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«En Afrique, le potentiel géologique n’est pas l’unique facteur qui attire les investisseurs dans le secteur minier» Oumar TOGUYENI, V-P de IAMGOLD

Il se qualifie de « pur produit » de l’Université de Dakar et plus précisément de l’Institut des Sciences et de la Terre qu’elle abrite, Oumar TOGUYENI est pourtant aujourd’hui membre de l’équipe de direction de l’opérateur minier canadien IAMGOLD Corp. et vice-président principal, en charge des affaires internationales et du développement durable. Le secteur minier n’a plus de secret pour ce natif de Bobo Dioulasso au Burkina Faso, qui cumule près d’une trentaine d’années d’expérience en exploration, en mise en valeur de projets et en exploitations de diverses matières premières, notamment l’or, les métaux de base et la bauxite, en Afrique, en Europe, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes. INTERVIEW

Pour ceux qui ne connaissent pas encore IAMGOLD, pouvez-vous nous en faire une brève présentation ?

IAMGOLD est une compagnie canadienne dont le siège est à Toronto, nous sommes présents sur 3 continents a savoir l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud et Centrale et l’Afrique. Nous avons trois mines qui sont en opération dont une au Canada, une au Suriname en Amérique du Sud et la troisième, la mine d’Essakane, au Burkina Faso. Nous avons également des projets en phase de développement avancé, Côté Gold au Canada et Boto au Sénégal et plusieurs projets d’exploration à travers le monde. Nous produisons environ 600 – 700 000 onces d’or par an ce qui fait d’IAMGOLD une société aurifère de taille intermédiaire.

Quelles sont vos fonctions actuelles au sein d’e IAMGOLD ?

Je suis le vice-président principal, chargé des affaires internationales et du développement durable. Mon rôle est de coordonner les relations avec les partenaires gouvernementaux et les autres parties prenantes en Afrique et en Amérique du Sud, je suis également en charge du développement durable pour ces régions.

En tant qu’acteur et observateur privilégié du secteur minier africain, quelle est votre appréciation globale sur l’évolution de ce secteur ?

Le secteur minier en Afrique et très dynamique, surtout en Afrique de l’Ouest ou nous opérons depuis près de 30 ans.  Il y a bien évidemment de l’or, mais aussi d’autres métaux comme la bauxite et le fer en Guinée par exemple. Cette région regorge de potentiel énorme. Dans beaucoup de nos pays , le secteur minier est un véritable moteur de l’économie nationale et constitue la principale source de  devises étrangères .

Oui mais cela n’empêche pas qu’il y ait quelques difficultés dans le secteur. Il est souvent question de revoir les codes miniers, comme ce fut le cas en RDC. Qu’en pensez-vous ?

Les discussions sur le code minier reviennent régulièrement. Cependant, il ne faut pas oublier que dans plusieurs pays africains, les  premières réformes des codes miniers ont été introduites entre les années 1980  et 2000 sous les auspices de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International (FMI), avec pour objectif d’attirer les investissements étrangers directs, à travers la mise en place de politiques fiscales et juridiques attractives et stables, pour relancer le secteur minier qui était en grande difficulté dans la région.  En la matière, Le Ghana a été l’un des pays précurseurs en Afrique de l’Ouest, suivi par les autres pays, ce qui a progressivement abouti à ce secteur minier dynamique, moteur des économies de nos états.  Au cours des dernières années, des pays ont ressenti la nécessité de réviser certaines provisions des codes afin de les adapter à leurs environnements socio-économiques respectifs,  ou de corriger des incohérences juridiques, fiscales ou environnementales. Il est  tout a fait normal, de réviser périodiquement ses textes, et donc, de revoir le code minier pour s’assurer qu’il est suffisamment adapté sans pour autant lui enlever son attractivité. Il est également important de veiller à ce que le processus de révision de code minier se fasse de manière concertée et que les parties prenantes puissent contribuer au processus de révision de code minier.  Bien entendu, en bout de ligne, l’État conserve ses prérogatives régaliennes et demeure libre de réviser son corpus législatif, selon les procédures en vigueur.

Des études réalisées par des cabinets de renommée internationale ont démontré que le risque principal encouru par le secteur extractif, est la perte de leur  leur licence sociale d’exploitation c’est a dire l’acceptabilité sociale par les principales parties prenantes-  notamment par les communautés hôtes. Sur le terrain, dans de nos pays, on retrouve une certaine opinion sur le secteur extractif et un sentiment croissant  et légitime au niveau l’opinion publique qui  voudrait voir un partage plus équilibré des revenus du secteur minier.  

En résumé, il faut  trouver le juste milieu pour maintenir une certaine attractivité et s’assurer que les revenus soient équitablement partagés. S’il est vrai qu’en Afrique, le potentiel géologique est énorme, cela n’est pas l’unique facteur qui attire les investisseurs, un cadre juridiques et fiscal stable ainsi que la robustesse des institutions du pays hôte figurent parmi les éléments clés dans une prise de décision d’investissement dans le secteur minier  Sans investissement direct et continue dans l’exploration et l’exploitation, il n’a pas pérennité du secteur.

Le point d’achoppement est surtout au niveau de la fiscalité, les opérateurs miniers estiment qu’il y a une plus grande pression fiscale sur leur secteur en Afrique, alors que les gouvernements pensent qu’ils sont insuffisamment taxés. Quel est votre point de vue ?

Il est vrai que beaucoup d’attention se porte sur la question de la fiscalité, mais pour évaluer la contribution du  secteur minier au développement économique et social de nos pays et de nos populations, les vraies questions qu’on doit se poser, sont : quelle est la proportion des revenues de la mine qui reste dans le pays ? est-ce que le secteur miner crée suffisamment d’emplois, contribue-t-il à la formation de l’expertise nationale?  Quelle est la portion des achats de biens et services qui se font localement, (qui contribuent donc au développement de l’entreprenariat national)? Est-ce que les mines servent de levier pour le développement des infrastructures routières et énergétiques? Qu’est ce qui est fait pour réduire les impacts sur l’environnement ? etc. ?  Il faut faire une évaluation  globale des retombées du secteur minier sur le développement économique des pays, la fiscalité n’est qu’un élément.

Que pensez-vous du mouvement de concentration actuellement en cours dans l’industrie aurifère ?

Les regroupements dans l’industrie aurifère ne datent pas d’aujourd’hui, il s’agit d’une tendance normale dans le secteur minier. Le mouvement s’est accéléré ces dernières années du fait de deux raisons principales :  il devient aujourd’hui de plus en plus difficile de trouver de nouveaux gisements ce qui fait que la plupart des compagnies n’arrivent pas remplacer les réserves minées annuellement. La seconde raison est la pression continue de trouver des synergies pour réduire les coûts d’exploitation. Cela favorise les transactions de fusion et d’acquisition et je pense que c’est une tendance normale, qui va certainement se poursuivre.

L’Afrique de l’Ouest est en proie à une la crise sécuritaire, notamment dans la région du Sahel, doublée d’une crise sanitaire due au Covid-19, ne pensez-vous pas que ces crises risquent d’assombrir les perspectives du secteur minier ?

La pandémie du Covid-19 a fortement impacté l’économie mondiale et par conséquent le secteur minier au cours de la dernière année.  Nous avons été amenés à revoir nos procédures et à adopter de nouveaux modes opératoires.
A ce jour, j’estime qu’on n’a pas encore évalué toute l’envergure de l’impact, sur les opérations, mais également sur les communautés et pays hôtes. Il faudra attendre encore quelques mois pour en mesurer les conséquences. S’agissant de la crise sécuritaire, oui les pays du Sahel font malheureusement face à ce fléau à des degrés divers; nous espérons que bientôt nous retrouverons la paix et la sécurité pour tous, qui sont des piliers essentiels pour tout développement économique, y compris celui du secteur minier.

Le manque de ressources humaines locales qualifiées est une problématique souvent relevée dans le secteur minier en Afrique, quelles sont les actions menées par le secteur et plus spécifiquement par IAMGOLD pour y pallier ?

Il y a des approches différentes selon les compagnies. Au niveau d’IAMGOLD, nous avons mis en place des programmes novateurs de développement de notre main d’œuvre nationale dans nos différentes opérations. Par exemple, dans notre mine d’Essakane, nous avons dès 2012, lancé un Plan de Développement de la Relève (PDR) afin de progressivement préparer nos employés à pourvoir des  postes clés dans l’opération minière, incluant ceux pour lesquels les compétences étaient très peu disponibles localement, en raison de la récente histoire minière du Burkina.  En plus de cela, en partenariat avec Plan Canada et les gouvernements burkinabè et canadien, nous avons appuyé des initiatives de formation professionnelle pour les  jeunes. 

Nous avons organisé à l’international, des journées portes ouvertes emploi qui nous ont permis de recruter des jeunes diplômés africains issus de la diaspora et qui avaient les compétences recherchées. Il y avait un engouement extraordinaire de la diaspora et je suis heureux de dire que nous avons rapatrié plus d’une quinzaine de jeunes africains de la diaspora qui occupent aujourd’hui  des postes de responsabilité, incluant ceux habituellement occupés  par  des expatriés. Au-delà des initiatives privées telles que la nôtre, il est  primordial que les États africains jouent leur rôle et mettent en place des politiques et des stratégies nationales de développement des compétences au niveau de secteur minier, pas seulement pour les ingénieurs géologues et miniers, mais aussi pour former des mécaniciens, des comptables, des spécialistes en environnement etc… car on a besoin de tous les corps de métier dans une exploitation minière. Lorsque ces politiques sont en place, le secteur minier devra alors s’y intégrer et jouer pleinement son rôle.  Je suis optimiste car nos jeunes sont de mieux en mieux formés, ils sont dynamiques et il y aura de plus en plus d’opportunités, pour ceux d’entre eux qui seront bien formés, motivés et résilients.

Propos recueillis par A.C. DIALLO

© Magazine BUSINESS AFRICA

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