Féru de technologie et d’innovation, Hamidou DIA se définit lui-même comme « un passionné qui croit en l’innovation et estime que la volonté et le travail viennent à bout de tout obstacle ». Ce natif de Diourbel, au Sénégal, issu d’une famille des plus modestes, conseille aujourd’hui les gouvernements et les grandes multinationales dans la structuration de leur stratégie d’intelligence artificielle. Toujours entre deux avions, nous l’avons rencontré au siège français de Google, en plein cœur de Paris. Il revient sur les étapes marquantes de son parcours professionnel, les enjeux de l’intelligence artificielle et les opportunités qu’offre au continent africain, cette nouvelle ère technologique. INTERVIEW
Tout d’abord, quelques mots sur votre parcours, comment un jeune de Diourbel au Sénégal est-il devenu un des dirigeants de Google, leader mondial des services technologiques ?
Je suis en effet né à Diourbel au Sénégal. J’y ai effectué mes études primaires avant d’intégrer le Lycée Lamine Gueye à Dakar où j’ai fait une série Mathématiques et Physique. Comme j’étais bon élève, j’ai pu bénéficier d’une bourse pour aller étudier en France, à l’université de Nantes où j’ai pu obtenir mon diplôme d’ingénieur en informatique. S’en est suivi un parcours professionnel dans plusieurs entreprises à travers la France jusqu’à ce jour où, travaillant à Total pour le compte d’une société de conseil, il m’a été proposé une offre d’expatriation par un cabinet chez Oracle aux États-Unis.
C’est comme ça que j’ai débarqué avec femme et enfants aux États-Unis, plus précisément dans le Silicon Valley, siège d’oracle.
Comment s’est passée la mutation vers cette nouvelle vie ? Avez-vous eu des appréhensions ?
La décision d’aller aux États-Unis n’a pas été facile à prendre. Nous avions des enfants à bas âges et venions d’acheter une maison dans la banlieue parisienne. Laisser tout tomber pour refaire sa vie ailleurs n’était, évidemment, pas une décision facile à prendre. Mais nos enfants étaient tellement enchantés à l’idée de partir vivre aux Etats-Unis que, finalement, nous avons décidé de tenter l’aventure.
Vous avez donc démarré chez Oracle… ?
A Oracle j’ai commencé au bas de l’échelle. Puis j’ai gravi les échelons progressivement jusqu’à être senior vice-président. A ce poste je rendais compte directement au PDG Larry Elisson. J’avais un briefing avec lui chaque mardi.
Je suis resté à Oracle pendant vingt ans. Et en 2019, Google est venu me chercher avec une offre que je ne pouvais refuser : un poste de vice-président et des responsabilités dans un domaine qui me passionnait, l’intelligence artificielle.
Donc aujourd’hui vos activités couvrent aussi bien l’intelligence artificielle que le cloud ?
En fait, dans la division Cloud, il y a une subdivision en charge de l’intelligence artificielle et moi je m’occupe plus particulièrement du « Générative Ai » au sein de Google Cloud.
Alors parlons de l’intelligence artificielle, de quoi s’agit-il véritablement ?
Alors, pour faire simple, quand on parle d’intelligence artificielle, il s’agit d’une machine à qui l’on apprend certaines tâches, à partir de certaines données pour faire de la prédiction. C’est ce qu’on appelle le « machine learning ». Ces dernières années, cela s’est beaucoup développé et aujourd’hui on a le « Générative AI » c’est à dire la faculté pour l’algorithme de créer une information nouvelle. Qui peut être du texte, des images, du son ou de la vidéo. C’est ça la révolution.
Quand on analyse les enjeux de l’intelligence artificielle, on peut noter que cette technologie peut comporter certains risques. Comment s’en prémunir ?
Dans toute innovation, il y a des opportunités et des risques. L’intelligence artificielle peut être mal utilisée pour plusieurs raisons. Il faut donc la réguler.
Au niveau de Google, on a établi des principes de l’intelligence artificielle, auxquels tous nos algorithmes doivent respecter. On s’assure que nos algorithmes ne vont pas être utilisés pour faire du mal ou pour une cause illicite.
Nous nous assurons que nos Ai ont un bénéfice pour la société. Nous voulons que l’intelligence artificielle soit » helpfull for everyone ».
Mais cela n’exclut pas que les gouvernements, les ONG, la société civile, les entreprises travaillent ensemble pour créer des garde-fous contre l’utilisation à des fins illicites ou immorales de l’intelligence artificielle. Il ne faut, toutefois, pas que la régulation empêche l’innovation. Il importe de ce fait de trouver un juste milieu.
S’agissant du continent africain, qu’est-ce que l’intelligence artificielle peut concrètement apporter à son développement ?
Toute ère technologique est une énorme opportunité pour tous, y compris pour l’Afrique. Tout dépend de savoir si elle souhaite en profiter ou pas. Nous avons eu l’ère de l’internet dont l’Afrique n’a pas beaucoup bénéficié en termes de développement économique. Ensuite il y a eu celle du Mobile avec l’annonce en 2007 du lancement de l’iphone par Steve Jobs. On peut dire que les Africains ont davantage profiter de cette ère, notamment avec le développement fulgurant du mobile banking .
Nous sommes aujourd’hui à l’ère de l’intelligence artificielle et l’Afrique a de nombreuses opportunités à saisir dans tous les domaines du développement : santé, éducation, agriculture, etc…
Google possède des centres de recherche au Ghana et au Kenya qui travaillent sur les possibilités offertes au continent par l’intelligence artificielle à travers des modélisations.
Le problème de l’Afrique demeure surtout l’absence de données. N’est-ce pas là un redoutable frein pour le continent, de profiter des opportunités qu’offre l’intelligence artificielle ?
Oui l’Afrique souffre de l’absence de données. Mais l’intelligence artificielle peut être utilisée même avec très peu de données. Car comme son nom l’indique, il s’agit de modèle déjà intelligent. On peut tirer profit de cette technologie malgré le manque de données.
Une des craintes sur l’usage de l’intelligence artificielle est son impact sur l’emploi. Car c’est en définitive les machines qui vont être mises à contribution à la place des humains. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai qu’il y aura un impact sur l’emploi. Mais il faut savoir que 60% des enfants qui commencent l’école aujourd’hui travailleront dans des métiers qui n’existent pas encore. Ce qu’il faut, c’est comprendre les enjeux et appliquer les bonnes politiques.
Avec le potentiel qu’elle a, l’Afrique n’a rien à perdre. Bien au contraire, elle a tout à gagner en s’inscrivant pleinement dans l’ère de l’intelligence artificielle.
Propos recueillis par A.S. TOURE – ©Magazine BUSINESS AFRICA