiscale sont nombreuses. Parmi les mesures préconisées, il me semble que toutes celles qui conduisent à intégrer une partie du secteur informel (estimé selon certaines études à 38% du PIB de l’Afrique subsaharienne) dans le secteur formel sont bénéfiques. Ensuite, il apparait important, et c’est d’ailleurs la tendance actuelle, de limiter davantage les exonérations d’impôts, qu’elles soient partielles ou totales : elles sont souvent beaucoup trop nombreuses, entraînant ainsi un manque à gagner considérable alors même que des études du FMI et de la Banque Mondiale montrent qu’elles ne constituent pas un critère majeur dans la décision d’investissement.
De nombreux pays africains sont considérés comme des paradis fiscaux du fait de la faible performance de leurs systèmes fiscaux ? Cette faiblesse n’est-elle pas un atout pour les investisseurs ?
Demandez à mes clients si les pays africains dans lesquels ils opèrent sont des paradis fiscaux…Cette qualification un peu provocatrice quand on connait la réalité, est à mon sens destinée à viser l’importance du secteur informel dont nous venons de parler. La faible performance des systèmes fiscaux est complexe et liée à plusieurs facteurs. Je mentionnerai ici la question de l’efficacité de l’administration fiscale. Le nombre d’administrations qui s’appuient désormais sur les technologies de l’information pour mieux collecter les impôts devrait augmenter. Il serait souhaitable que les systèmes d’immatriculation, de déclaration et de paiement électroniques, qui se développent dans les Etats africains, soient généralisés à l’ensemble des contribuables.
Le 20 décembre 2017, le Congrès américain a adopté la réforme fiscale qui constitue la clé de voute du programme économique du Président Trump. Cette réforme vise la simplification du système fiscal, la réduction des niches fiscales et le dopage de la croissance américaine à travers l’allégement des impôts des particuliers et des entreprises. Pensez-vous que de telles mesures devraient être appliquées en Afrique pour attirer plus d’investissements directs étrangers et doper la croissance économique ?
Tout à fait, même si la tendance actuelle que je constate est plutôt celle d’une complexification des systèmes fiscaux avec l’introduction de mesures de fiscalités internationales difficiles d’application tant pour les contribuables que pour l’administration fiscale. En revanche, il est vrai que les régimes incitatifs ou « niches fiscales » tendent à être restreints voire supprimés. Quant à l’allègement des taux d’imposition, c’est déjà une réalité, plus particulièrement dans les Etats d’Afrique de l’Ouest. Alors que le taux de l’impôt sur les sociétés se situe généralement autour de 30% (voire 33% au Cameroun et 35% au Tchad), il s’élève à 27% au Togo, 27,5% au Burkina Faso et même 25% en Côte d’Ivoire ! Finalement, je ne vais rien dire d’orignal en disant qu’en fait, ce qu’attendent les investisseurs, c’est une plus grande sécurité juridique. Il faut mettre un terme à cette contradiction qui consiste à être en pointe en matière de fiscalité internationale en adoptant un certain nombre de mesures destinées à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales (dans le cadre de l’OCDE) tout en ne respectant pas toujours les conventions fiscales de non-double imposition. Certaines entreprises multinationales sont prêtes à fiscaliser une grande part de leurs activités dans les pays d’Afrique dans lesquels elles opèrent mais elles craignent de subir l’arbitraire des administrations fiscales lors des contrôles fiscaux sans vraiment disposer de voies de recours efficaces et impartiales. Je pense que le véritable changement viendra d’une confiance restaurée entre les contribuables et les administrations fiscales, chacun ayant beaucoup à y gagner, et ce, de manière durable.
Propos recueillis par A.S. TOURE