Sidoine VIAGBO cumule 20 ans d’expérience dans le Trade Finance et la dette privée en Afrique. Avant sa nomination comme Directeur Général Adjoint de ENKO Capital West Africa, M. VIAGBO a dirigé Barak Fund Management. Il fut auparavant responsable du financement structuré du commerce et des matières premières pour Ecobank Transnational Incorporated (2013-18). Il explique dans cet entretien, le mécanisme du Trade Finance, son impact et ses enjeux pour l’Afrique, dans le contexte géopolitique actuel.
Tout d’abord, quelques mots sur le Trade Finance, en quoi consiste-t-il concrètement ?
Le Trade Finance ou financement du commerce représente l’ensemble des instruments financiers et des produits utilisés par les entreprises pour faciliter le commerce international. La fonction du financement du commerce est d’introduire un tiers dans les transactions afin d’éliminer le risque de paiement et le risque d’approvisionnement. Le financement du commerce présente les caractéristiques suivantes : il s’agit de prêts qui fournissent un financement à court terme pour soutenir le flux physique de biens. Les biens échangés servent de garantie principale au financement. Les transactions sont « self-liquidating », c’est à dire que le prêt est remboursé par les recettes de la transaction, et non par le flux de trésorerie général de l’emprunteur. Les instruments de financement du commerce sont simples et généralement mono-actifs, rapides et faciles à exécuter et à monétiser en cas de défaut de l’emprunteur. Enfin, les instruments sont émis selon des pratiques et codes bancaires uniformes à travers le monde.
Généralement, les entreprises dépendent totalement des produits apportés par le financement du commerce (matières premières, etc.) ; ces produits ne sont pas libérés tant que le crédit de financement du commerce n’est pas entièrement remboursé servant ainsi de sécurité au (x) prêteur(s).
En résumé, le Trade Finance vise à faciliter le commerce international en offrant des solutions financières spécifiques qui sécurisent les transactions et favorisent la confiance entre les partenaires commerciaux.
Le rapport conjoint OMC – IFC dénommé « Le financement du commerce en Afrique de l’Ouest » a pointé du doigt l’insuffisance du financement du commerce dans ces pays. Quelles en sont, selon vous, les principales causes ?
Ce phénomène n’est pas propre au financement du commerce en Afrique de l’Ouest, mais je dirai propre aux PMEs en Afrique en général, et quand on sait que ces dernières constituent le moteur de la croissance dans cette région, cela pose un véritable problème. Pour ma part, je noterais cinq causes principales :
a. Manque de garanties financières : les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), ont souvent du mal à fournir des garanties suffisantes pour obtenir un financement commercial. Cela peut découler d’un manque de transparence financière ou de l’incapacité à offrir des garanties acceptées par les institutions financières.
b. Risque politique et économique : l’incertitude politique et économique dans certains pays peut dissuader les institutions financières d’investir dans le financement du commerce. Les risques liés aux fluctuations des taux de change, aux changements de réglementation et aux instabilités politiques peuvent rendre ces transactions moins attrayantes.
c. Infrastructures et logistique : les défis liés aux infrastructures de transport, aux douanes et à la logistique peuvent entraver la fluidité des échanges commerciaux. Des infrastructures inefficaces qui augmentent les coûts et les délais, ce qui peut dissuader les acteurs du commerce et les institutions financières.
d. Accès limité aux marchés financiers internationaux : hormis le contexte international qui, de fait, a entrainé un assèchement des émissions internationales de dette, certains pays d’Afrique de l’Ouest peuvent rencontrer des difficultés à accéder aux marchés financiers internationaux, limitant ainsi leurs capacités d’obtenir des financements à des conditions avantageuses.
e. Problèmes liés à la documentation et à la conformité : les procédures administratives et les exigences de conformité complexes peuvent rendre les transactions commerciales plus difficiles et chronophages, décourageant certains acteurs du commerce.
Pensez-vous que le durcissement dans de nombreux pays des normes anti-blanchiment et les exigences règlementaires en matière de conformité, ont un effet sur le financement du commerce international ?
Oui, des effets bénéfiques d’abord et ensuite quelques défis. Concernant les effets bénéfiques, le renforcement des normes anti-blanchiment et des exigences de conformité réglementaire a eu un impact positif en renforçant la transparence et la sécurité des transactions commerciales internationales. Ces mesures ont contribué à réduire les risques liés aux activités illicites, renforçant ainsi la confiance des investisseurs et des partenaires commerciaux dans les échanges transfrontaliers. Elles ont aussi contribué à améliorer la transparence et la crédibilité des opérations commerciales, offrant des bases plus solides pour le développement à long terme du commerce international. Cependant, ce durcissement a également entraîné des défis supplémentaires en rendant les transactions commerciales plus chronophages, et même découragé certains acteurs du commerce.
Voici quelques-uns des défis constatés auprès des acteurs :
a. Complexification des procédures : les normes anti-blanchiment et les exigences de conformité peuvent rendre les procédures de vérification et de documentation plus complexes et plus longues. Cela peut entraîner des retards dans le traitement des transactions commerciales.
b. Coûts supplémentaires : la conformité aux normes anti-blanchiment peut nécessiter des investissements importants dans des systèmes et des processus de surveillance et de vérification.Ces coûts supplémentaires peuvent influencer la rentabilité des opérations de financement du commerce.
c. Risque accru de rejet : Les exigences de conformité plus strictes peuvent entraîner un risque accru de rejet des transactions, en particulier pour les entreprises qui ne parviennent pas à satisfaire pleinement aux normes. Cela peut rendre plus difficile l’accès au financement du commerce.
d. Barrières à l’entrée : les petites et moyennes entreprises (PME) peuvent trouver difficile de satisfaire les exigences de conformité élevées, créant ainsi des barrières à l’entrée sur le marché du financement du commerce international.
e. Impact sur les relations bancaires : les institutions financières, en raison de la pression réglementaire, peuvent être plus sélectives dans le choix de leurs partenaires commerciaux, ce qui peut affecter les relations bancaires et les possibilités de financement pour certaines entreprises.
Le Trade finance requiert des capitaux très importants, ce que les banques commerciales africaines n’ont pas toujours. Cela ne favorise-t-il pas un monopole des grandes institutions financières, type Afreximbank, qui disposent de fonds propres conséquents ?
Tout à fait juste. Le Trade Finance exige des capitaux substantiels.
De plus, ces opérations sont réalisées en devises fortes (US Dollar, Euro), ce qui présente des défis pour les banques commerciales africaines. Cette réalité pourrait potentiellement favoriser un monopole des grandes institutions financières, telles qu’Afreximbank, qui disposent de ressources financières considérables. Les banques commerciales de taille modeste pourraient rencontrer des difficultés à rivaliser dans le domaine du Trade Finance en raison de leurs limitations en termes de ressources. Cette situation peut entraîner une concentration du marché, limitant ainsi l’accès aux services de financement commercial à un nombre restreint d’institutions financières de grande envergure. Il est important de noter que cette dynamique entraîne des conséquences sur la diversité des services financiers disponibles pour les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises (PMEs), qui pourraient trouver difficile d’accéder à des solutions de financement du commerce. Ainsi, il est crucial de réfléchir à des moyens de promouvoir la concurrence et l’inclusion financière dans le secteur de le Trade Finance, afin de soutenir un environnement commercial plus vaste et diversifié. Une alternative, serait des fonds d’investissements spécialisés dans le financement du commerce.
L’ouverture de la zone de libre-échange continentale africaine promet de belles perspectives au financement du commerce intra-africain. N’y a-t-il pas cependant quelques conditions à remplir. Si Oui lesquelles ?
L’ouverture de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) offre des perspectives prometteuses pour le finance- ment du commerce intra-africain. Cependant, plusieurs conditions doivent être remplies pour maximiser ces opportunités. Certaines de ces conditions comprennent : Infrastructure améliorée ; Simplification des procédures douanières ; Harmonisation des réglementations ; Développement du secteur financier ; Stabilité politique et économique ; Formation et sensibilisation ; Accès aux informations. En mettant en œuvre ces conditions, les pays africains peuvent considérablement améliorer leur capacité à tirer pleinement parti des avantages du commerce intra-africain, notamment en matière de financement.
Le monde vit en ce moment de grands bouleversements marqués par une crise inflationniste et des fortes tensions géopolitiques. Ressentez-vous les conséquences de ces troubles dans vos activités de financement ?
Nul n’est épargné par cette crise, j’ai envie de vous répondre. Et en tant que gérant d’un fonds de dette privée, les défis sont majeurs avec notamment un impact sur la liquidité et des coûts de financement accrus ; une augmentation de la volatilité due à l’instabilité politique ainsi que des répercussions sur la capacité de remboursement. Nous devons donc pour nous en sortir opter pour une gestion prudente des risques, une adaptation stratégique et une diligence accrue pour naviguer avec succès dans de telles périodes tumultueuses.
Dernière question, comment ENKO Capital arrive-t-il à tirer son épingle du jeu, dans un secteur dominé par les grandes banques et les institutions financières internationales ? Quelle est, en somme, la spécificité de son approche ?
Enko Capital se distingue en offrant une expertise locale approfondie associée à une connaissance pointue des marchés africains. Les partenaires d’Enko sont tous des banquiers chevronnés et des gestionnaires de fonds. Leurs réseaux sont vastes avec un accès à un large éventail de professionnels (juridiques, bancaires, d’investissement, comptables, gouvernementaux, etc.) ayant une compréhension approfondie des marchés, lois, règlementations, économies et opportunités locales. Enko dispose également de plusieurs avantages concurrentiels distincts : l’infra- structure et la plateforme d’Enko ; l’expérience des marchés privés africains ; l’expérience de la dette publique africaine et de l’analyse macroéconomique et finale- ment l’expérience bancaire africaine. Quant à notre approche, elle repose sur une flexibilité dans la conception de solutions financières adaptées aux besoins spécifiques des clients, en exploitant des stratégies innovantes et une compréhension approfondie des marchés émergents.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA