Leader mondial des services professionnels dans le monde avec une forte implantation au Bénin depuis 2006, Deloitte Bénin contribue, à travers ses conseils, directement ou indirectement, à l’amélioration des performances économiques du Bénin. Dans son rôle de Conseil couplé à celui de « diffuseur » d’outils directement opérationnels pour ses clients, Deloitte Bénin accompagne les acteurs de l’économie béninoise à savoir le secteur public, le secteur privé, les partenaires au développement, les start-ups et PME. Managing Partner de Deloitte Bénin, Fabrice COMLAN a rejoint la firme en 2019 et cumule aujourd’hui trois fonctions. Il est Associé-Gérant de Deloitte Bénin en charge de diriger et de gérer les opérations du bureau ainsi que son orientation stratégique globale et sa croissance dans le pays. Il est également l’Associé en charge des métiers du conseil, responsable de leur croissance sur les marchés du Togo, Bénin et Niger. Et enfin, c’est lui qui porte l’offre de service conseil en Capital Humain sur le périmètre Afrique Francophone. INTERVIEW
Quelle est votre appréciation globale de la fonction RH en Afrique ? A-t-elle évolué ? Existe-t-il des spécificités africaines dans ce métier ?
D’une manière générale, la fonction RH a connu de fortes évolutions au cours des dernières années, et celles-ci se sont bien évidemment accrues dans le contexte de la pandémie que nous vivons. Elle a beaucoup évolué, elle assure désormais un rôle plus stratégique et d’interface entre la Direction et les autres fonctions de l’entreprise. Elle s’est principalement structurée autour de thématiques touchant à la culture d’entreprise, la GPEC, la transformation organisationnelle, la gestion du changement et l’expérience collaborateur, mais aussi s’est professionnalisée avec le temps ; elle s’est surtout renforcée avec des outils RH digitaux performants garantissant une information fiable, sécurisée, en temps réel et favorisant une meilleure prise de décision liée à la gestion du Capital humain. Bien entendu, l’évolution et la maturité de la fonction RH demeurent encore très hétérogènes selon qu’on s’adresse à un groupe international présent en Afrique, à un champion africain, une PME locale ou encore à une institution publique.
Quelques spécificités subsistent également et sont notamment inhérentes au continent et à la population que cette fonction RH coordonne. Elles impliquent ainsi une adaptation face au déficit rencontré de compétences sur certains métiers et/ou secteurs en Afrique, mais aussi face aux habitudes culturelles et attentes managériales locales qui peuvent influer sur l’exercice de la fonction. Malgré les disparités et inégalités dans son rythme de déploiement au sein des organisations en Afrique, elle représente le socle de soutien aux objectifs de l’entreprise, à mesure que les défis et les enjeux se précisent sur le continent.
Selon vous, la fonction RH est-elle stratégique ou opérationnelle ?
A mon avis, elle revêt ces deux dimensions qui sont en définitive indissociables : Stratégique car elle se doit d’être alignée avec la vision et l’ambition plus globale de l’entreprise. Opérationnelle car elle définit, coordonne et fait vivre la politique RH au travers d’actions très concrètes. Elle sert de catalyseur pour définir un modèle organisationnel performant, créateur de valeur, essentiellement dédié au développement du capital humain, principale ressource de toute organisation. En ce sens, elle est clairement un maillon essentiel d’une stratégie plus globale. D’un autre côté, elle est l’instrument privilégié pour assurer une déclinaison des orientations stratégiques en décisions quotidiennes garantissant à la fois la performance économique (productivité) et sociale (épanouissement, bien-être des travailleurs) au sein de l’entreprise. En ce sens, elle est un maillon-clé du dispositif opérationnel de l’entreprise. Toutefois, il faut aussi souligner que cette fonction en entreprise prendra l’orientation que lui donnera l’équipe de Management. Par conséquent, elle pourrait être plus stratégique qu’opérationnelle si cette dernière accorde une plus grande importance aux aspects Talents/RH dans la réussite de l’atteinte des objectifs de l’entreprise et vice versa.
Parmi les champs de mission des DRH, laquelle vous parait cruciale ?
Les missions des DRH doivent à la fois avoir de l’impact sur le business, mais aussi garantir la rétention et la consolidation des talents dans l’entreprise. Veiller à l’engagement des collaborateurs, à leur adhésion aux valeurs, à la culture et aux métiers de l’entreprise me semble crucial. Toutefois, je pense fortement que les DRH doivent devenir de vrais « Business Partner/ HRBP » ; comprendre leur secteur d’activité, ses défis, opportunités et tendances d’avenir. Ils doivent pouvoir parler le langage des affaires, être capables de faire, démontrer le lien entre le Capital humain et la performance organisationnelle ; dans certains cas le lien avec les profits / le « Bottom line » ; pour ce faire, ils doivent pouvoir prouver, démontrer par des arguments quantitatifs et qualitatifs aux dirigeants qu’investir dans le capital humain est profitable. Je pense que c’est la seule façon pour eux de gagner leur légitimité et par la même occasion, obtenir les moyens et le soutien nécessaires pour la mise en œuvre de la stratégie RH en entreprise.
En Afrique francophone et particulièrement au Bénin, pensez-vous que les entreprises ont pris conscience de l’importance du rôle de la GRH ?
Oui, un virage très important s’est opéré. Pour illustrer mes propos, il y a une étude très intéressante que notre firme mène chaque année en collaboration avec l’Africa CEO Forum ; cette dernière est faite auprès de plus de 200 CEO africains, elle permet d’analyser et de restituer la situation actuelle du secteur économique africain ainsi que la vision de ses dirigeants. L’étude interroge les dirigeants africains sur 6 thématiques – stratégie, gouvernance, finance, innovation, impact et talents/capital humain. Dans la dernière édition (2020), sur le volet capital humain, les principales problématiques RH rencontrées par les CEOs africains demeuraient le manque et/ou l’inadéquation des compétences des candidats pour les postes proposés (selon 44% des répondants). Le recrutement de profils expérimentés apparaissait comme particulièrement critique pour les dirigeants interrogés. Plus spécifiquement, leurs principales problématiques en termes de recrutement de talents se situaient aux échelons du middle (35% des répondants) et top management (24% des répondants), ainsi que des fonctions techniques (19% des répondants). Tout ceci pour dire que le sujet talents est dorénavant à l’agenda des dirigeants africains et par conséquent le rôle de la GRH s’est vu transformé. Au Bénin en particulier, les considérations de gestion administrative du personnel laissent de plus en plus place à la gestion des compétences, la planification des effectifs et la gestion des performances. L’un des premiers acteurs de cette dynamique évolutive est l’Etat béninois qui, dès les années 2000 a introduit dans la stratégie de gestion du personnel de l’Etat, la GPEC. En effet, déjà en 1994, les recommandations issues des états généraux de la fonction publique et de la modernisation de l’Administration tenus à Cotonou ont insisté sur la rationalisation, la stabilisation des structures et la promotion du développement des Ressources Humaines. Ces états généraux ont montré la nécessité pour tous les ministères et institutions de l’Etat de recentrer leurs actions sur la planification stratégique des ressources humaines en se dotant d’outils modernes de gestion. C’est l’introduction de la GPEC dans l’administration publique. Dans le secteur privé, la situation n’est pas univoque mais elle est largement plus professionnalisée et plus stable. De nombreuses entreprises investissent massivement dans la professionnalisation de leurs experts en ressources humaines et mettent en place des structures organisationnelles qui valorisent le positionnement de la fonction RH et permet au top management d’implémenter les lignes directrices des sous-fonctions critiques telles que l’acquisition des talents, le développement des compétences, la rémunération et la stratégie d’engagement et de motivation. Dans le même temps, il y a encore de nombreuses PME qui essaient de faire leurs premiers pas avec une remise en question des règles traditionnelles de GRH et une recherche constante d’adaptation et d’agilité pour répondre aux exigences du moment (défis économiques, Covid, travail à distance, etc.). Ces problématiques sont d’autant bien comprises qu’il a été mis en place depuis 2008 au Bénin une Association Nationale des Professionnels en GRH du Bénin. Cette dynamique est présente dans la plupart des autres pays d’Afrique francophone avec pour mission de professionnaliser la fonction et de créer un cadre de concertation et de codéveloppement entre professionnels RH. C’est aussi un creuset pour assurer la promotion de la fonction RH à travers une communauté d’apprentissage et un réseau d’entraide. Ces facteurs cumulés ont pour impact à moyen terme, de mieux faire connaître la fonction RH mais également de bâtir une fondation solide pour les années à venir en Afrique francophone.
Quelles sont les problématiques auxquelles les DRH africains font face ? Et comment y remédier ?
Au cours de plusieurs échanges avec des DRH en Afrique francophone, j’ai remarqué que la problématique principale qui revenait très souvent était celle des compétences : où les trouver, comment les recruter, les fidéliser et les développer en continu pour assurer une transmission intergénérationnelle. Autant de questions qui constituent le quotidien des DRH dans leur appréhension de la GPEC. Les entreprises doivent régulièrement actualiser leur cartographie, ou référentiel de compétences de sorte à toujours avoir en tête les compétences à la fois critiques et rares. Cette première information est capitale pour savoir ensuite anticiper sur leur gestion au travers de parcours personnalisés et bien entendu accompagner durablement l’entreprise dans sa performance business. Une des autres problématiques est évidemment celle de la transformation digitale des RH, inéluctable et très avantageuse. Bénéficier d’informations fiables, en temps réel pour eux et pour l’ensemble des collaborateurs est un élément différenciant sur le marché dont peu d’entreprises peuvent faire l’économie si elles veulent atteindre la performance de nos jours. Ces problématiques sont réelles, mais leur prise en main relève aussi et surtout de la capacité des DRH à être de réels acteurs du changement au sein de l’organisation.
Quels impacts la pandémie de la Covid19 a-t-elle eu sur la fonction RH, spécifiquement en Afrique ?
En Afrique, comme finalement ailleurs dans le monde, la fonction RH aura vécu un momentum unique. A la fois garant de l’engagement des collaborateurs, de leur qualité de vie au travail, mais également au domicile puisque le lieu de travail a lui aussi muté, la fonction RH s’est retrouvée très exposée. Nombreux DRH ont fait preuve d’une grande agilité pour répondre aux premières inquiétudes des collaborateurs, pour rapidement mettre en place le télétravail, ou la sécurité sur site dans les sociétés industrielles où le travail à distance n’était pas une réalité. Le Middle Management a aussi eu besoin de beaucoup d’accompagnement pour faire face à ces changements. Il fallait repenser les modèles de gestion des équipes, des modes de suivi et d’évaluation de la performance, outiller les Managers dans la gestion du stress et des nombreux cas de dépression enregistrés chez les collaborateurs. Clairement, si ce n’était pas déjà fait, la fonction RH est sortie de l’ombre dans cette période de pandémie. Si elle avait déjà sa place bien entendu dans l’organisation, elle s’est vue consacrée comme un levier incontournable de performance et de maintien du business au cours de cette pandémie.
Le digital est devenu aujourd’hui incontournable, quel peut être son apport dans la GRH en Afrique ?
Je le redis, la GRH est un vrai levier de performance pour l’entreprise. Cependant, cela exige d’être aussi très attentif à l’environnement qui l’entoure, et qui est en perpétuelle mutation, notamment du point de vue de la digitalisation. L’apport du digital est majeur pour permettre à la GRH de créer et incarner le lieu où s’exerce « l’expérience collaborateur ». Cette digitalisation lui permet tout particulièrement de :
- Rationnaliser son temps en gagnant en rapidité sur l’exécution des tâches à moindre valeur ajoutée ;
- Bénéficier d’outils innovants avec l’intelligence artificielle pour mener à bien leurs campagnes et missions de recrutement, de formation ou encore de gestion de carrières… ;
- S’assurer que les collaborateurs, quelques soient leurs fonctions, restent accessibles, impliqués et motivés par les changements à venir tout en étant suffisamment formés à leurs nouvelles fonctions.
- Offrir la même expérience à tous les collaborateurs quel que soit leur lieu ou pays d’affectation (dans le cas de multinationales ou entreprises régionales) ;
- Garantir la sécurité et la confidentialité des données personnelles.
Enfin la digitalisation dans la fonction RH touche aussi les aspects de marque employeur, elle se reflète dans la communication interne mais aussi externe. C’est un outil potentiellement différenciant qui permet aussi d’atteindre et d’attirer les talents exigeants à ce niveau-ci.
On constate que les DRH deviennent de plus en plus des HRBP, quelle signification faut-il donner à cette mutation ?
J’ai abordé ce point, un peu plus haut, toutefois, un HR « Business Partner » c’est d’abord quelqu’un qui comprend le business et maîtrise les défis auxquels fait face l’entreprise aujourd’hui et demain. C’est quelqu’un qui est capable de traduire en objectifs humains et en langage RH, des préoccupations financières, commerciales, techniques et mêmes technologiques des dirigeants de l’entreprise. Le gestionnaire des ressources humaines est appelé à migrer vers un rôle de HRBP pour la sauvegarde de sa profession parce que de toute façon, une bonne partie de ses attributions finiront digitalisées ou externalisées. Par ailleurs, les derniers mois nous ont montré que si les DRH n’avaient pas fait preuve d’agilité, de flexibilité pour maintenir un niveau de travail suffisant beaucoup d’entreprises n’auraient pas survécu à la crise que nous traversons.
Comment percevez-vous le rôle des DRH africains à l’horizon d’une dizaine d’années ?
Dans les 10 prochaines années, le DRH sera bien entendu toujours un acteur majeur de la transformation de l’entreprise, que ce soit pour l’autonomisation accrue des tâches, que pour gérer les évolutions des métiers et des compétences, mais aussi les nouvelles façons de travailler. Il sera un acteur clé du changement dans les organisations qui ne cesseront pas de se réinventer. Enfin, dans 10 ans, ce rôle du DRH sera parfaitement inscrit dans la stratégie globale de l’entreprise. Sa position se sera affirmée dans les instances décisionnelles. Plus que des partenaires, ils seront devenus de véritables leaders capables de susciter l’engagement à tous les niveaux de l’organisation.
Propos recueillis par A.C DIALLO
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