Après avoir dirigé pendant une dizaine d’années la SOCOCIM, Youga SOW est aujourd’hui à la tête du cabinet de stratégie d’Affaires ADVISE AFRICA, spécialisé dans les projets d’investissements miniers, de l’énergie, des infrastructures et de l’industrie en Afrique.
Ce nouveau défi est, selon lui, le résultat de trente années d’expérience professionnelle dans les secteurs des mines, des BTP et de l’industrie. En effet, son parcours professionnel, partagé entre l’administration publique (Ministère des Mines et de la Géologie) et le secteur privé, lui confère une expertise et une vision transversale de la complexité des activités extractives en Afrique.
Quel regard portez-vous l’évolution du secteur minier au Sénégal ? Pensez-vous que ce secteur possède encore un potentiel de développement important ?
Le secteur minier du Sénégal a connu une évolution significative au cours des dernières décennies. En effet, à l’instar d’autres pays, le Sénégal a vu l’arrivée de nombreuses compagnies minières dans les années 90, attirées par le potentiel minier et une législation favorable dans la sous-région.
Depuis, différents travaux de cartographie géologique, géochimique, géophysique et de télédétection, à des échelles différentes ont permis de doter le Sénégal d’une base de données révélant un important potentiel en « cibles de prospection », pour les métaux, le phosphate et d’autres occurrences.
La suite, nous la connaissons :
-Plusieurs mines d’or en exploitation ou en attente de l’être : Sabodala, Massawa, Mako, Boto, Niamia, etc. Fait nouveau, certains gisements du métal jaune sont tenus par des investisseurs sénégalais ;
Une gisement de minéraux lourds, Ilménite, rutile, leucoxene et zircon de classe mondiale, découvert dans les année 80, et exploité aujourd’hui par ERAMET.
-Découverte de nouveaux gisements et de nouvelles cibles pour le phosphate au centre du pays, etc.
-A côté de ces succès, le projet du fer de la Falémé, porté par la MIDERSO, reste dans un immobilisme total pendant que les pays voisins comme la Guinée, eux marchent résolument vers l’exploitation du gisement de Simandou, un mastodonte de près de 9 milliards de tonnes de minerais de fer.
-Du point de vue de la gouvernance et de la transparence, le Sénégal à adhéré à l’Initiative sur la Transparence des Industries Extractives ITIE. Depuis 2013, un rapport annuel est publié sur l’état du secteur extractif, sa contribution au PIB et au recettes de l’Etat; les contrats sont publiés et bénéficiaires réels sont dévoilés.
-De nombreuses autres indices sont connus dans le pays, notamment du Lithium, du cuivre, etc.
Pensez-vous que le code minier sénégalais est suffisamment attractif pour attirer d’éventuels investisseurs ou faut-il encore en améliorer certains dispositifs ?
La législation minière du Sénégal indépendant remonte au décret de 1961, qui posa les jalons de ce qui allait devenir les codes miniers de 1988, de 2003, puis celui de 2016 actuellement en vigueur.
Les premiers codes miniers ont été adoptés dans un contexte de concurrence entre pays et ou les gouvernements voulaient attirer les investisseurs avec des avantages fiscaux, douaniers très généreux.
Avec le code de 2016, l’Etat a voulu répondre aux préoccupations des populations, des communautés locales et de la société civile, de voir les fruits de l’exploitation minière bénéficier au pays.
Ce code reste, néanmoins, toujours attractif pour les investisseurs, grâce à la réglementations claire et stable qu’il offre.
Cependant, certains acteurs soulignent la nécessité d’améliorer encore certains dispositifs pour faciliter davantage l’investissement. Cela pourrait inclure une simplification des procédures administratives, une plus grande transparence et une meilleure protection des droits des investisseurs.
Le régime fiscal applicable aux industries extractives au Sénégal vous semble-t-il équilibré ?
Le régime fiscal applicable aux industries extractives au Sénégal est considéré comme relativement équilibré.
Il vise à garantir que le pays bénéficie des revenus générés par l’exploitation des ressources naturelles tout en encourageant l’investissement et le développement économique. Les taxes sont fixées à des niveaux compétitifs par rapport à d’autres pays de la région, ce qui contribue à l’attractivité du Sénégal en tant que destination minière.
Cependant, les administrations fiscales se livrent souvent à une remise en cause d’avantages acquis des investisseurs, qui se défendent souvent avec des arbitrages devant les tribunaux.
A noter également que, depuis que le code minier a été dépouillé de tout aspect fiscal au profit du code général des impôts, chose que l’on peut comprendre, le Ministère des mines s’est retrouvé affaibli.
Certaines voix s’élèvent pour plaider en faveur d’éventuelles révisions pour rendre le régime fiscal encore plus favorable aux investisseurs avec un rôle plus important du Ministère des mines.
Certains pays de la sous-région, notamment le Mali et le Burkina-Faso ont engagé des démarches de renégociation des conventions minières avec des opérateurs. Le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye FAYE l’envisage également. Ne pensez-vous pas que cette démarche est de nature à dissuader les investisseurs ?
Les investisseurs et l’Etat ne sont pas des adversaires mais ils n’ont pas toujours les mêmes intérêts.
Les investisseurs recherchent la stabilité économique, réglementaire et une certaine prévisibilité lors de la prise de décisions d’investissement. Or les renégociations introduisent une incertitude quant aux conditions actuelles et futures.
En face, l’Etat cherche à tirer le meilleur profit de l’exploitation de ressources extractives, dans un contexte de demande sociale forte et de besoin infrastructures, de ressources pour financer le développement du pays.
Les pays que vous citez ont renégocié certains contrats mais au bout, chaque partie s’en est tirée avec quelques avantages.
Il n’y a pas de négociation qui tienne si c’est pour les seuls intérêts d’une des parties au détriment de l’autre. Un pays qui a la réputation de remettre en cause des contrats signés pour les renégocier quand bon lui semble, n’est pas perçu comme un bon partenaire par les investisseurs.
L’explosion de la demande mondiale en métaux et pierres précieuses entraînera, à terme, un épuisement des gisements.
Ne pensez-vous pas qu’il est temps pour les pays africains d’aller vers la création de véritables industries de transformation minière, à l’image de l’Afrique du Sud ou du Canada ?
Les sociétés modernes ont un gros appétit pour les ressources minières de manière générale. Parmi les plus grands consommateur, la Chine fait partie de ceux qui tirent la demande mondiale en fer, cuivre, bauxite, etc. La pression de la demande mondiale en métaux et autres ressources minières pèse sur les réserves de l’Afrique, qui est un gisement à ciel ouvert, qui approvisionne le reste du monde en matières premières brutes, sans parvenir à faire de ce potentiel un véritable levier de son développement économique.
De façon plus spécifique, il s’agit des métaux dits critiques (Lithium, cobalt, cuivre, etc.), sans les quels la transition énergétique vers le net zéro à l’horizon 2030/2050 ne sera pas atteint. Mieux, une étude sérieuse de Bloomberg a établi qu’il faudra investir 2,1 trillions de dollars pour remplacer les gisements de ces métaux critiques en voie d’épuisement d’ici 2050.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question, il faut relever que le salut de l’Afrique viendra par sa capacité à valoriser les ressources minières localement et à stimuler les économies nationales en créant des emplois et en favorisant le développement industriel.
La mise en place de politiques favorables à l’industrialisation et à la transformation locale des ressources minérales est donc essentielle pour atteindre cet objectif. La nouvelle donne qui rend ce rêve réalisable, ce sont les découvertes récentes de pétrole et de gaz dans de nombreux pays africains, en particulier en Afrique de l’ouest : Mauritanie, Sénégal. Restera un leadership politique éclairé pour mener cette transformation.
En Afrique, peu d’investisseurs nationaux s’intéressent au secteur minier. A quoi cela est-il dû et comment y remédier ?
Le manque d’intérêt des investisseurs nationaux pour le secteur minier en Afrique est souvent dû à des difficultés d’accès au capital, à un faible appétit pour le risque, à un manque de compétences techniques et à la perception d’une réglementation complexe et défavorable.
Pour remédier à cela, il est nécessaire de mettre en place des politiques qui encouragent l’investissement local.
Dans certain cas, il faudra modifier la législation minière, avec des exigences de participation du privé national, ne serait ce que dans les sociétés d’exploitation après la mise en évidence de gisements économiquement et techniquement exploitables.
Cela peut, aussi, inclure la création de programmes de financement pour les investisseurs nationaux, la mise en place de partenariats public-privé pour faciliter l’accès aux ressources et la formation pour améliorer les compétences techniques disponibles.
Quelle analyse portez-vous sur le local content dans le secteur minier sénégalais ?
Le contenu local est un aspect important dans le secteur minier. Il n’est cependant pas nouveau comme certains le pensent.
Au Sénégal, le contenu local fait référence à l’implication et à la participation des entreprises locales dans les activités et les bénéfices du secteur minier.
C’est exactement le cas dans les entreprises minières et industrielles du pays avant même la découverte du pétrole et du gaz au Sénégal. C’est de l’ignorance de penser que c’est le secteur du “Oil and Gas” qui a inspiré le contenu local dans les industries extractives du Sénégal.
Des entreprises comme Sococim industries dans le ciment, les ICS dans le phosphate, les sociétés aurifères dans le Kédougou, en font depuis des décennies, avec plus d’impacts que toutes sociétés pétrolières naissantes réunies.
Actuellement, la législation sénégalaise a prévu l’instauration de quotas pour les entreprises locales dans les contrats miniers, ce qui est un très bonne choses dans l’absolu.
Cependant, il est essentiel de s’assurer que l’application de ces quotas est réaliste et faisable, vue la faiblesse de l’offre dans certains secteurs.
Aussi, il faudra assurer un meilleur suivi pour garantir que les retombées de l’activité minière se traduisent par un développement socio-économique durable pour les communautés locales. C’est là, l’enjeu majeur.
Le secteur minier doit relever de nombreux défis liés au respect de l’environnement, aux conditions de travail, aux pratiques peu orthodoxes. Comment concilier rentabilité et responsabilité sociale et sociétale ?
Il est essentiel de concilier rentabilité économique des entreprises minières et retombées positives pour les communautés locales, le gouvernement et le pays de manière générale. C’est à cette condition seulement qu’un équilibre durable pourra être trouvé pour prévenir, voire éviter les conflits.
Cela nécessite l’adoption de normes et critères de type ESG et Durabilité à l’échelle du secteur, et leur intégration dans le modèle d’affaires des entreprises en activité.
Il faut renforcer l’exigence en matière de santé et de sécurité au travail, le respect de l’environnement, la promotion des droits de l’homme et la transparence dans la gestion des ressources.
Les entreprises minières et les gouvernements doivent s’engager activement dans des pratiques responsables et adopter des codes de conduite éthiques.
La dimension ”bonne gouvernance” est plus que jamais au centre des enjeux du secteur minier. Et il y a beaucoup à faire à ce sujet.
Après avoir dirigé pendant une dizaine d’années, la SOCOCIM, vous avez créé ADVISE AFRICA.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette reconversion et sur vos nouvelles activités ?
Aujourd’hui, je dirige le cabinet de stratégie d’Affaires ADVISE AFRICA, spécialisé dans les projets d’investissements miniers, de l’énergie, des infrastructures et de l’industrie en Afrique.
Ce nouveau défi est le résultat de trente années d’expérience professionnelle dans les secteurs des mines, des BTP et de l’industrie et des affaires de manières générale.
Mon parcours professionnel partagé entre l’administration publique (Ministère des Mines et de la Géologie) et le secteur privé, me confère une expertise et une vision transversale de la complexité des activités extractives en Afrique.
ADVISE AFRICA est un pont entre les pouvoirs publics et les investisseurs et entrepreneurs dans les domaines des Mines, de l’Industrie, des Infrastructures, de l’Energie.
Nous plaidons pour une transformation des ressources minières localement en l’Afrique, par une industrialisation de nos pays, porteuse de valeurs ajoutées, de richesses et créatrices d’emplois pour les millions de jeunes africains en quête d’une vie meilleure.
Personnellement, je suis un ardent défenseur de la transformation structurelle de nos économies, fondée sur une valorisation des compétences et ressources minières africaines sur le continent.
Je crois et je soutiens fortement l’introduction des critères ESG et du développement durable dans l’industrie extractive en Affrique de manière générale.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA