En Afrique, les infrastructures demeurent encore sous-financ├®es en volume et mal financ├®es en termes de taux dÔÇÖint├®r├¬t et de d├®lais de remboursement. Selon le dernier Rapport du Consortium pour les infrastructures en Afrique, le financement des infrastructures sÔÇÖ├®l├¿verait ├á plus de 80 milliards de dollars US. Un d├®ficit important quÔÇÖil convient, ├á tout prix de combler, ceci dÔÇÖautant plus que les pays africains sont souvent tenus de rembourser leurs dettes dans des d├®lais tr├¿s courts.
Me Arnaud M.ÔÇêTSHIBANGU, avocat aux barreaux de New York et Kinshasa et Managing Partner de Bennani & Associ├®s RDC nous livre sa lecture de la probl├®matique. INTERVIEW
Pensez-vous que les projets dÔÇÖinfrastructures r├®pondent, en Afrique, ├á certains particularismes sur le plan juridique ?
SÔÇÖil est commun├®ment admis que le d├®ficit en infrastructure, en particulier ├®nerg├®tique et de transport, est commun ├á presque toute lÔÇÖAfrique, il y a lieu de distinguer les besoins et les engagements selon les r├®gions qui la composent, lesquelles recouvrent chacune des r├®alit├®s diff├®rentes autant sur le plan ├®conomique que sur le plan juridique.
Cette disparit├® sur le plan ├®conomique est bien illustr├®e par le dernier rapport annuel datant de d├®cembre 2022 sur les Tendances du financement des infrastructures r├®alis├® par le Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA) qui indique que sur les 85 milliards de dollars engag├®s pour le d├®veloppement des infrastructures en Afrique en 2019, 22,5 milliards de dollars d’engagements sont all├®s ├á l’Afrique de l’Ouest, suivie de l’Afrique de l’Est (16,3 milliards), de l’Afrique du Nord (15,1 milliards), de l’Afrique australe ÔÇô hors Afrique du Sud ÔÇô (10,8 milliards), de l’Afrique du Sud (12,7 milliards) et de l’Afrique centrale (5 milliards). Cette tendance sÔÇÖest dÔÇÖailleurs confirm├®e en 2020.
A ces diff├®rences sur le plan ├®conomique peuvent sÔÇÖajouter des diff├®rences sur le plan juridique.
Il appara├«t en effet que, selon les r├®gions concern├®es, la solidit├® et la fiabilit├® des cadres l├®gislatif et r├®glementaire existants peuvent diff├®rer consid├®rablement dans la mesure o├╣ ils sont consid├®r├®s comme plus efficaces et robustes dans la partie Nord et Sud (en particulier lÔÇÖAfrique du Sud) que dans la partie centrale du continent.
On peut par exemple se trouver en pr├®sence dÔÇÖEtats qui ont certes promulgu├® des lois mais sans pour autant avoir pris des d├®crets dÔÇÖapplication pour les mettre en ┼ôuvre.
Ce cadre r├®glementaire inadapt├® ou d├®ficient peut par cons├®quent limiter la participation du secteur priv├® au financement dÔÇÖinfrastructures n├®cessaires.
Quels sont, selon vous, les principaux enjeux juridiques li├®s au financement des projets dÔÇÖinfrastructures sur le continent africain ?
Apr├¿s un rappel n├®cessaire que lÔÇÖAfrique nÔÇÖest pas un bloc monolithique autant sur le plan institutionnel, juridique quÔÇÖ├®conomique, on peut d├®gager quelques tendances observ├®es dans la majorit├® des pays du continent du Nord au Sud et de lÔÇÖEst ├á lÔÇÖOuest.
Il ressort de ces observations que lÔÇÖun des enjeux majeurs pour le financement des projets d’infrastructure en Afrique est la faible disponibilit├® des capitaux ├á long terme et des sources de financement. Cela est notamment d├╗ au manque de solvabilit├® de certains Etats africains et de confiance entre les investisseurs et les gouvernements de ces Etats.
Un autre enjeu est la mise en place dÔÇÖun cadre r├®glementaire structur├® et fiable et le renforcement des comp├®tences dans lÔÇÖadministration publique.
Pr├®cis├®ment, une solide comp├®tence administrative est n├®cessaire pour ├®tablir les lois, r├¿glements et institutions indispensables ├á la r├®alisation dÔÇÖun projet. Cette ├®tape peut pr├®senter des difficult├®s particuli├¿res pour un grand nombre de pays africains en raison dÔÇÖun manque de comp├®tences ou lÔÇÖinsuffisance dÔÇÖallocation des ressources n├®cessaires pour renforcer les capacit├®s de lÔÇÖadministration. Il arrive souvent ├á cet ├®gard quÔÇÖun pays africain ne dispose pas, dans le secteur public, du capital humain n├®cessaire ├á la r├®alisation dÔÇÖun projet dÔÇÖinfrastructure requ├®rant lÔÇÖintervention de professionnels hautement qualifi├®s, une situation qui oblige plusieurs pays ├á avoir recours ├á une expertise ext├®rieure.
Or, plus la structure du partenariat public – priv├® (PPP) est complexe, plus les besoins en conseil sont importants.
En droite ligne avec ce qui vient dÔÇÖ├¬tre ├®voqu├®, la phase de r├®daction et de n├®gociation des contrats de partenariat par des professionnels du droit hautement qualifi├®s, est un enjeu essentiel pour structurer les projets de mani├¿re optimale, identifier les risques li├®s ├á la r├®alisation de ces projets, pr├®voir des garanties et indemnit├®s ainsi que des m├®canismes ad├®quats et efficaces de r├®solution des litiges.
SÔÇÖagissant des projets dÔÇÖinfrastructures en RDC, pays o├╣ vous ├¬tes install├®, quelles sont les probl├®matiques juridiques les plus fr├®quemment soulev├®es ?
Il importe de souligner tout dÔÇÖabord que la RDC sÔÇÖest dot├®e, depuis le 9 juillet 2018, dÔÇÖun cadre l├®gislatif avec une loi relative au partenariat public-priv├® (Loi sur les PPP) pour renforcer le cadre r├®glementaire dans le financement de projets dÔÇÖinfrastructures qui ├®tait jusquÔÇÖalors principalement encadr├® par le Code des march├®s publics datant de 2010.
Toutefois, cet outil l├®gislatif, encore ├á un stade embryonnaire de sa mise en ┼ôuvre, doit sans doute ├¬tre compl├®t├® par des mesures r├®glementaires destin├®es ├á renforcer le cadre existant et contribuer ├á r├®soudre les probl├®matiques juridiques fr├®quemment rencontr├®es.
Parmi les probl├®matiques les plus fr├®quentes, on peut citer une administration parfois d├®ficiente et pas suffisamment outill├®e ou form├®e pour mettre en ┼ôuvre les textes l├®gislatifs et r├®glementaires pour assurer la r├®alisation des projets. Ainsi, m├¬me si la fonction publique peut disposer de fonctionnaires suffisamment qualifi├®s, ces derniers peuvent ├¬tre diss├®min├®s entre plusieurs minist├¿res et organismes publics et dans la plupart des cas, ne travaillent pas ensemble de fa├ºon efficace. Une mauvaise coordination interminist├®rielle peut rendre ce travail encore plus complexe, long et fastidieux, ce qui d├®courage les investisseurs, renforce lÔÇÖincertitude et prolonge les d├®lais de d├®veloppement du projet.
Une autre probl├®matique fr├®quemment soulev├®e est lÔÇÖabsence de s├®curit├® juridique des contrats conclus pour la r├®alisation de projets dÔÇÖinfrastructures li├®e, notamment, ├á la complexit├® des r├®glementations fonci├¿res, aux proc├®dures administratives longues et peu efficientes, au non-respect des engagements contractuels par le partenaire public, au risque politique (r├®siliation des accords, cons├®cutive ├á un changement ├á la t├¬te dÔÇÖinstitutions ou organismes ├®tatiques) ou s├®curitaire (destruction dÔÇÖinfrastructures).
On peut enfin relever la probl├®matique de lÔÇÖex├®cution en RDC des jugements ├®trangers ou sentences arbitrales prononc├®s en faveur de lÔÇÖinvestisseur priv├® suite ├á un litige d├®coulant de lÔÇÖex├®cution du contrat de partenariat.
En Afrique, la tendance des projets dÔÇÖinfrastructures est ├á quel type de montage juridique : PPP, concession, march├® public, r├®gie directeÔǪ ?
M├¬me sÔÇÖils ne constituent pas ├á eux seuls une panac├®e susceptible de r├®soudre tous les probl├¿mes, on observe une tendance favorable aux PPP car ils permettent un meilleur partage des risques entre lÔÇÖinvestisseur priv├® et lÔÇÖentit├® publique et un meilleur ├®quilibre dans les apports de chacun, le secteur priv├® apportant le financement et l’expertise, tandis que le gouvernement fournit le terrain et le cadre r├®glementaire.
SÔÇÖil est vrai quÔÇÖil nÔÇÖy a pas en Afrique une d├®finition commune de ce que constitue un PPP, certaines caract├®ristiques communes peuvent n├®anmoins ├¬tre d├®gag├®es, notamment, la dur├®e, les modalit├®s de r├®mun├®ration, le contr├┤le, etc.
SÔÇÖagissant de la dur├®e des PPP, elle est certes limit├®e mais elle peut ├¬tre d├®termin├®e en fonction de la nature, de lÔÇÖobjet du contrat et du taux de rentabilit├® du projet afin de permettre au partenaire priv├® de recouvrer tous les co├╗ts dÔÇÖinvestissement, dÔÇÖexploitation, dÔÇÖentretien et r├®aliser un b├®n├®fice.
Dans le cadre des PPP, il peut ├¬tre ├®galement pr├®vu que le partenaire priv├® puisse avoir une r├®mun├®ration bas├®e sur le r├®sultat de lÔÇÖexploitation de lÔÇÖactivit├® et/ou sur les recettes annexes.
Cela incite en cons├®quence le partenaire priv├® ├á d├®ployer tous les efforts n├®cessaires pour rendre lÔÇÖactivit├® profitable.
Entre autres avantages quÔÇÖoffre un tel partenariat ├á lÔÇÖEtat, il y a celui de conserver un certain contr├┤le administratif et financier sur lÔÇÖexploitation de lÔÇÖactivit├® bien que la ma├«trise dÔÇÖouvrage revient au partenaire priv├®. Il y a ├®galement lÔÇÖavantage de b├®n├®ficier du financement dÔÇÖun projet dÔÇÖint├®r├¬t g├®n├®ral sans puiser dans le tr├®sor public et dÔÇÖobtenir ├á lÔÇÖ├®ch├®ance du contrat le transfert des infrastructures r├®alis├®es et ├®quipements acquis gr├óce ├á ce financement.
Existe-t-il une r├®gulation juridique des PPP dans le cadre de lÔÇÖOHADA ? Si non, comment les investisseurs peuvent-ils s├®curiser juridiquement un PPP contre les risques politiques ou s├®curitaires ?
Il n’existe pas encore ├á ce jour d’acte uniforme sp├®cifique qui r├®gule les PPP dans lÔÇÖespace OHADA. Les PPP sont pour lÔÇÖinstant encadr├®s par le droit interne des Etats membres de lÔÇÖOHADA, notamment par les lois nationales (sectorielles) ainsi que les d├®crets dÔÇÖapplication.
Il est donc essentiel pour les investisseurs int├®ress├®s par des PPP dans un pays membre de l’OHADA de se familiariser avec les lois nationales et les m├®canismes de r├®gulation des PPP dans ce pays.
Nous pr├®cisons cependant que plusieurs organisations r├®gionales ont mis ou envisage de mettre en place un cadre juridique et institutionnel communautaire des PPP. CÔÇÖest le cas par exemple de la zone de l’Union ├®conomique et mon├®taire ouest-africaine (UEMOA) (regroupant huit pays dÔÇÖAfrique de lÔÇÖouest) o├╣ cela a ├®t├® mis en place par une directive datant de septembre 2022 ou de la zone de la Communaut├® ├®conomique et mon├®taire de l’Afrique centrale (CEMAC) (regroupant six pays dÔÇÖAfrique centrale) qui envisage de le faire.
En ce qui concerne la s├®curisation juridique des PPP contre les risques politiques et s├®curitaires, il convient de souligner que ces risques varient consid├®rablement dÔÇÖun pays du continent ├á un autre ou du type de projets.
Par cons├®quent, il importe que les investisseurs consultent des juristes locaux sp├®cialis├®s pour obtenir des conseils adapt├®s au projet et ├á lÔÇÖenvironnement l├®gal et int├®grer dans les contrats ├á conclure des m├®canismes ad├®quats pour att├®nuer, limiter ou contourner les risques identifi├®s.
Parmi les m├®canismes de nature ├á att├®nuer ou limiter les risques politiques ou s├®curitaires, les investisseurs doivent sÔÇÖassurer que dans leur contrat PPP figurent des clauses sp├®cifiques claires pr├®voyant, notamment, des indemnisations par lÔÇÖentit├® publique en cas de non-respect de ses engagements contractuels ou des m├®canismes de r├®solution des diff├®rends au sein dÔÇÖun forum de r├¿glement neutre et ind├®pendant.
Par ailleurs, les investisseurs seraient avis├®s de travailler en partenariat avec des entreprises ou des acteurs locaux priv├®s pour b├®n├®ficier de leur connaissance du terrain en vue dÔÇÖatt├®nuer certains des risques politiques et s├®curitaires.
A toutes les strat├®gies dÔÇÖatt├®nuations d├®j├á ├®voqu├®es sÔÇÖajoutent la possibilit├® pour les investisseurs de souscrire des polices dÔÇÖassurances (locales ou internationales e.g. MIGA) destin├®es ├á couvrir ou partager les risques non commerciaux, notamment politiques ou s├®curitaires tels que les changements de r├®gime, l’expropriation et les conflits.
Quelles sont, selon vous, les conditions pour que les PPP soient en Afrique, une option ├®conomiquement viable pour la fourniture dÔÇÖinfrastructures publiques ?
Les Etats doivent pouvoir consid├®rer les PPP comme un moyen efficace de diminuer les effets ind├®sirables du recours au tr├®sor public pour financer les infrastructures publiques gr├óce au financement de ces projets par un investisseur priv├®.
En outre, les PPP doivent v├®ritablement garantir une s├®curit├® juridique pour les investisseurs, laquelle doit d├®couler dÔÇÖun cadre juridique solide, dÔÇÖune r├®glementation claire et efficace, de m├®canismes de partage des risques ├®quilibr├®s, dÔÇÖune transparence et une responsabilisation accrues des entit├®s publiques de nature ├á diminuer les risques, y compris politiques.
Par ailleurs, il importe de pallier le d├®ficit de comp├®tences administratives et techniques ├á m├¬me de g├®rer les programmes et projets de PPP par le renforcement des capacit├®s de lÔÇÖadministration en ressources humaines qualifi├®es et en outils adapt├®s.
De m├¬me, il y a lieu de r├®soudre les dysfonctionnements institutionnels r├®sultant de lÔÇÖabsence de bonne gouvernance, de transparence et de respect des normes.
Il convient enfin que les gouvernements et les investisseurs du secteur priv├® se tournent vers des structures de financement innovantes, telles que l’├®mission d’obligations, les fonds d’infrastructure et les v├®hicules de financement de projets. Ces structures permettent aux investisseurs de r├®partir leurs risques sur plusieurs projets, r├®duisant ainsi leur exposition ├á un seul projet.
Quelles sont les modalit├®s de r├¿glement des diff├®rends dans les projets dÔÇÖinfrastructures ? Entre le recours ├á lÔÇÖarbitrage (institutionnel ou ad hoc) et un mode alternatif de r├¿glement des litiges, lequel est le plus souvent privil├®gi├® ? Pourquoi ?
LÔÇÖarbitrage international, quÔÇÖil soit institutionnel (CIRDI, CCI, CCJA, etc.) ou ad hoc, est le mode de r├¿glement des litiges le plus usit├® dans les contrats de partenariat car il offre aux partenaires priv├®s davantage de garanties de neutralit├®, dÔÇÖind├®pendance et dÔÇÖimpartialit├® que les juridictions locales qui sont souvent per├ºues, ├á tort ou ├á raison, avec m├®fiance. LÔÇÖarbitrage offre ├®galement une certaine confidentialit├®, c├®l├®rit├® et souplesse proc├®durale dans le r├¿glement des diff├®rends et reconnaissance internationale des sentences arbitrales, ce qui est dÔÇÖune importance capitale pour les investisseurs.
Cependant, des modes alternatifs de r├¿glement des litiges, tels que la m├®diation ou la conciliation, peuvent ├®galement ├¬tre explor├®s en fonction des besoins et de la volont├® des parties.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – ┬® Magazine BUSINESS AFRICA
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