Le parcours exemplaire de Ndeye Diarra DIOUF n’a guère surpris ceux qui la connaissent de longue date. De l’école primaire au Top management africain de l’un des Big Four du Conseil, la sénégalaise s’est taillée une réputation de femme rigoureuse, déterminée et qui a, très tôt, eu le sens des responsabilités. Nommée en 2021 Associée (Partner) de KPMG en Afrique francophone sub-saharienne, cette femme de caractère, issue d’une grande famille religieuse du Sénégal a su, au fil des ans, imposer sa marque dans un secteur du Consulting fiscal et juridique traditionnellement dévolu aux hommes. Elle devient ainsi en 2021, la première femme Associée, la plus jeune promue par KPMG au niveau régional. Récemment admise comme Arbitre en matière Civile et Commerciale, au Canada, le nouveau défi professionnel qui s’ouvre à cette battante est désormais de siéger en tant qu’arbitre, formée par l’Université de Sherbrooke, en collaboration avec l’Institut de Médiation et d’Arbitrage du Québec. Ndeye aurait ainsi la possibilité de siéger en Amérique du Nord, en Europe et dans la Zone OHADA.
Tout d’abord, comment expliquez-vous cette fulgurante ascension jusqu’à atteindre le top management africain d’un des Big Four du conseil ?
Tout d’abord, je vous remercie pour cette sollicitation d’interview.
Pour répondre à votre question, je dirais que cette ascension repose sur le travail, la détermination et la volonté de toujours bien faire.
Je tiens également à remercier mes parents, et particulièrement ma mère, qui m’a inculqué très tôt ces valeurs qui continuent de me guider aujourd’hui, aussi bien dans le cadre professionnel que dans ma vie sociale et familiale.
Pour ma mère, il n’était pas question que je sois deuxième de ma classe.
Ce qui m’a le plus marqué, c’est qu’à chaque fois que cela arrivait, elle me montrait clairement son mécontentement, même lorsque j’étais à l’école élémentaire.
Vous êtes toujours entre deux avions, constamment en déplacement. Comment arrivez-vous à concilier vie professionnelle et vie familiale ?
On me pose souvent cette question.
Il est vrai que mes activités professionnelles sont très prenantes et nécessitent beaucoup de déplacements. Avec le temps, je me suis habituée à ce mode de vie et je m’organise en conséquence, veillant à ce que ma vie familiale n’en pâtisse pas.
J’ai également un mari qui me soutient et m’épaule, ce qui m’aide énormément dans ce défi quotidien.
Vous avez été Directrice puis Associée chez KPMG en Afrique francophone sub-saharienne, en charge du Tax & Legal, et Coordinatrice Régionale GMS / Immigration / Relocation depuis 2019.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la fiscalité dans la zone UEMOA ? Par ailleurs, on parle de grande disparité des taux de pression fiscale entre les pays. Cette affirmation est-elle fondée ?
La fiscalité constitue un enjeu majeur pour les pays de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), car elle demeure un levier essentiel pour le financement du développement.
En effet, outre les appuis budgétaires des partenaires techniques et financiers ainsi que le recours à l’endettement auprès des institutions financières, la mobilisation des recettes fiscales reste fondamentale pour couvrir les charges publiques et financer les programmes de développement économique et social.
Cependant, plusieurs défis freinent une mobilisation optimale des ressources fiscales :
•La taille importante du secteur informel, qui réduit significativement l’assiette fiscale.
•La nécessité pour les administrations fiscales de se moderniser afin de s’adapter aux réalités économiques actuelles.
Pour y remédier, les pays de l’UEMOA ont initié, dès 2006, un programme de transition fiscale visant à harmoniser les règles fiscales au niveau régional. Cela a permis d’accroître progressivement les ressources fiscales et budgétaires, malgré une interruption due à la pandémie de COVID-19.
En 2021, par exemple, les recettes fiscales ont enregistré une augmentation de 11,9 %. Bien que des progrès soient notables, la disparité des taux de pression fiscale entre les pays de la zone reste une réalité, liée notamment aux différences dans la structure économique et la capacité de mobilisation des administrations fiscales.
Vous avez récemment été admise comme Arbitre en matière civile et commerciale au Canada. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous spécialiser dans l’arbitrage ?
L’arbitrage est un mode privé de règlement des litiges qui offre une alternative efficace et confidentielle aux juridictions étatiques.
Dans des pays comme la France, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, on parle de « modes alternatifs de règlement des litiges », tandis qu’au Canada, on préfère l’appellation « modes préventifs de règlement des litiges ».
Ces appellations trouvent leur sens dans les approches adoptées :
•Le terme « alternatif » indique que l’on peut choisir entre un juge étatique et un arbitre privé.
• »Préventif », en revanche, met l’accent sur la recherche d’un règlement amiable avant tout contentieux formel.
L’arbitrage présente des similitudes avec les pratiques africaines traditionnelles comme l’arbre à palabres, où la résolution des conflits repose sur la communication et le dialogue entre les parties.
Sur le plan international, des instruments comme la Convention de New York de 1958 ou l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage de 2017 renforcent le cadre juridique de cette pratique. Ces textes permettent notamment de rendre exécutoires les sentences arbitrales dans plus de 150 pays signataires.
L’arbitrage représente donc une solution à la fois autonome et adaptable, répondant aux besoins croissants des pays africains dans un contexte de développement économique marqué par des projets complexes, comme ceux du secteur pétrolier et gazier au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
Permettez-moi de rappeler cette citation de Philippe FOUCHARD « L’arbitrage est en réalité un marché ; il implique un ensemble de prestations de services à forte valeur ajoutée. Sur ce marché règne une très vive concurrence entre les cabinets juridiques, entre les places d’arbitrage, entre les lois et les Etats eux-mêmes. Dans cette compétition mondiale, l’Afrique, jusqu’ici marginalisée, a pris avec l’OHADA, au moins sur le papier, une longueur d’avance ».
Le Juge Kéba MBAYE avait aussi rappelé que « l’OHADA est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration juridique et la croissance ».
En effet, nous sommes tous convaincus qu’on ne peut pas parler de croissance dans cette intégration juridique sans le développement de l’Arbitrage en Afrique. Je tiens d’ailleurs à remercier nos aînés qui nous ont déjà ouvert la voie .
Venons-en à vos activités sociales. Vous vous êtes engagée dans la défense de nombreuses causes, notamment celles des femmes et des enfants, en créant une fondation. De quoi s’agit-il ?
Oui, en effet, je milite depuis plusieurs années pour améliorer les conditions de vie des populations défavorisées, notamment les femmes et les enfants.
Etant arrière-petite-fille d’un Cheikh de Cheikhna Cheikh Sadbou (petit-fils du Prophète Mohamed PSL), j’ai voulu suivre les pas de Grand-Père El hadji Cheikh Yerim Ndoumbane Seck.
Très Tôt, j’ai vu aussi mon père prendre en charge des familles, soutenir la scolarité de plusieurs enfants et ouvrir des micro-jardins et cantines scolaires gratuits, toujours pour soutenir les populations défavorisées.
La fondation « Sokhna Diarra Bou Cheikh Yirim », que j’ai créée, œuvre pour l’entraide sociale, l’autonomisation des femmes et l’éducation des jeunes filles.
Parmi nos réalisations, il y’a la distribution de kits scolaires dans plusieurs villes du Sénégal (2 éditions à ce jour) ; la construction d’une bibliothèque et d’une mosquée ; la mise en place d’un forage pour l’accès à l’eau; la réfection des tableaux d’une école primaire à Tivaouane ; la distribution régulière de kits alimentaires ; la prise en charge de la scolarité annuelle de plusieurs enfants à Thiès, Mbour et Tivaouane ainsi que la prise en charge de certains malades dans les hôpitaux.
Entretien réalisé par Anne-Cécile DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA