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Interview. Ibrahim KANTE, Partner chez E.Y Côte d’Ivoire : « Il devient impératif pour les cabinets d’expertise comptable de repenser leur modèle d’affaires »

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste aujourd’hui l’activité de Conseil Comptable et Financier ?

Au sein d’EY, le département Conseil Comptable et Financier est dédié à fournir une gamme étendue de services spécialement conçus pour répondre aux défis stratégiques des directions financières.
Notre mission est de soutenir la transformation de la fonction finance, en améliorant le pilotage de la performance, le reporting consolidé, l’excellence comptable, la gestion de la trésorerie, l’optimisation des processus financiers, le contrôle interne, ainsi qu’en offrant une assistance comptable pour des opérations spécifiques telles que les acquisitions, les introductions en bourse, les refinancements, et plus encore.
L’objectif principal de nos services est de contribuer à l’efficacité et à la création de valeur au sein de l’entreprise, de guider la stratégie d’entreprise, de participer à la politique d’investissement et de financement, et d’optimiser les processus tout en renforçant le contrôle de la fonction finance.
Concrètement, comment les cabinets d’expertise-comptable peuvent-ils aider les chefs d’entreprise à prendre les bonnes décisions, pour la croissance de leur activité ?
Dans le paysage de la gestion d’entreprise, les cabinets d’expertise-comptable, et en particulier ceux appartenant au cercle restreint des Big 4, jouent un rôle similaire à celui d’un médecin généraliste. Ces cabinets se distinguent par leur expertise globale et approfondie, leur capacité à répondre à une multitude de questions et à sécuriser la croissance des entreprises.
L’apport des Big 4 à la performance financière d’une entreprise est notable et se manifeste de diverses manières
•Conseils stratégiques : Les experts-comptables, grâce à leur expertise et leur envergure internationale identifient et évaluent les risques financiers, fiscaux, réglementaires et ceux liés à la cybercriminalité. Ils mettent en place des systèmes de contrôle interne avancés et offrent des recommandations stratégiques pour minimiser les risques et protéger les intérêts de l’entreprise.
•Optimisation fiscale : Avec une connaissance approfondie des législations fiscales à travers le monde, les experts-comptables développent des stratégies fiscales sur mesure, permettant de réduire les charges fiscales et d’accroître le bénéfice net de l’entreprise.
•Gestion financière efficace : L’expertise des en matière de gestion financière assure une maximisation de la rentabilité grâce à une maîtrise des coûts, une analyse détaillée des états financiers et des prévisions précises, favorisant ainsi une croissance durable et rentable.
•Conformité juridique et réglementaire : Les Big 4 garantissent le respect des obligations légales et réglementaires, réduisant les risques de sanctions et de litiges, ce qui préserve la réputation de l’entreprise et évite des coûts inattendus.
•Accompagnement dans la croissance : Les experts-comptables jouent un rôle déterminant dans la planification financière à long terme, offrant des conseils personnalisés pour soutenir l’expansion de l’entreprise.
•Gestion des relations financières : Les Big 4 cultivent des relations solides avec les partenaires financiers, fournisseurs et clients, créant un environnement d’affaires favorable et renforçant la confiance des parties prenantes grâce à une gestion professionnelle des relations.
En somme, les Big 4 apportent une valeur ajoutée unique grâce à leur portée globale, leur expertise sectorielle et leur capacité à fournir des services intégrés qui répondent aux besoins complexes des entreprises modernes.

Ne craignez-vous pas que la forte digitalisation des métiers du chiffre menace, à termes, la profession comptable ?

Bien que les métiers du chiffre et donc la comptabilité soient par nature, traditionnellement axés sur le traitement de données parfois manuellement, la digitalisation devrait être perçue non pas comme une menace, mais comme une opportunité d’enrichir et de réinventer les pratiques professionnelles.
L’intégration du numérique dans les cabinets d’expertise-comptable se traduit par une optimisation des processus les plus lourds et répétitifs, libérant ainsi du temps pour des activités à plus grande valeur ajoutée.
Cette efficacité accrue se répercute positivement sur les coûts, permet d’allouer plus de temps à des tâches stratégiques, offre la possibilité de pratiquer des tarifs plus attractifs et favorise une concentration sur l’analyse financière. Cela se traduit par une offre de services sur mesure pour les clients, avec des analyses précises, des conseils avisés et des prévisions fiables qui facilitent la prise de décision pour l’avenir.
La digitalisation, si elle est bien appréhendée, peut se transformer en un puissant levier de croissance. Elle encourage l’acquisition de nouvelles compétences telles que le contrôle, l’analyse et le reporting, et ouvre la voie à de nouvelles opportunités dans le secteur de l’expertise comptable, en augmentant la valeur ajoutée offerte aux clients, comme des conseils plus pointus, une réactivité accrue et des analyses disponibles en temps réel.
Avec cette évolution numérique, la profession comptable se recentre sur des aspects cruciaux tels que l’analyse et la gestion des flux financiers et le renforcement de la relation client, marquant ainsi une étape clé dans son évolution.

Selon de nombreux observateurs, le conseil comptable et financier deviendrait, dans un proche futur, l’essentiel des missions assignées à l’expert-comptable, qui serait une sorte de DAF externalisé. Êtes -vous de cet avis ?

Je partage entièrement cet avis.
Aujourd’hui, de plus en plus de cabinets d’experts-comptables diversifient leurs activités en proposant des missions de DAF externalisé, qui reposent à la fois sur leurs compétences techniques et leurs « soft skills ».
Ces missions ont principalement pour objectif d’aider les clients à performer et à grandir.
Elles présentent beaucoup d’avantages principalement pour les chefs d’entreprises des PME et TPE qui n’ont ni les moyens ni le besoin de recruter un directeur ou un responsable administratif et financier.
En effet, ces missions, qui donnent aussi aux cabinets de nouvelles perspectives, couvrent les besoins des entrepreneurs qui je segmenterai en 3 axes :
•Du conseil à l’opérationnel : accompagnement du dirigeant sur la stratégie financière ou d’investissement, la stratégie de croissance, transformation digitale, amélioration des processus, gestion de trésorerie, optimisation du BFR, pilotage, contrôle de gestion, etc. ;
•Du récurrent à l’exceptionnel : superviser une équipe comptable gestion, plan de trésorerie, règlements fournisseurs, emplacement (maladie, naissance), diagnostic financier, mise en place d’un logiciel de gestion ou d’un ERP, acquisition, transmission d’entreprise, etc. ;
•Du haut de bilan à l’exploitation : recherche de financements, fusions/acquisitions, recrutements, salaires, notes de frais, juridique etc.

Les missions de comptabilité réglementaires voient leur marge s’éroder, faut-il adapter ses honoraires pour viser une meilleure rentabilité ? Ou faut-il plutôt une réorganisation des « business models » des cabinets, et de leurs expertises ?

Sans remettre en question les points de vue exprimés par certains experts du domaine comptable, il est évident que les missions traditionnelles de la profession connaissent une période de déclin.
De nos jours, il est indéniable pour tout Expert-Comptable que la rentabilité des services comptables classiques diminue progressivement, impactée par les changements continus dans l’environnement professionnel, tels que l’évolution des attentes des clients, les modifications réglementaires, la transformation du paysage concurrentiel et les avancées technologiques.
Face à cette évolution constante et ses effets secondaires, il devient impératif pour les cabinets d’expertise comptable de repenser leur modèle d’affaires. Pour relever ces défis, les cabinets doivent : (i) s’adapter rapidement aux nouvelles technologies en automatisant et numérisant leurs processus, (ii) offrir des services à haute valeur ajoutée qui correspondent aux évolutions du marché, tels que le coaching d’entrepreneurs, l’audit et le conseil en IT ou cybersécurité, la direction financière externalisée, la gestion de trésorerie avancée, les évaluations RSE, etc., (iii) saisir et répondre aux nouveaux besoins de leurs collaborateurs, notamment en termes de télétravail et de réorganisation du temps de travail, (iv) adopter de nouvelles stratégies de communication en interne et en externe, (v) recruter des profils variés, y compris hors du secteur comptable, (vi) améliorer leur attractivité en tant qu’employeur, et (vii) mettre en place un management plus horizontal et moins hiérarchisé.

Avez-vous le sentiment, qu’en Côte d’Ivoire, les professionnels du métier appréhendent les mutations en cours et s’y préparent ?

Il faut savoir qu’en Côte d’ivoire, les défis de notre métier sont essentiellement portés par l’Ordre des Experts Comptables de Côte d’Ivoire (l’OEECI). Cette Association a pour mission principale d’assurer la représentation et le développement de la profession d’expert-comptable en Côte d’Ivoire ainsi que son rayonnement à l’échelle régionale et internationale. A ce titre, de nombreuses initiatives sont en cours d’implémentation par le nouveau bureau en place pour moderniser notre profession. Je pourrai citer par exemple l’initiative sur la digitalisation qui porte sur la création d’une bibliothèque numérique, la transformation digitale du Conseil de l’Ordre et des cabinets d’expertise comptable membres de l’OECCI, et l’automatisation du « Pack » pour l’audit des petites entreprises.

Pensez-vous qu’en Côte d’Ivoire, les textes régissant la profession sont adaptés au contexte ? Ou y a t-il nécessité d’un léger toilettage ?

La question est particulièrement pertinente à l’heure actuelle, étant donné que le processus de réforme des réglementations encadrant la profession comptable en Côte d’Ivoire touche à sa fin.
Le projet de loi récemment approuvé lors de l’Assemblée Générale Extraordinaire en février 2021 vise essentiellement à établir un cadre juridique adapté, qui fournira aux experts-comptables les outils nécessaires pour relever les défis posés par un monde des affaires en perpétuelle évolution.
Ce projet de loi, qui devrait être présenté à notre autorité de tutelle ministérielle dans les prochaines semaines, propose un système moderne pour réguler l’organisation et le fonctionnement de l’Ordre des Experts-Comptables de Côte d’Ivoire, ainsi que la pratique de la profession d’expert-comptable dans le pays.

Propos recueillis par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA

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