« Le Private Equity a toute sa place en Afrique » Nouss BIH, Directrice du Private Equity à SAHEL CAPITAL
Avant de rejoindre SAHEL CAPITAL en Octobre 2022, Nouss BIH était responsable des activités d’investissement en Côte d’Ivoire pour Investisseurs & Partenaires (I&P). Auparavant, elle a passé quatre années en banque d’investissement au Chili, où elle travaillait à la structuration de prêts de crédit à l’exportation et de facilités de trade finance pour de grandes entreprises. Nouss BIH est détentrice d’un MBA de Saïd Business School (Université d’Oxford), et d’un Master en management de l’ESCP Business School (Paris).
Quelles sont les activités de Sahel Capital et quel secteur cible-t-il ?
Sahel Capital est un fonds d’investissement spécialisé dans l’industrie agroalimentaire en Afrique de l’Ouest. Nous ciblons des entreprises sur l’ensemble de la chaîne de valeur agroalimentaire, depuis la production et la transformation, jusqu’à la distribution et la logistique, le packaging et le recyclage, ou encore la production d’intrants et l’agriculture de pointe. Nous avons un intérêt tout particulier pour les entreprises produisant des protéines animales (élevage, aviculture) et à celles commercialisant des produits finis. Sahel Capital est actif historiquement dans l’investissement en capital, et depuis 2021, dans le financement par dette à travers le fonds SEFAA couvrant 13 pays en Afrique de l’Ouest et de l’Est. Ce fonds a la particularité de cibler des entreprises comptant dans leur chaîne d’approvisionnement des réseaux de petits producteurs.
Le Private Equity est encore balbutiant en Afrique francophone, à quoi selon vous peut-on attribuer ce retard ? L’instrument est-il adapté aux environnements économiques africains ?
Le Private Equity a connu un développement significatif en Afrique francophone au cours des dernières décennies. Plusieurs fonds sont actifs dans toute la région avec une présence sur la place d’Abidjan. Cependant, la zone accuse toujours d’un retard comparé à nos confrères d’Afrique anglophone. Cela est dû à un déficit en termes d’offre et de demande : d’une part, les investisseurs institutionnels qui s’intéressent à l’Afrique francophone sont aujourd’hui moins nombreux ou allouent une part moins importante de capital à cette zone, or ce sont aujourd’hui les principales sources de financement pour les fonds opérant dans cette classe d’actif. Cela peut s’expliquer par une moins bonne familiarité de certains acteurs, un manque de de références, et aussi par une perception du risque qui peut paraître plus élevée (risque terroriste, instabilité politique…). Par ailleurs, certains investisseurs peuvent voir notre région comme étant assez fragmentée, avec plusieurs pays ayant des tailles de marché modestes, notamment lorsqu’ils les comparent à des économies comme le Nigeria ou encore le Kenya qui ont des marchés intérieurs plus larges et des systèmes financiers développés. Cependant, une connaissance plus fine de la région, par exemple via une présence ou des relais locaux, permettrait d’améliorer cette perception, en mettant en avant des atouts tels que l’intégration qu’offre une zone comme l’UEMOA, ou l’intérêt de diversifier ses risques. D’autre part, il existe un certain déficit au niveau de la demande : bien que la croissance de nos économies offre de nombreuses opportunités d’investissement dans des entreprises à fort potentiel existe, on constate que beaucoup de cibles ne sont pas encore prêtes pour un investissement en equity, qui requiert par exemple, de la rigueur dans la qualité de l’information financière, ou la mise en place de certaines procédures. Le temps de préparation à « l’investment readiness » pour les PMEs moyennes rend plus lent les processus d’instruction, ou mènent à une concentration des acteurs du private equity sur des cibles de taille plus importantes et au profil plus mature. Néanmoins, l’intérêt croissant des investisseurs montre que cette classe d’actifs a largement sa place sur le continent.
Il semble que les entreprises africaines privilégient la dette à l’equity, pourquoi ? le facteur culturel est-il une des explications ?
Le constat que le recours à la dette est encore très fréquent en Afrique est bien réel, mais plutôt qu’un facteur culturel, il s’explique par le fait que les PMEs africaines ont encore une connaissance relativement limitée de ce mode de financement. Les fonds de Private Equity sont moins nombreux que les acteurs du financement bancaire, et les volumes de financement sont moins conséquents ; cela est sans surprise, puisque le Private Equity consiste à prendre des participations au capital des entreprises, et assume donc une part de risque plus importante. Il s’agit d’une classe d’actif sélective qui requiert une grande confidentialité, dû à la nature des opérations. Néanmoins, pour élargir le nombre de cibles potentielle et permettre un accès plus important des PMEs à ce mode de financement susceptible d’accélérer leur croissance, il est important que les fonds de private equity continuent à faire un travail d’éducation. Une communication accrue et une plus grande visibilité dans les communautés d’affaires contribueraient à faire mieux se rencontrer l’offre et la demande, et cette tendance est en cours grâce à la présence d’équipes locales de fonds de capital investissement.
Selon vous, quelles réformes majeures faudra t-il adopter pour véritablement promouvoir le Private Equity en Afrique ?
Pour que le Private Equity puisse réellement se développer en Afrique, il est essentiel que les sources de financement se diversifient, et qu’elles proviennent de plus en plus d’investisseurs institutionnels nationaux ou régionaux (compagnies d’assurance, fonds de pension, grands corporates, personnes fortunés…). Ces acteurs locaux disposent de ressources à long terme, ont un appétit pour le risque local ou un besoin de diversifier leurs actifs dans un environnement sous-régional. Ils disposent surtout d’une connaissance des réalités de leurs pays, et d’une ambition forte de développer le secteur privé. Pour impliquer plus d’acteurs, il faut mettre en place des mesures incitatives ou lever des barrières réglementaires. Par exemple, au Nigéria, une nouvelle réglementation a permis aux fonds de pension d’investir jusqu’à 5% de leurs actifs dans des fonds de capital investissement, et selon une étude réalisée par l’AVCA en 2021, près de 75% des fonds de pension locaux comptaient maintenir ou accélérer leur investissement dans des fonds (de l’ordre de 0.3% à fin 2020). En zone UEMOA, l’amélioration du cadre réglementaire et fiscal, notamment en ce qui concerne grâce à l’exécution des décisions portant sur le statut des sociétés de capital investissement, seraient de nature à favoriser l’investissement local.
En tant que responsable de fonds de Private Equity basé en Afrique, quels sont, selon vous les principaux risques liés à ce type d’investissement sur le continent africain ?
Nous mesurons le succès de nos investissements tout d’abord par la performance de nos entreprises en portefeuille. Or, celles-ci opèrent dans des environnements avec beaucoup d’obstacles : on peut citer l’environnement réglementaire, le niveau élevé de l’informalité et les difficultés opérationnelles et des conséquences concurrentielles que cela implique, les défis liés au capital humain ou encore, l’accès aux marchés et la disponibilité du financement en fonds de roulement. Pour atteindre les meilleurs résultats, les fonds de Private Equity doivent évaluer au mieux ce type de risques, comprendre comment les entreprises peuvent les mitiger et accompagner les plus prometteuses à relever ce défi. Cela implique de miser sur le bon entrepreneur, notamment pour les fonds investissant des parts minoritaires : celui ou celle qui saura exécuter la vision et prendre les décisions adéquates pour le succès de l’entreprise. Enfin une zone de risque importante concerne la liquidité des investissements lors de la sortie. Trouver des opportunités de sortie assurant la rentabilité d’un fonds fait partie des principales préoccupations d’un gestionnaire de fonds, et les options de sortie sont en constante évolution sur le continent.
Quel est votre sentiment sur les perspectives de développement du Private Equity en Afrique, avec les multiples contraintes et l’impact de la crise internationale sur le secteur financier ?
Malgré de nombreux défis, le Private Equity est une classe d’actifs qui a de l’avenir en Afrique. Le financement en capital est essentiel pour accélérer le développement de nos futurs champions nationaux qui doivent pouvoir bénéficier des opportunités de croissance du continent africain, comme il l’a été dans des géographies plus matures. Pour cela, il faut que l’environnement soit suffisamment attractif pour mobiliser des sources de financement diversifiées, de plus en plus de capital domestique et adapté aux contraintes propres aux marchés africains et aux secteurs avec le plus de potentiel, notamment en termes d’horizon de vie des fonds. Le contexte de crise financière globale nous montre une fois de plus que la volatilité sur les marchés peut orienter les investisseurs des marchés émergents vers des marchés plus matures et vice-versa, renforçant le besoin d’avoir des ressources stables, locales sur du long terme, qui pourront toujours être déployées conjointement avec du financement international provenant d’institutions avec un mandat de développement ou d’autres acteurs internationaux.
Propos recueillis par A.C. DIALLO – © Magazine BUSINESS AFRICA