ANALYSE

Me GACKO décrypte les défis de l’arbitrage en Afrique

Inscrit au Barreau de Paris depuis 2015 et collaborateur senior au sein du bureau parisien de DLA Piper depuis 2017, Mamadou GACKO pratique l’arbitrage international depuis dix ans.
Agissant en qualité de conseil pour le compte d’États, entités publiques, organisations internationales et entités privées dans des procédures arbitrales notamment régies par les règlements CCI et CNUDCI, il intervient également devant les juridictions françaises et de l’espace OHADA dans le cadre de procédures liées à l’annulation, ou à la reconnaissance et l’exécution de sentences arbitrales.
Son activité est très largement orientée vers l’Afrique francophone et implique régulièrement une clientèle africaine ou des activités se déroulant sur le continent.
Sa pratique inclut, par ailleurs, une importante activité pro bono, notamment au sein de l’Asylum Clinic de DLA Piper.

Quel est le mécanisme de l’arbitrage, pouvez-vous nous l’expliquer en quelques mots ?

L’arbitrage est une technique de résolution de litiges pouvant opposer deux ou plusieurs parties, qui peuvent être des États, entités publiques, organisations internationales ou personnes privées. C’est une justice privée et consensuelle, alternative à la justice étatique.
Il s’agit en fait pour les parties de demander à un ou plusieurs tiers, appelés arbitres et spécialement nommés pour l’occasion, de trancher des questions litigieuses. Ces arbitres sont directement choisis pour leurs compétences juridiques ou techniques, ce qui permet d’avoir toujours un tribunal adapté aux besoins spécifiques d’une affaire.
C’est là l’un des attraits les plus importants de l’arbitrage.
L’arbitrage est souvent prévu dans le contrat liant les parties par le biais d’une clause dite compromissoire, ou encore dans un instrument juridique relatif aux investissements (code d’investissement, traité bilatéral ou multilatéral d’investissement). Plus rarement, les parties vont convenir un accord d’arbitrage spécifique après la naissance du litige.
On parle alors de compromis d’arbitrage. Lorsqu’ensuite un litige survient et que les arbitres sont désignés, ils organisent un véritable procès à l’issue duquel ils rendent une décision qu’on appelle sentence arbitrale.
Dans la très grande majorité des États, on reconnaît à la sentence arbitrale la même valeur qu’un jugement.
Ainsi, lorsque la partie condamnée n’exécute pas spontanément la sentence arbitrale, il est possible de solliciter l’assistance d’un État pour en obtenir l’exécution forcée, notamment par la pratique de saisies sur les biens de la partie condamnée. Cela garantit une véritable efficacité à l’arbitrage.

A quoi attribuez-vous ce regain d’intérêt pour l’arbitrage sur le continent africain ?

Les statistiques publiées par les plus grandes institutions d’arbitrage confirment en effet l’augmentation continue du nombre d’arbitrages impliquant des entités ou activités africaines.
On peut l’attribuer à plusieurs facteurs. Il y a d’abord une évolution de l’environnement juridique africain, avec un principe de faveur à l’arbitrage qui se développe sur le continent.
42 des 54 États africains sont parties à la Convention des Nations Unies pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères et 46 d’entre eux le sont à la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, dite Convention CIRDI. Ensuite, beaucoup d’États africains ont très récemment mis en place des législations d’arbitrage modernes.
On peut citer à titre d’exemple les textes réglementant l’arbitrage dans l’espace OHADA dont les dernières versions, qui datent de 2017, incluent des dispositifs innovants qui vont au-delà de tout ce qu’on peut trouver ailleurs.
Il y a enfin la croissance économique soutenue que connaissent plusieurs États africains depuis plusieurs années et le développement du commerce intra-africain.
Ces deux éléments plus conjoncturels engendrent une augmentation des contentieux économiques, y compris liés aux investissements directs étrangers, que l’arbitrage est censé régler plus efficacement que la justice étatique.

Y a-t-il une spécificité africaine dans la procédure arbitrale ?

Il est difficile d’identifier une « spécificité africaine » dans la conduite d’une procédure arbitrale, dans la mesure où, en Afrique comme ailleurs, les textes applicables à l’arbitrage s’inspirent souvent de modèles et standards internationalement acceptés.
S’il faut malgré tout identifier une spécificité africaine ayant trait à l’arbitrage, on peut penser au très faible nombre de conseils et arbitres africains impliqués dans les arbitrages impliquant une partie africaine. Ces praticiens africains sont encore plus rares, voire inexistants, lorsque l’arbitrage n’implique aucune partie africaine, alors qu’à l’inverse, il est fréquent de voir des praticiens français, anglais ou suisses dans des affaires « africaines » n’ayant aucun lien avec leur pays d’exercice.
Il y a toutefois, depuis quelques années, une plus grande prise de conscience de cette problématique par la communauté des arbitragistes.
Les efforts effectués, notamment par des institutions d’arbitrage comme la CCI, permettent déjà une meilleure représentativité.
Il faudra encore poursuivre et intensifier les efforts, notamment de la part des parties africaines même, qui sont souvent enclines à privilégier une expertise occidentale que locale.

Existe-t-il selon vous, un lien entre le recours à l’arbitrage et le volume d’investissement qu’un pays reçoit ?

Il y a sans doute une corrélation à établir entre ces deux facteurs, s’agissant de l’arbitrage international.
Les investisseurs étrangers cherchant à calibrer leur investissement afin de se protéger autant que possibles des risques, notamment juridiques, ils préfèreront sans doute recourir à l’arbitrage plutôt qu’aux juridictions de l’État d’accueil, qu’on peut légitimement soupçonner d’une tendance à faire prévaloir les intérêts de l’État, au détriment de ceux de l’investisseur.
Les études disponibles tendent ainsi à établir que le fait pour un État de proposer un accès à un mécanisme de règlement arbitral des différends en matière d’investissements internationaux a un effet positif et significatif sur les flux d’investissement qu’il reçoit.
Au-delà, un investissement direct étranger implique régulièrement le développement d’activités et de relations commerciales avec plusieurs acteurs économiques, qui peuvent toujours déboucher sur un contentieux que l’investisseur préfèrera alors régler par la voie de l’arbitrage.

Pensez-vous que l’arbitrage a encore des marges de progression en Afrique ?

Les marges de progression de l’arbitrage en Afrique sont exponentielles. L’arbitrage n’en est encore qu’à des balbutiements dans plusieurs États africains. Et l’augmentation continue des investissements sur le continent génèrera son lot de contentieux économiques et commerciaux et, donc, d’arbitrages, au-delà des secteurs classiques des infrastructures et des projets miniers et d’énergie. Cette progression de l’arbitrage n’ira pas sans des défis qu’il faudra dépasser pour les États et praticiens africains. Cela exigera d’abord de développer, promouvoir et renforcer des institutions africaines d’arbitrage choisies.
Par exemple, il existe des institutions déjà bien établies tels que le CRCICA en Égypte, la CCJA en Côte d’Ivoire, l’AFSA en Afrique du Sud, le KIAC au Rwanda qui pourraient devenir des institutions majeures sur les plans régional et international et, dans certaines configurations, passer comme des choix plus appropriés que des institutions plus importantes telles que la CCI ou la LCIA.
Il faudra encore lutter activement contre la perception, jamais étayée, que le continent manquerait de praticiens disposant des compétences et ressources nécessaires pour participer à une procédure arbitrale.
En outre, il faudra développer une véritable politique d’accueil de l’arbitrage qui encouragera les acteurs, y compris étrangers, à choisir des sièges, conseils et institutions du continent africain chaque fois que ce choix sera approprié. Cela implique par exemple de faciliter l’obtention de visas, de permettre aux conseils étrangers de plaider dans de telles procédures, d’encourager la collaboration entre cabinets étrangers et locaux, d’ouvrir un accès facilité au juge local lorsque nécessaire, de sensibiliser justement les services judiciaires aux spécificités de l’arbitrage, de disposer de structures permettant l’organisation d’audiences d’arbitrages et de services performants de sténotypie et d’interprétariat, etc. En réalité, c’est toute une politique de développement de l’arbitrage qui doit être mise en œuvre.
Des associations de praticiens, telles que l’Association africaine pour l’arbitrage (AfAA) ou AfricArb, et des institutions d’arbitrage comme la CCI font déjà un travail important dans ce sens.
Toutefois, ce ne sera sans doute pas suffisant sans une plus grande implication des États.

Quelles sont les limites d’une procédure arbitrale ?

Il y a d’abord les limites fixées par la loi, on ne peut aller à l’arbitrage sur tous les sujets.
Par exemple, les questions fiscales ou pénales, d’état des personnes (mariage, filiation ou divorce) ne peuvent pas faire l’objet d’un arbitrage.
Il y a par ailleurs des limites qui tiennent à la nature même de l’arbitrage.
Je vais là encore vous donner quelques exemples.
L’arbitrage étant privé et payant, il peut s’avérer (trop) coûteux pour certaines parties, même s’il existe de plus en plus de solutions de financement par des tiers.
En outre, en allant à l’arbitrage, les parties demandent aux arbitres de trancher définitivement leur litige.
Aussi, la plupart des lois sur l’arbitrage prévoient qu’en principe, les parties ne peuvent pas faire appel de la sentence rendue par les arbitres, ce qui signifient qu’elles doivent accepter le risque d’une mauvaise décision.
L’arbitrage n’est donc pas nécessairement approprié pour toutes les situations, même s’il est indéniable qu’il est particulièrement adapté au règlement des litiges économiques et commerciaux, notamment parce qu’il offre des gages de célérité, de neutralité et d’efficacité.

Propos recueillis par A.C. DIALLO

© Magazine BUSINESS AFRICA

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