Bineta SY, est la directrice générale de MSC SENEGAL & MALI, elle nous fait l’honneur de raconter son parcours et nous livre ses sentiments sur l’évolution du management féminin en Afrique en général et au Sénégal en particulier.
Pour commencer, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours académique et professionnel ?
Après un Bac B à Tours en France, et un passage à l’internat, j’avais, beaucoup hésité dans mes choix post bac et c’est ainsi que je me suis retrouvée étudiante à l’UQAH devenue aujourd’hui UQAO, avec un BAA (Baccalauréat en administration des affaires) avec lequel, j’ai pu me familiariser à la gestion.
De retour au Sénégal, j’ai intégré la petite société familiale de bureautique. J’ai également acquis une expérience en courtage d’assurance.
Mais je me suis rendu compte qu’avoir son Papa comme patron, me m’était très mal à l’aise avec un sentiment de ne pas être évalué à sa juste valeur.
C’est ainsi que je me suis retrouvée stagiaire au département commercial de SDV Sénégal. Ces premiers pas dans le secteur maritime m’ont menée jusqu’à ce poste que j’occupe actuellement au sein du groupe MSC.
Durant mon parcours, j’ai eu l’opportunité de suivre des formations dans le domaine de la négociation commerciale, ce qui m’a permis d’apprécier mes capacités à dialoguer ou vendre.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le management féminin en Afrique et plus spécifiquement au Sénégal ? Pensez-vous que les femmes sont promues sur les mêmes critères que les hommes, aux fonctions managériales ?
Malgré les stéréotypes sur la femme, souvent perçue comme mère et épouse, la femme sénégalaise est toujours cantonnée à une fonction de “reproduction” et à des tâches domestiques.
Par ailleurs, du fait de la crise économique, les femmes deviennent de plus en plus entrepreneur par nécessité mais essentiellement dans des petits business et le plus souvent dans l’informel.
Le management féminin fait face à beaucoup d’obstacles car les femmes doivent d’abord être autonomes, elles doivent « briser le plafond de verre » et être plus opportunistes, sachant que dans ce monde en bouleversement il est reconnu que l’Afrique est le continent de l’avenir.
La femme africaine a un immense potentiel, du fait de son dynamisme en tant qu’agent économique. Toutefois, je constate un grand fossé entre les pays anglophones et francophones. Au Sénégal malgré la loi sur la parité le chemin est encore long pour atteindre, ne serait-ce que, l’égalité des salaires à profil et poste comparable.
Le manque d’un vivier suffisant de femmes cadres peut expliquer cette
inégalité de promotion aux fonctions managériales.
Nonobstant ce que je viens de souligner, nous avons une élite féminine jouissant d’une excellente formation qui pourrait faire bouger les lignes et rendre la société moins patriarcale.
Pour qu’ait lieu un boom du leadership féminin, en Afrique, et particulièrement au Sénégal, il serait judicieux que nous les femmes, soyons plus solidaires et plus courageuses dans nos choix de formation et de métier.
Vous êtes aujourd’hui à la tête de deux filiales d’une entreprise multinationale de renom dans le transport et la logistique. Dans vos fonctions de manager, pensez-vous que le fait d’être une femme est un atout ou un handicap ?
Ceci peut être un atout comme un handicap. Comme mentionné précédemment, la femme au Sénégal n’est pas prise au sérieux, et ses capacités managériales, en dehors du domicile familiale, sont inexistantes.
Evoluant dans une industrie (le transport maritime) longtemps réservée aux hommes, être une femme peut être considéré comme un handicap.
En revanche, si l’on tient compte du mode de management que je pratique, dont l’approche est basée sur l’écoute, la confiance et la valorisation et qui fait que mes employés évoluent dans un environnement de confiance, leur donnant envie de rester et d’évoluer, le fait d’être une femme est plutôt un atout.
Quelles sont, d’après vous, les spécificités du management féminin ?
Selon moi, c’est un management collaboratif axé sur le développement des équipes et sur l’écoute. Ainsi la femme leader gagne la confiance de ses collaborateurs.
Le management féminin donne priorité à la motivation et à la créativité c’est-à-dire à une meilleure gestion qui profite plus à la compagnie qu’une recherche de pouvoir car prenant moins de risques.
Avec les responsabilités qui sont les vôtres, comment arrivez-vous à concilier vie professionnelle et vie familiale ?
Comme toute femme moderne, concilier à la fois un métier très intéressant et une vie de famille est tout à fait possible, même si de temps à autre, on est amené à faire un choix au même titre qu’un homme.
C’est un long chemin avec des absences de part et d’autre mais j’ose espérer que malgré ma carrière mais enfants n’ont, un temps soit peu, jamais ressenti l’absence de leur mère.
Comment faire, selon vous, pour accroitre le nombre des femmes dans le Top management en Afrique ? La discrimination positive est-elle une bonne solution ?
Les femmes ne doivent plus se limiter qu’à un seul secteur et il faudrait améliorer l’accès à l’éducation.
Pour ce qui est de la discrimination positive le patronat sénégalais n’en est pas encore à ce stade. De ce fait, la question de savoir si la discrimination positive est une bonne solution, ne se pose pas pour l’instant.
En revanche, il vaudrait mieux se pencher sur la mise en application des égalités salariales entre les genres, pour laquelle une loi a été voté mais toujours pas mise en pratique.
L’expérience du Covid19 a démontré que les pays où la situation fut mieux gérée étaient dirigés par des femmes, comme la Finlande, la Nouvelle Zélande, l’Islande, ou l’Allemagne. Les femmes sont-elles meilleurs managers en situation de crise ?
Ceci est le paradoxe du genre et la gestion de la pandémie n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Les femmes dirigeantes ont été plus à l’aise grâce à leur style de communication et encore une fois une gestion collective et collaborative. Donc je dirais bien que les femmes sont bien meilleures que les hommes en situation de crise par ce fort instinct maternel et de survie.
Propos recueillis par A.C. DIALLO
© Magazine BUSINESS AFRICA – Mai 2022