« L’expert-comptable a un devoir de conseil » dixit Ibra NDIAYE, expert-comptable et commissaire aux comptes – HACA Partners
Ibra NDIAYE est ce qu’on appelle « une tête bien pleine ». Après l’obtention de son baccalauréat en technique quantitative d’économie et de gestion au Lycée technique de commerce Maurice Delafosse de Dakar, il bénéficie d’une bourse d’excellence du gouvernement sénégalais pour poursuivre ses études en France. Il y obtient un master en comptabilité, contrôle et audit ainsi qu’un Diplôme Supérieur en Comptabilité et Gestion. S’en suit un stage d’expertise comptable de 3 ans, à l’issue duquel il décroche le Diplôme d’expertise comptable en France, qu’il complètera plus tard par une formation pour l’exercice de la profession de réviseur d’entreprises agréé au Luxembourg. Ibra NDIAYE débute sa carrière chez Mazars où il restera six années, d’abord à Strasbourg puis au Luxembourg, avant de rejoindre PwC Luxembourg pour 2 ans. Il entame en 2018 l’aventure HACA Partners, un cabinet d’audit et de conseil créé en mars 2016, employant aujourd’hui 75 salariés avec une présence au Luxembourg, en France et au Sénégal. Le cabinet propose des services d’expertise comptable et de commissariat aux comptes, d’audit interne, de regulatory & compliance, de gestion des risques et de conseil. Inscrit à l’ordre des experts comptables et commissaires aux comptes de la France, du Sénégal et du Luxembourg, Ibra NDIAYE est spécialisé dans les secteurs industriels et commerciaux mais également dans le secteur financier. Il accompagne des clients nationaux et internationaux dans leur développement. Il s’agit essentiellement d’investisseurs souhaitant s’installer en Afrique de l’Ouest ou de locaux désireux de bénéficier de l’expérience et de l’expertise de la place financière luxembourgeoise.
Vous exercez en Europe et en Afrique, pensez-vous qu’il y a une spécificité africaine dans l’exercice du métier d’expert-comptable ?
Le métier d’expert-comptable et de commissaire aux comptes est très normé. Nous appliquons des normes internationales avec des spécificités par pays qui répondent en général à des exigences légales et réglementaires propres à chaque pays. Concernant l’expertise comptable, la différence majeure que je note entre mes missions en Afrique et en Europe est davantage dans le relationnel avec le client que sur les normes en tant que tel ou les outils technologiques utilisés pour mener à bien nos missions. Nos clients en Afrique sont davantage dans une relation d’écoute et de proximité, ce qui est primordial pour permettre à l’expert-comptable de mener à bien son devoir de conseil. Aussi, les économies et les environnements financiers étant différents, les missions en Afrique sont en partie spécifiques et très intéressantes et peuvent aller de la mise en place d’outils de reportings et de KPI (« Key Performance Indicator ») pour la prise de décision, d’accompagnement dans des demandes de financements, de levée de fonds, d’établissement de comptes selon les normes internationales (IFRS notamment), de formations sur des aspects KYC/AML (anti-blanchiment d’argent et financement du terrorisme), de missions de due diligences, de valorisation de sociétés… Pour toutes ces missions, nous disposons d’une expertise locale et internationale qui nous permet d’accompagner au mieux nos clients. Dans le métier de commissariat aux comptes, au-delà de la validation des états financiers, nous sommes de plus en plus attendus sur des aspects extra-financiers notamment la responsabilité sociale et sociétale avec l’intégration accrue par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes. De plus, en Europe, la digitalisation a pris une place prépondérante dans les audits. En France par exemple, le fichier des écritures comptables (FEC) nous permet d’affiner notre approche par les risques et de nous concentrer finalement sur les zones à risques, les transactions inhabituelles et/ou anormales et les transactions significatives afin d’exprimer une opinion raisonnable sur les états financiers. Nous développons des outils technologiques (via des macros Excel et/ou avec le Power Bi) qui accroissent notre efficacité et notre efficience dans les audits. Toutes ces améliorations permettent finalement aux commissaires aux comptes de se concentrer davantage sur des objets à forte valeur ajoutée pour le client pour émettre ses recommandations sur le contrôle interne et sur les risques significatifs auxquels ses clients sont exposés.
Quelles sont les évolutions majeures opérées ces dernières années dans les missions de l’expert-comptable ?
La profession connait des évolutions majeures depuis quelques années. Celles-ci ont été accélérées par la crise sanitaire COVID 19. Il y a un bouleversement de notre profession en raison notamment des innovations technologiques, de l’évolution de l’environnement juridique, de la réglementation professionnelle, de la prise en compte du GDPR (« General Data Protection Regulation »), du défi des ressources humaines et des nouvelles attentes des clients. Ces évolutions modifient fortement la mission traditionnelle de l’expert-comptable et le pousse à se réinventer pour maintenir sa position. Le métier de commissaire aux comptes est quant à lui « challengé » par le manque de ressources humaines. La profession peine à attirer les jeunes professionnels désireux d’acquérir rapidement des connaissances et compétences approfondies en finance et comptabilité. Cependant les ordres des experts comptables et des commissaires aux comptes, à travers des commissions dédiées, continuent sans cesse de proposer des solutions pour maintenir des ressources suffisantes pour la profession. Aussi, des professionnels, comme HACA Partners, proposent des cursus polyvalents permettant aux jeunes d’être exposés à tous nos métiers pendant quelques temps afin d’attiser leur curiosité et de s’épanouir intellectuellement. L’«outsourcing » est également un élément majeur sur lequel jouent les grands cabinets d’audit et de conseil pour gérer les problèmes de ressources. Ce phénomène, qui nécessite un investissement important sur la formation et l’accompagnement, devrait se démocratiser dans les cabinets de taille humaine.
Les experts-comptables sont de plus en plus confrontés à l’économie numérique et à la portée des échanges de l’information. Comment doivent-ils appréhender ces nouveaux défis ?
L’exploitation du big data est un défi majeur pour les experts-comptables. Nous recevons énormément d’informations de toute sorte qui doivent être traitées de façon fiable en prenant en compte toutes les contraintes réglementaires nouvelles. En pratique, il est nécessaire pour les experts-comptables de prendre conscience du virage numérique qui s’opère en poursuivant une formation professionnelle continue. L’objectif pour le professionnel est d’être en mesure de répondre aux besoins des clients en disposant des compétences suivantes : une expertise approfondie sur le domaine de la data, une capacité à exploiter la base de données pour en tirer des informations utiles, une capacité à proposer une offre conseil adaptée et proportionnée…
Certains pensent que l’expert-comptable doit être un business partner de l’entreprise, notamment en l’accompagnant dans toutes les étapes de son développement. Est-ce également votre avis ?
L’expert-comptable est véritablement le bras droit du dirigeant. Il l’accompagne dans toutes les étapes de la vie de la société (création, reprise, croissance, transmission…) avec un devoir de conseil dans ses prises de décisions clés, une anticipation des difficultés de l’entreprise, le pilotage de l’activité, le recrutement de personnel clé, le respect des dispositions légales et réglementaires applicables… C’est un partenaire privilégié qui permet au dirigeant de se concentrer sur son cœur de métier tout en disposant d’une personne référence pour répondre à ses besoins. Au-delà du confort qu’il donne sur la fiabilité des informations financières et le respect des lois et règlements sur les volets fiscal et social et juridique, l’expert-comptable peut notamment accompagner le dirigeant sur sa stratégie d’entreprise en utilisant notamment les principaux outils opérationnels de business intelligence existant sur le marché que sont Power BI et Tableau Software.
Quel sera l’avenir de la profession face au traitement 100 % automatisé d’une comptabilité, grâce au développement de l’intelligence artificielle et du big data ?
Le métier se transforme de plus en plus et impose à l’expert-comptable une reconfiguration des compétences en alliant les connaissances théoriques aux capacités d’ingénierie et de leadership afin de proposer des missions à forte valeur ajoutée. Le digital doit être un vecteur de productivité pour permettre au professionnel de faire évoluer son offre vers le conseil, l’accompagnement du dirigeant dans les prises de décisions, le regulatory & compliance, l’expertise data… L’automatisation devrait être au service de l’expert-comptable. Je suis convaincu que malgré les évolutions technologiques, le professionnel restera un élément clé de l’environnement économique et sa position demeurera incontournable dans la confiance des différentes parties prenantes. La donnée est certes perçue comme le moteur du pilotage des stratégies et des opérations de l’entreprise. Il faut, cependant, savoir l’exploiter à bon escient et l’expert-comptable est dans ce contexte le professionnel le mieux placé pour accompagner les dirigeants.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – ©Magazine BUSINESS AFRICA